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Le gala du gallal
Publié dans El Watan le 31 - 03 - 2012

Répondre à cette interrogation, c'est revisiter l'histoire nationale depuis l'époque du pâtre numide jouant de sa flûte pour tromper sa solitude, installé à l'écart d'un indifférent auditoire, ses bêtes occupées à l'essentiel, brouter ou régurgiter. Mais faisons plus court et ne remontons jusque-là que pour rappeler que la «gasba» dont jouait le berger des temps reculés est l'un des instruments les plus authentiquement algériens. Elle est numide et ne se retrouve nulle part ailleurs. Raccourcissons encore le récit : dans le bédoui wahrani des aèdes, elle a parfois pour compagnon le «gallal», un autre instrument, à percussion lui, d'origine tout aussi numide, mais typiquement attaché à l'Oranie. Ah ! Voilà le chaînon manquant de notre réflexion : «wahrani» se traduirait et se comprendrait donc par rapport à cette région et non en référence à la ville d'Oran. Et pour lever une dernière ambiguïté, «bédoui» qui renvoie communément à la campagne et à la ruralité rappelle qu'à l'origine les aâroubis étaient de tradition nomade. Enfin, il n'est pas inutile de mentionner que le genre bédoui est une famille musicale qui compte trois membres. En effet, en-dehors du bédoui wahrani, il existe deux autres en Algérie : le bedoui sahraoui (avec ey-yaye dont Khelifi Ahmed qui vient de nous quitter était un éminent représentant) et le bédoui chaoui. Musicalement, atteste le musicologue Lechlech Boumédienne, la différence entre le wahrani et ces derniers est qu'il est moins diversifié qu'eux dans ses modes et échelles musicales.
Comme patrimoine, le bédoui wahrani fait figure de vestige d'un monde agropastoral déstabilisé sous les coups de boutoir d'une colonisation de peuplement, la plus dense au km² de tous le pays, au point que la capitale régionale, Oran, était la ville la plus européenne d'Algérie selon une proportion de 95% de ses habitants. Sur les vastes plaines de l'Oranie, la viticulture fait l'essentiel de l'économie de la région, au point que El Malah, l'ex-Rio Salado, devint pour longtemps la plus riche commune de France et d'Algérie ! Le salariat et la sédentarisation, dans et autour des villages, imposent un mode de vie aux horizons clos.
Les deux guerres mondiales et tout ce qu'elles ont charrié – famines, épidémies, pauvreté accrue et grands exodes – grossissent les ceintures de misère des villes constituées des habitats précaires dits «bidonvilles». Ces vicissitudes participent à la déstructuration des liens sociaux traditionnels. Le bédoui devient alors une valeur-refuge pour ceux qui ont perdu et leur statut et leurs repères. Il est l'unique viatique à la portée de la masse des petites gens pour frayer avec l'indicible. Par sa permanence, il conjurait le déracinement généré par les dépossessions coloniales massives, survivant ainsi hors de son univers primitif.
On s'en repaissait à l'occasion des mariages et des baptêmes, dans les cafés (des cafés-concerts), sur les places publiques (comme sur la célèbre Tahtaha de M'dina J'dida, le quartier populaire d'Oran), lors des fêtes votives (waâda) qu'agrémentaient la fantasia et le baroud de l'allégresse. Dans le bédoui, il est question de la condition humaine, de l'époque et de ses travers, de l'histoire immédiate et surtout de la passion d'aimer. De la joie d'aimer, mais aussi des bleus à l'âme lorsquelle devient douleur d'aimer. Au contact de la cité et d'une modernité subie, sa «pauvre» musique modale s'efforce de rivaliser avec la riche musique citadine, h'dar, telle le haouzi, et… la tonale chanson européenne. C'est la qualité de sa poésie qui l'a pourvu d'un atout-maître à une époque où la culture de l'oralité régnait et où le chant suscitait l'écoute attentive et inspirée. Car, que l'on ne se méprenne pas, ce n'est pas parce que ce genre était confiné dans le ghetto et qu'il était d'humble extraction, que l'esthétique de son verbe et sa codification avaient quoi que ce soit à envier à la poésie savante.
