On connaît trop la propension du cinéma français à œuvrer dans le nombrilisme, les amours contrariés sur fond de misère psycho-affective où la psychologie et ses travers tiennent lieu de ressort dramatique. Point de cela chez les auteurs franco-maghrébins, fortement interpellés par le réel social, les injustices, les inégalités et la mise en exergue des laissés-pour-compte de la croissance, de ces minorités qui ne cessent de revendiquer une place et un statut dans une société où les égoïsmes et les préjugés raciaux ont la vie longue en dépit d'un triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité » systématiquement battu en brèche par un système mondialisé sans âme et sans scrupules… Deux cinéastes, l'un Franco-Tunisien, Karim Dridi, avec Khamsa sorti il y a quelques jours à Paris, et l'autre, Franco-Algérien, Rabah Ameur-Zaïmèche, avec Dernier maquis ont frappé fort, cinématographiquement parlant et sociologiquement, sur ce talon d'Achille de la société française qui, tournée sur le centre et sur elle-même, en oublie « la périphérie » et la marginalité, pourtant parties intégrantes d'un ensemble social et politique. Et pourtant n'est-ce-pas un certain Jean-Luc Godard qui n'a cessé de professer que c'est « la marge qui tient la feuille »… Khamsa conte les pérégrinations et les errances d'un jeune garçon de 11 ans, né d'un père gitan qui l'a abandonné et d'une mère algérienne trop tôt disparue pour lui donner son quota d'affection. Son seul don, c'est cette khamsa, cette main de Fatma autour du cou qui le fait traiter de « bicot » par ses pairs gitans. Et l'affection pour cet exclu parmi les exclus, il ne la trouve qu'auprès d'une grand-mère mourante. Après avoir fui la famille d'accueil où la DDAS l'avait placé, Marco dit « Khamsa » retrouve le camp gitan où son père (Simon Abkarian) mène une vie familiale totalement décousue entre abandon de famille et grande consommation d'alcool dans une roulotte où « Khamsa » n'a bien sûr pas sa place. Dès lors, avec des cousins, c'est la plongée dans le monde de la délinquance avec vol de sacs à l'arraché ou cambriolage de riches demeures en compagnie de « Rachitique » un beur de la cité HLM voisine. Mais ce qui aurait pu sombrer dans un mélodrame larmoyant se transforme, par la mise en scène éclairée de Karim Dridi, en une complainte où la fureur côtoie sans arrêt la sensibilité d'un être écorché vif et la dérive finale va rejoindre les accents de la tragédie. Dans Dernier maquis de Rabah Ameur-Zaïmèche, déjà remarqué pour Wesh ! Wesh ! (2002) et Bled number one (2006) tourné en Algérie, la tragédie grecque est convoquée à travers la règle des trois unités : de lieu, de temps et d'action. Dans une entreprise où coexistent un garage et une fabrique de palettes rouges entassées par milliers qui confèrent au film un décor esthétique d'où la poésie n'est pas exclue. L'intrigue se révèle passionnante, mettant en scène un patron musulman qui ne cesse de bloquer les revendications légitimes de ses ouvriers noirs et arabes en les manipulant par la religion. Ainsi, leur impose-t-il la présence d'un imam sans concertation aucune avec ses employés, dont certains entrent en révolte face aux agissements et aux manipulations d'un patron retors. C'est la première fois qu'un cinéaste s'attaque à la place et à la manière dont l'Islam est vécu dans le monde de l'entreprise. Une manière très éloignée de la sérénité qui devrait accompagner la pratique de la foi chez des ouvriers déculturés et souvent ignorants des vrais préceptes du Coran. L'affrontement parfois violent, parfois feutré, entre le patron et le noyau des contestataires donne à Dernier maquis une dimension politique qui a fait dire au journal Le Monde que ce 3e opus de Rabah Ameur-Zaïmèche constitue « le plus grand film politique du Festival de Cannes 2008 ». Bien vu.