La CNR gère actuellement près de trois millions de retraités, toutes formules confondues. Le nombre de retraités a augmenté lors de la récession économique qui avait frappé de plein fouet de nombreux pays, dont l'Algérie, durant les années 90, après que le FMI ait imposé des mesures qui ont induit la fermeture des unités de production et le départ anticipé de centaines de milliers de travailleurs à la retraite. La CNR gère actuellement près de trois millions de retraités, toutes formules confondues, et c'est en quelque sorte le plus important employeur national puisqu'elle verse des pensions mensuelles à des familles avoisinant le quart de la population. Ces chibanis, qui ont trimé des dizaines d'années, aspirent à une retraite équitable à même de leur permettre de vivre décemment au crépuscule de leur vie. L'agence CNR de la wilaya de Guelma gère plus 40 000 retraités et ayants droit qui perçoivent leurs pensions le 26 de chaque mois par virement postal et une minorité par virement bancaire, quatre jours plus tôt. Comment vivent nos retraités après une carrière bien remplie ? Sont-ils contents de leur sort et trouvent-ils une oreille attentive à leurs légitimes doléances ? Liberté se propose de répondre à ces questions en se rapprochant d'eux pour avoir ne serait-ce qu'un furtif aperçu de leur vie quotidienne. Ce dimanche 26 mars, nous avons entamé notre enquête en nous rendant au bureau d'Algérie Poste Maouna, sur les hauteurs de la ville, qui a été investi dès l'ouverture par des centaines de retraités qui se bousculaient devant les quatre guichets et de longues chaînes se constituaient. Un brouhaha indescriptible régnait dans cette enceinte et nous avons été frappés par le grand nombre de handicapés physiques, de malades chroniques, d'octogénaires et même nonagénaires qui attendaient patiemment leur tour en faisant preuve de dignité. Des disparités dans les montants des pensions Nombreux sont ceux qui demandent au préalable leur avoir et se dirigent vers un écrivain public qui leur annonce le montant et remplit leurs chèques qu'ils s'empressent de remettre ensuite au guichetier. Nous avons assisté à ces scènes et c'est ce qui nous a permis de relever la disparité des montants des pensions qui s'échelonnent de 7 000 à 90 000 dinars, voire davantage ! Un vieil homme corpulent nous confie : "Je touche 7 870 dinars car je n'ai pu faire valider que dix années de travail auprès de la CNR puisque mes anciens employeurs n'avaient pas déclaré à la CNAS le nombre réel de mes années de service. Ce pactole est dérisoire et je suis contraint de travailler dans une cafétéria pour percevoir 12 000 dinars supplémentaires en accomplissant huit heures par jour". Hafid, ancien maçon à l'APC, perçoit 26 500 dinars alors qu'une ancienne femme de ménage dans un organisme public est gratifiée de 23 700 dinars. En revanche, d'anciens cadres moyens et fonctionnaires touchent plus de 50 000 dinars par mois et il est pénible de relever cette disparité qui pénalise ceux qui occupaient des postes subalternes et pénibles en l'occurrence des manœuvres, artisans, gardiens, soudeurs, ferrailleurs et autres. Ces inégalités sont flagrantes dans le secteur éducatif où l'échelle des valeurs, les postes de responsabilité et les compétences ne sont pas pris en considération par la tutelle lors des départs à la retraite. Qu'on en juge. Ammi Ahmed, un octogénaire qui avait consacré quarante années de sa vie dans le sceteur l'éducation nationale, témoigne : "J'avais enseigné les mathématiques, puis j'ai été directeur de collège de 1969 à 1994 pour prétendre à ma retraite à l'âge de 60 ans. J'ai eu droit à une pension de 12 400 dinars et à présent, à la faveur des revalorisations annuelles, je perçois seulement 35 800 dinars. Les enseignants que je chapeautais sont mieux lotis puisqu'ils ont bénéficié d'augmentations substantielles à compter de 2008 et ceux qui sont retraités perçoivent entre 70 000 et 85 000 dinars. C'est une injustice flagrante que nous subissons, nous les artisans de l'école algérienne qui avions enseigné dès 1962. Nous sommes lésés et nous avions vainement émis le vœu de bénéficier d'une revalorisation plus importante qu'eux, qui sont deux fois mieux payés que nous. Nous avions eu droit à une prime retraite de 25 000 dinars et depuis 2008 elle atteint 250 000 dinars". Les chibanis de France mieux lotis Dans un souci de justice, il est utile d'évoquer le cas des retraités du régime français, ceux qui ont été travailleurs émigrés dans l'Hexagone, et qui sont de retour au pays. Ces