A son propos, le grand spécialiste, Mohammed Belhalfaoui, parlait à son propos de adab melhoun soit, littéralement, la littérature du melhoun ou poésie populaire versifiée. Il soutenait que le bédoui wahrani abritait de grands chefs-d'œuvre, reconnaissables par «leur beauté, leur langue châtiée, la variété et la richesse de leur vocabulaire». Il ajoutait que ce genre «perpétue les traditions de la poésie arabe d'expression classique, la poésie arabe anté-islamique surtout». Et concluait : «Bien des chants algériens rappellent à l'évidence les plus grands poètes arabes du VIe siècle, Antara, Imroulqaïs et bien d'autres, par la force et l'originalité de l'expression, leurs trouvailles poétiques, leurs énergie (mais aussi parfois leur brutalité) et la relative sincérité de leurs sentiments».
Ainsi, si le genre est dit melhoun, ou rattaché au melhoun, ce n'est pas pour signifier qu'il est populaire ou qu'il fait fi de la syntaxe, mais parce qu'il est composé pour être chanté. Et il l'était primitivement a capella, soit sans musique d'accompagnement, avec comme seul support la voix humaine, ainsi qu'il se pratique aujourd'hui encore dans la vallée du Guir (Béchar). De la sorte, parce que chanson d'écoute – ou chanson à texte, comme on voudra –, la musique qui l'habille n'est là que pour assurer une fonction d'accompagnement. Elle est fond sonore, tandis que la voix du cheikh est soliste. Tout est dans les modulations vocales, les registres de la voix et ses inflexions. La rythmique du texte est imprimée par le chanteur, véritable chef d'orchestre, marquant le «mizane» (le tempo) avec le gallal. A ses côtés, les flûtistes (gsasbi) suivent. Ils sont en général deux, le premier dit «erquiza» (base, principal) et le deuxième, «r'dif» (second).
Ce descriptif initial du genre bédoui wahrani nous montre donc qu'il se basait sur une sobriété musicale et instrumentale et une grande richesse littéraire. On peut même supposer que cette sobriété était justement là pour souligner plus encore la richesse. L'instrument s'efface devant la voix et la musique devant le texte. C'est sur ces bases que s'est développé le bédoui wahrani et l'on retrouve d'ailleurs, à quelques variantes près, le même équilibre chez ses «parents» sahraoui et chaoui. Ce dépouillement ou ce minimalisme musical correspond parfaitement à l'univers des grandes étendues, à l'acoustique des steppes et du désert, voire même aux reliefs peu accidentés qui se retrouvent dans le caractère lancinant des mélodies. Il faut y voir sans doute aussi des considérations pratiques comme la nécessité pour le nomade, contraint à de fréquents déplacements, à ne prendre avec lui que l'essentiel ce qui n'aurait pas permis de s'encombrer d'instruments volumineux ou lourds.
Le néophyte se perdrait à tenter de se retrouver dans les multiples dénominations des différents sous-genres issus du bédoui wahrani. En fait, il y en a trois principalement : le guebli qui se joue avec la gasba, mais sans la percussion ; le bsaïli, sans la mélodie, mais avec le gallal soutenant la déclamation du chanteur, et enfin, le m'khazni qui use de la gasba et du gallal réunis. Ces catégories sont musicales, tandis que les autres appellations renvoient aux sous-régions de l'Oranie. On relève ainsi le amri (Sidi Bel Abbès et Témouchent), le mazouni (région de Mostaganem), les variations demeurant liées aux modes musicaux. Le plus en vogue est le beldi dont il existe autant de versions qu'il y a de grandes villes. C'est, en général, à l'origine, du m'khazni qui a pris racine en milieu urbain, se mâtinant, ici et là, de l'accent local, de la rythmique et du phrasé, typiques des lieux.
