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«Mammeri a proposé l'édification d'une nation plurielle»
Publié dans El Watan le 22 - 07 - 2010

– Mouloud Mammeri représentait le dernier maillon d'une lignée d' «amusnaw». Comment cet homme a-t-il pu concilier les apports de deux mondes : celui de son père artisan-armurier et celui de l'école française, entre lesquels il évoluait avec aisance ?
Oui, Mouloud Mammeri est indéniablement un «amusnaw». Le milieu familial, surtout son père était un «amusnaw», c'est-à-dire un sage (ou philosophe d'une tribu). Son père, Da Salem, avait assumé longtemps la fonction de l'amin de son village natal Tawrirt Mimoun, ce qui a durablement formé et préparé M. Mammeri, dès sa prime enfance. Dans la société kabyle, qui est profondément laïque et démocratique, la fonction d'amin n'est attribuée et assurée que par les membres les plus méritants. Et le devoir de l'amin n taddart est la défense des intérêts de sa communauté et doit aussi veiller sur tamusni et taqvaylit. Ces deux notions du sens pratique englobent un certain nombre de valeurs telles que : le sens de l'honneur – N'nif, la force du verbe, la connaissance de la sagesse ancestrale, la maîtrise de taqbaylit (la langue, la voie ou le code kabyle de déontologie) et la tamusni. Cette éducation prépare l'individu à l'ouverture sur la vie, et cette ouverture est l'un des caractères importants de la tamusni. Et l'amusnaw considère qu'une sagesse étrangère ne peut pas contredire la tamusni. Et l'amusnaw c'est l'expert en tamusni et en taqvaylit (kabylité). Donc, Mouloud Mammeri a eu une éducation kabyle au sens classique du terme qui l'a préparé à acquérir d'autres cultures, langues, savoirs… il est à constater que les Amazighs ont cette ample faculté d'accueil des autres sagesses étrangères depuis des millénaires, et c'est dans cette tradition d'ouverture vers l'autre que s'inscrit la pensée de M. Mammeri. Il était l'un des rares de sa génération à avoir fait de brillantes études «les humanités» (grec, latin, lettres françaises classiques), depuis l'école primaire de son village jusqu'à l'université. Contrairement à d'autres écrivains, M. Mammeri ne semble pas vivre, dans l'usage des langues et cultures étrangères, les souffrances de l'exil ou de la blessure. Il a concilié sa langue et culture kabyles avec les autres et n'éprouve d'amour aveugle ni pour l'une ni pour l'autre, mais une sympathie profonde et critique. Et le fait d'avoir participé des deux l'a certainement enrichi, lui a permis de prendre dans chacune ce qu'il y a de meilleur, l'une corrigeant l'autre. L'un des aspects de son œuvre est cette conciliation des apports d'une vision multiple du monde à partir de la cosmogonie kabyle et amazighe en général.
– Vous avez pu collecter des citations de Mammeri. Quel est l'aspect qui vous paraît constant dans sa personnalité que l'on dit tourmentée par le destin des siens ?
Toute sa vie renvoie à la défense de l'identité, la culture, la langue et la civilisation amazighes. A 19 ans déjà, il a publié une étude (devenue une référence) intitulée La société berbère. Cet article paru dans la revue Aguedal (en 1938), n'est pas seulement prémonitoire, il donne déjà la substance de ce qu'allait être sa pensée toute sa vie dans ce domaine-là. L'amazighité, du moins la kabylité constitue le creuset de son œuvre au pluriel, à savoir ses œuvres littéraires (romans, nouvelles, pièces de théâtre, poésies…) et ses travaux en anthropologie et linguistique. Il est l'auteur de travaux scientifiques de référence, dont : Poèmes kabyles anciens, L'Ahellil du Gourara, Les Isefra de Si Mohand, Inna Yas Ccix Mohend… Malgré les avatars des périodes douloureuses qu'il a traversées, la suspicion ou l'incompréhension des siens, l'injustice dans laquelle on l'a souvent enfermé sans que le découragement ou le désir d'abandonner ne l'atteignent. M. Mammeri a adopté une position courageuse depuis son premier article écrit à l'âge de 19 ans, et n'a pas varié jusqu'à la fin de sa vie : il critique sa société sans ménagement et en analyse les blocages parfois avec férocité. Notre écrivain se distingue non seulement par son ancrage particulier, mais par son extrême sobriété toute classique (apologie, satire, tragédie).