derniers se rendent le 20 de chaque mois à l'agence BADR pour encaisser le montant de leur chèque libellé en euros et ce sont des centaines de retraités qui investissent les abords de cette agence bancaire. Ils attendent patiemment leur tour pour accéder dans l'enceinte et nous en avons abordé quelques-uns à leur sortie. Slimane, un septuagénaire encore alerte, nous déclare : "J'ai été manœuvre dans une entreprise privée à Avignon durant 18 années et chaque mois la caisse de retraite du Var me vire 645 euros qui me permettent de vivre décemment car je les revends à des cambistes de la ville à un taux très avantageux (actuellement 100 euros sont échangés contre 18 400 dinars). J'ai pu me faire construire une villa et je ne manque de rien". Un autre exhibe ses billets : "J'ai travaillé 12 ans en qualité de plâtrier à Mulhouse et chaque mois j'encaisse mes 435 euros qui me suffisent amplement car je possède une maison, un véhicule récent et j'ai accompli la Omra avec mon épouse". De toute évidence, les retraités du régime français sont plus avantagés que ceux qui ont travaillé Algérie, même ceux qui avaient occupé des postes de responsabilité. Nos retraités mènent une vie monotone : ils n'ont pas de loisirs, de lieux de ralliement décents et aucune association n'a été créée pour leur organiser des journées de sortie, des excursions, des voyages à des prix compétitifs. Chaque jour, ils se retrouvent dans les quelques squares de la ville, les cafétérias et parfois dans leur cité pour discuter à bâtons rompus de la cherté de la vie, de la politique, de leurs années de jeunesse, de leurs maladies chroniques, de la corvée qu'ils endurent le 26 de chaque mois pour encaisser leur maigre pension. Touhami, un septuagénaire, qui avait travaillé dans un organisme public, nous déclare : "Nous souffrons en silence car nos journées sont tristes et nous n'avons aucun espoir d'accomplir le pèlerinage aux Lieux saints, faute de moyens financiers. Imaginez qu'il faut débourser au bas mot plus de cinquante millions de centimes et qu'il faut avoir la chance d'être tirés au sort puisque des milliers de citoyens s'inscrivent pour deux centaines de places". Désabusé, Nacer, un ancien cadre de l'éducation nationale, poursuit : "Sous d'autres cieux, les retraités, qualifiés de seniors, ont droit à des égards : croisières, voyages organisés d'agrément, repas collectifs dans des villes touristiques, loisirs de toutes sortes, etc. Chez nous, c'est le silence radio de la part de nos responsables qui dédaignent leurs aînés qui ont droit à davantage d'égards et de respect". Une couverture sociale avantageuse, malgré tout Toutefois, il faut convenir que notre système de santé est avantageux pour toutes les catégories de citoyens et particulièrement les retraités qui possèdent la carte Chifa et qui leur ouvre droit aux soins, aux médicaments, aux séances d'hémodialyse, à l'imagerie médicale... Une ancienne institutrice nous confie : "Nous avons le privilège de nous soigner sans débourser de grosses sommes et je peux affirmer que ma maladie chronique coûte chaque mois plus de 7 000 dinars à la caisse de sécurité sociale. Tous les retraités ont droit à cet avantage que nous envient d'autres pays". Nos interlocuteurs affichent leur satisfaction quant à leurs conditions de vie. La gent féminine est logée à la même enseigne puisque son leitmotiv c'est le vœu de se rendre à La Mecque et de s'adonner à la prière. Hocine, un sexagénaire encore alerte, insiste : "Les pouvoirs publics devraient se pencher sur notre situation car nous sommes un riche vivier lors des élections. La revalorisation des pensions décidée début mai de chaque année doit obéir à des critères rigoureux car il n'est pas logique que le taux soit appliqué unilatéralement pour tous les retraités. Il convient de relever substantiellement les maigres pensions pour permettre à leurs titulaires de vivre décemment". Il faut avouer que de nombreux retraités sont contraints de travailler dans le secteur privé pour joindre les deux bouts. Ils sont serveurs dans des cafétérias, pizzérias, restaurants, caissiers dans des supérettes, pâtisseries, comptables, secrétaires, agents de sécurité, femmes de ménage, enseignants dans les écoles privées, cuisinières, chauffeurs et autres. Le système de retraite n'est pas équitable et il appartient aux pouvoirs publics, aux partenaires sociaux et aux syndicats des travailleurs de se pencher sur ce dossier sensible pour parvenir à une justice sociale car chacun a droit à une retraite empreinte de dignité. H. B.