La chanson-culte «Bakhta»
A Mostaganem, c'est Cheikh Hamada qui a négocié le droit de cité du bédoui. En cette métropole de vieille urbanité, moins européanisée qu'Oran, son centre, entouré d'une haute muraille, est le quartier des descendants d'Osmanlis chez qui on ne badine pas avec le respect de l'étiquette. Il y fleurit les sonorités du chaâbi. C'est avec ce genre que Cheikh Hamada va jeter des passerelles. Il ne s'arrête pas en si bon chemin, lui que ses pérégrinations de chansonnier mettent en contact de l'andalou et du haouzi à Tlemcen. Il enrichit son répertoire poétique en puisant dans le chi'r el melhoun citadin, reprenant génialement les poèmes de Benmsaïb. Entre chants et musiques d'écoute, n'est-ce pas, on ne pouvait qu'être en bonne intelligence ? Cheikh Djilali Aïn Teddeles, disciple de Cheikh Hamada, perpétue l'héritage. Le rythme, chez lui, est dominant, la mélodie est en sourdine, la déclamation primant résolument sur le reste. Il ajouta à la percussion les coups secs de sa chevalière sur le bord du gallal, sachant qu'on en joue en le tapotant des doigts. C'est une sonorité nouvelle qui va faire tache d'huile. Mohamed Larbi El Mamachi (de Hassi Mamèche) est un autre cheikh mostaganémois. Il est d'abord guessab (joueur de flûte) avant de passer au chant pour enfin, en 1970, percer avec un texte de son cru : «Ayni Cherat Cheria Ouel Galb bghaha».
A Sidi Bel Abbès, les porte-drapeaux du baladi furent Cheikh El Madani (1888-1954) auquel succèdera son disciple, Abdelmoula Labassi, dans la machyakha (statut de cheikh). Quant à Cheikh Abdelkader El Khaldi (1896-1964), il est la fierté de Mascara. Il est réputé moins en tant que chansonnier que pour la haute qualité de sa poésie. L'auteur de «Bakhta», son principal amour, aux côtés de Kheïra, Yamina et Zohra, dont il chanta la beauté, vivra la deuxième partie de sa vie essentiellement à Oran. Son regorgeant diwan est repris par presque tous les chioukh du bédoui comme par les maîtres du wahrani moderne : Blaoui Houari et Ahmed Wahbi. Ce fait indique que la chanson moderne oranaise est, en bonne partie, fille du bédoui-wahrani et, pour avoir influencé, elle aussi en partie, le raï, on peut affirmer que le raï lui-même descend en partie du bédoui wahrani ! La reprise de la chanson-culte «Bakhta» par Khaled illustre bien ces passages successifs.
Natif d'Oran (1877-1938), Hachemi Bensmir en est l'emblématique Cheikh. Il n'a jamais voulu enregistrer de disque. Ce sont ses fils qui, finalement, immortaliseront son répertoire sur vinyl. Plus près de nous, Boutaïba Saïdi avait commencé sa carrière en entonnant le raï trab, celui de Cheikha Rimitti. Il devient, à partir de 1968, une star du bédoui wahrani. Son étoile brilla jusqu'aux années quatre-vingts, au moment où le raï moderne le rattrapa, portant l'estocade au bédoui. Rencontré cette semaine, toujours actif, il assure que le bédoui est bien vivant sauf que de beldi, il est revenu à sa ruralité d'origine, son public étant davantage celui des petites agglomérations rurales. «Où, par exemple ?» lui avons-nous demandé. «Les régions nord et sud de Tlemcen, les environs de Relizane et même de Médéa».
Alors, au bout de cette ballade, s'il est un conseil à donner à celui que la curiosité pousserait à faire connaissance avec le bédoui, il est de toute première instance qu'il se «déformate» un instant de ses habitudes d'approche acquises au contact de la musique moderne et surtout de la musique tonale. Qu'il se laisse happer par l'apparente monotonie de la musique bédouie et qu'il se laisse gagner par le bercement de la gasba et du gallal pour, progressivement, commencer à découvrir le verbe ciselé qu'elle enrobe. Par la suite – familiarité oblige –, il commencera à percevoir les particularités de telle ou telle chanson et la variété des interprétations de chaque cheikh. Là, il aura retrouvé une partie d'une mémoire enfouie qui remonte jusqu'au pâtre numide. Et, dans cette ascension historique, des émotions d'une force inouïe.


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