Il est parfaitement à l'aise dans ces genres venus du fin fond des âges et qu'il adapte à cette forme plus moderne qu'est le roman réaliste. C'est aussi une manière de garder ses distances, de résister et d'affirmer la civilisation amazighe et à travers elle les autres. La littérature a quelque chose à voir avec la vie des hommes, leurs angoisses et leurs rêves. Et dans son dernier roman, M. Mammeri signale le désespoir qu'il ressent vis-à-vis de la scène socio-politique de son pays à travers son héros (Mourad, ancien maquisard durant la guerre d'indépendance, journaliste et militant de la cause amazighe) et d'une manière qui sied à l'enracinement. Mourad de La Traversée met fin à ses pérégrinations et retourne mourir, vers la fin du roman, au point de départ, au village de Tasga (nom du village dans son premier roman La Colline oubliée). La boucle est bouclée pour M. Mammeri : le retour à Tasga symbolise un retour aux sources, un enracinement profond et radical – et pour l'auteur de faire ses adieux, à l'écriture romanesque, puisque cette écriture épouse nécessairement la structure socio-politique de la région de son origine, la Kabylie, et donc n'est jamais tout à fait dépourvue de commentaire sur cette structure.
– L'œuvre de l'écrivain a-t-elle eu la place qu'elle méritait dans le programme scolaire ou du moins dans le programme des «militants de la cause berbère» qui ont essayé de s'approprier le mythe mais non pas l'œuvre négligée ?
Mouloud Mammeri est un écrivain, poète, dramaturge, anthropologue et linguiste de classe internationale et parmi les écrivains de sa génération les plus étudiés dans les universités des pays développés. Ses textes sont enseignés dans les écoles de certains pays en Europe, en Amérique du Nord et en Asie, – et ses livres sont traduits dans pas moins de 15 langues (anglais, allemand, arabe, chinois, espagnol, italiens, japonais, russe…). Son roman L'Opium et le bâton est traduit en chinois et publié par une grande maison d'édition d'Etat en Chine. Or, son œuvre n'apparaît pratiquement jamais dans les programmes scolaires de son pays. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de projet de société moderne depuis 1962 à nos jours, sur lequel veilleront les institutions, dont l'école. C'est l'école qui doit apprendre aux élèves à réfléchir, à acquérir un esprit critique. Mais la politique scolaire du pays a marginalisé les écrivains lucides tels que M. Mammeri, Kateb Yacine, Jean El Mouhoub Amrouche, Tahar Djaout… Aujourd'hui, un élève ou un apprenant, ayant achevé son cursus scolaire, peut n'avoir aucune connaissance des œuvres d'écrivains de son pays. Une école laïque ouverte sur le monde se doit d'enseigner d'abord ses écrivains, ses poètes, ses philosophes.
– A qui incombe donc la responsabilité ?
Il fut un temps où les livres de Mouloud Mammeri étaient interdits de vente en Algérie ; des «universitaires» incultes de la faculté d'Alger interdisaient même à leurs étudiants de faire des recherches sur ses romans. Donc, la responsabilité incombe aux responsables du système éducatif et non aux militants de la cause amazighe… M. Mammeri a su conceptualiser le vécu quotidien de son peuple et il soulève des questions gênantes. C'est là le devoir de vérité de l'écrivain. Il n'empêche que l'écrivain indique implicitement une direction possible pour l'avenir du pays. L'auteur a toujours proposé dans ses livres l'édification d'une nation plurielle, d'une culture dépouillée de son côté rétrograde. Ses romans ont servi cependant, tout au long de sa carrière, une forme d'opposition à un type de société, à des orientations politiques précises, considérées comme déviantes, à une manière d'exercer le pouvoir, de gérer l'Etat, de conduire la nation. Est-ce pour toutes ces raisons (et autres considérations) que ses textes n'ont pas eu la place qu'ils méritaient dans les programmes scolaires ?


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