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Le quatuor écarté
Publié dans El Watan le 20 - 11 - 2008

Il faut jouer des coudes pour s'offrir un bout de place à l'intérieur des J9 qui ont toujours le vent en poupe en Kabylie. Sur ce chemin de wilaya en lacets, de gros engins et des ouvriers s'échinent à élargir la chaussée pour en faire une route nationale. Les citoyens croisent les doigts pour chasser l'injuste sort qui colle à leur patelin. Le développement ici ? «Un mot creux», souffle un villageois. Omar Naili, 54 ans, résidant en France, préfère la magie du petit matin en son village que le climat atrabilaire parisien. Il nous invite à une immersion dans son histoire «tue et altérée». Première halte : la maison des Amrouche où naquit Jean El Mouhoub, une nuit poudreuse de février 1906. Sise au «village d'en haut», comme le désignait sa mère, Fadhma Ath Mansour, dans son témoignage, Histoires de ma vie, la maisonnette, jadis résonnante de vie autour du patriarche Hacène Ou Amrouche, est en ruines. Un silence polaire y règne. On y parvient par des ruelles serrés et labyrinthiques. Omar racle ses souvenirs. «Nous étions une bande de gavroches à courir derrière Jean El Mouhoub. C'était en 1958. Cela nous intriguait beaucoup de voir un homme en short le temps des vacances, alors que nous étions habillés de haillons. Il était élégant. C'était la première et la dernière fois que je le vis avant qu'il ne disparaisse en 1962», se rappelle-t-il. Des villageois racontent aussi que l'écrivain, comme sa famille, aimait ses montagnes d'un amour ombilical. L'enfant prodigieux d'Ighil Ali n'a jamais rompu les liens. Il venait fréquemment. Idem pour sa mère, symbole de la Mater Dolorosa, qui ramenait ses enfants à la source du terroir. «A chacune de ses visites, Jean El Mouhoub adorait s'adonner à la capture des étourneaux», se remémore une vieille dame, attirée par notre discussion.
Escale à l'école du village. Il faut d'abord passer par le quartier… chrétien. Le mot est lâché ! Il y a quelques mois, une campagne virulente désignait la Kabylie comme fief d'une «reconquista» évangélique. Le reporter Djamel Alilat évoque ces clichés malveillants : «Ighil Ali a été longtemps catalogué village chrétien en dépit du fait que seules quelques familles ont adopté la religion chrétienne», explique-t-il. Le journaliste convoque l'histoire locale : «L'éclosion de tels talents dans un village perdu comme Ighil Ali a un rapport direct avec l'installation de missions des Pères Blancs et des Sœurs Blanches dans la région aux alentours de 1876, chose qui n'a été rendue possible que par la lourde défaite de la Kabylie lors de l'insurrection de 1871, menée par El Mokrani et Cheikh Aheddad.» Dans ce quartier, un pâté de maisons, très «french touch», affronte le temps. C'est ici que des familles kabyles chrétiennes vivaient dans un esprit communautaire, loin des regards indiscrets ou réprobateurs. On peut citer la maison d'Antoine-Belkacem Amrouche, père des deux écrivains, celle de Réné le postier, évoqué par Fadhma Ath Mansour dans son roman-autobiographique, et celle aussi de Malek Ouary, mort dans l'anonymat en 2001, auteur d'une trilogie, introuvable sur le marché du livre national au même titre que les œuvres de Taos Amrouche. A l'indépendance, toutes ces familles ont plié bagages de peur de représailles. Au village, les Balit, les Zehoual et les Ouary ne sont qu'un souvenir fugitif et passéiste. Issue d'une famille originaire d'Ighil Ali et établie à Saint-Etienne depuis longtemps, Sylviane Zehoual rêve toujours : «Mon souhait le plus cher est d'aller un jour voir par mes propres yeux le lieu du berceau de ma famille. J'en ai les larmes aux yeux. Je ne sais pas pourquoi cela me tient tant à cœur.».
A l'entrée de l'école, une plaque en marbre incrustée dans le mur depuis 1963 et écrite en arabe et en français nargue les esprits oublieux : «Jean Amrouche, écrivain et patriote. 1906-1962». Malgré cet ascétique hommage rendu à l'époque par les hommes du valeureux colonel Mohand Oulhadj, officier de l'ALN, le nom de l'auteur de Cendres, recueil de poèmes mystiques, et celui de sa sœur et de sa mère, ont été gommés de la mémoire déjà chétive de nos écoliers et étudiants. Les manuels scolaires, maintes fois liftés, ne parlent pas d'eux. Seuls, des critiques de la presse nationale s'efforcent, périodiquement, de dépoussiérer leur mémoire. Djamel Alilat résume leur tragédie : «Ils ont le triple tort d'être kabyles, francophones et chrétiens. C'est beaucoup trop pour un pays comme l'Algérie qui a fait de l'arabité et de l'Islam des dogmes en dehors desquels rien ne peut se concevoir», tranche-t-il. Selon notre confrère, Jean El Mouhoub, Taos et Malek Ouary se sont d'abord abreuvés de culture et de littérature française avant un retour salutaire vers leur culture d'origine. «Taos a sauvé de l'oubli des chants ancestraux avant de s'impliquer dans la création de la fameuse académie berbère de Paris, tandis que Jean El Mouhoub et Malek Ouary ont publié des livres de poésie kabyle ancienne, sans oublier, bien entendu, le fameux message de Jugurtha de Jean». Notre consœur de La Tribune, Rachida Merkouche, native de la région, nous sert quelques fragments de souvenirs, fruits de la mémoire de ses parents : «Les familles musulmanes ne côtoyaient pas les Amrouche. Seuls, les enfants allaient dans ce quartier par curiosité pour voir ces femmes ressemblant à des françaises».
Autant que sa sœur, l'écrivain disposait d'une grande aura dans le gotha littéraire. André Gide, Paul Claudel, François Mauriac, Jules Roy, Guiseppe Ungaretti, Jean Giono et d'autres ne tarissaient pas d'éloges à son égard. Claudel affirmait : «Comme celle de Mauriac et de Gide, Amrouche, connaissait mon œuvre mieux que je ne la connaissais moi-même (…) Qui nous aura vraiment lu, sinon Amrouche…». Mais le champ d'action de l'écrivain n'était pas cloîtré dans la création littéraire. Il fut même le médiateur attitré entre le FLN et le général de Gaulle sur lequel il fondait un espoir fou pour mettre un terme à l'effusion du sang. Certains lui reprochaient d'être «un inconditionnel gaulliste». Ferhat Abbas, président du GPRA, se chargea personnellement à l'époque de faire taire les mauvaises langues dans un texte écrit en 1963, après la mort de l'écrivain, et où il affirmait directement : «Jean Amrouche avait raison». Malgré cet hommage appuyé et celui de personnalités de renom, à l'image de Krim Belkacem, Mohammed Dib, Jacques Berques, Léopold Sédar Senghor, le nom des Amrouche n'a pas reçu de lauriers. Le fils de Jean El Mouhoub (voir ci-dessous), clarifie les relations de son père avec de Gaulle.
Ici, on se souvient du malheureux épisode de l'interdiction faite à Taos de chanter dans son pays, lors du Festival panafricain d'Alger de 1969. Elle accepta humblement l'invitation des étudiants de la cité universitaire de Ben-Aknoun. Au village, la maison des Amrouche, considérée comme un bien vacant du FLN, s'est trouvée occupée à l'indépendance par un ancien et ombrageux moudjahid. Celui-ci à déjà interdit à Pierre Amrouche et Laurence Bourdil (fils de Jean El Mouhoub et fille de Taos) de visiter la maison de leurs grands-parents. A deux reprises, ils sont repartis bredouilles, raconte-t-on ici.
Derrière l'école, le minuscule cimetière chrétien aux tombes éparpillées parmi les herbes folles. Nous poursuivons vers le lieu ou était implanté le couvent, qui servait d'ouvroir aux jeunes filles, rasé depuis 2001. Les villageois ont vainement protesté et les arguments de l'APC ne les ont pas convaincus. En lieu et place, une imposante bâtisse est érigée pour abriter le siège de la sûreté de daïra. Selon Omar, le ton avait été déjà donné durant les années 60 : «Le couvent a été transformé en centre culturel islamique durant les années Boumediene avant de se transformer en siège de la gendarmerie». Pour lui, il est sûr que les officiels algériens ont voulu à tout prix déchirer cette page d'histoire. Dans tout le pays, seul un lycée à Sidi Aïch et, à titre encore officieux, la maison de la culture de Béjaïa portent le nom de Taos Amrouche. Avec de maigres moyens, l'association Jean El Mouhoub et Taos d'Ighil Ali envisage «leur réhabilitation par la publication de leurs œuvres, des colloques à leur mémoire et la dénomination d'institutions et de lieux en leurs noms».
A notre retour, les villageois ont chargé notre besace de questions. Les pouvoirs publics daigneront-t-ils enfin rendre justice à ces éternels exilés ? Verra-t-on les noms de Fadhma, Taos, Jean El Mouhou et Malek rétablis au trône de la mémoire officielle ?


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