Un air de fête a plané le 19 août dernier sur Ihitoussène, un haut lieu de l'histoire dans la région de Bouzeguène. L'occasion : l'inauguration d'une stèle à la mémoire des 19 martyrs du village tombés au champ d'honneur, lors de la guerre de Libération nationale. Des dizaines de personnes de la localité et de nombreux invités ont pris part à cette cérémonie commémorative organisée à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance. Parmi les présents, les autorités locales (P/APC et chef de daïra), le président de l'APW de Tizi Ouzou, Mahfoud Belabbès, des représentants de wilaya de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), d'anciens maquisards de la Wilaya III ainsi que l'entraîneur de football Noureddine Saâdi, un enfant du village. Après le recueillement au monument dédié aux chouhada, suivi de témoignages sur le rôle prépondérant joué par les habitants de ce hameau durant la Révolution, il a été procédé à la distribution de distinctions et de médailles aux familles des 19 martyrs. «L'idée de ce mémorial a germé d'un collectif d'une dizaine de personnes. L'initiative a été soutenue par les villageois qui ont financé entièrement le projet grâce à des collectes d'argent», confie Salem Hamoum, cheville ouvrière du comité d'organisation, qui, malgré la maladie, n'a ménagé aucun effort pour veiller au suivi des travaux de la stèle. Kamel Kaci, membre de l'association culturelle Les 7 enclumes, dira que le projet a été lancé à l'automne 2010. «Il a été réalisé grâce aux contributions des donateurs. Le projet, discuté durant diverses assemblées générales du village, a été lancé et conduit par un collectif constitué de sept jeunes du village qui se sont investis corps et âme pour concrétiser une œuvre monumentale, qui fut pendant près de cinquante ans en gestation. L'œuvre est mise en chantier grâce aux donateurs. Il serait impossible d'imaginer un aussi grand projet, qui a coûté plus de 500 millions, avec les seuls dons qui provenaient des citoyens du village, mais aussi des contributions des habitants des autres villages qui nous ont offert gracieusement des matériaux de construction de base et de finition. Les travaux qui ont duré deux ans ont permis également de réaliser un musée d'histoire de la forge dont les travaux de finition devront se poursuivre encore dans les jours à venir.» Dans le berceau de la forge Quand on évoque le métier de forgeron, on ne peut s'empêcher de penser au village Ihitoussène. La profession de forgeron se transmet de père en fils depuis des générations. Cette profession, qui débuta il y a environ deux siècles, a occupé une grande place dans la fabrication du matériel agricole, mais aussi dans la maréchalerie et la ferronnerie. La forge locale avait une renommée dans la fabrication d'armes à feu. De nombreux combattants du village sont tombés au champ d'honneur lors de la bataille d'Icheriden, sous le commandement de Lalla Fatma N'Soumer et celle d'El Mokrani. C'est au village d'Ihitoussène que naquit ce métier pour se répandre à travers les lointaines contrées d'Algérie. L'origine du père de la forge d'Ihitoussène reste encore inconnue. On parle de Hidous, une ville marocaine près d'Oujda d'où serait originaire Ahitos, mais d'autres sources évoquent une origine européenne, plus exactement une origine grecque qui reste peu probable. Le centre de formation de tous les forgerons reste toujours le travail sur le terrain. On apprend d'abord la manipulation du soufflet et de frappeur de masse, avant de passer aux commandes face aux braises, maniant le marteau et les pinces et donner à son tour des ordres à l'apprenti. On quitte le poste d'apprenti pour devenir à son tour patron de son propre atelier. Mais quand on devient patron, on quitte les lieux pour s'installer dans un autre patelin. C'est ainsi que les forgerons d'Ihitoussène ont investi plusieurs wilayas de l'est algérien, passant de la basse Kabylie à la frontière tunisienne. Plusieurs villes des wilayas de l'Est comme Akbou, Tazmalt, Ighzer Amokrane, Ath Ourtilane, Kherrata, Sétif, El Eulma, Aïn Azal, Aïn Oulmane, Tadjnanet, Aïn Beïda, Chelghoum Laïd, M'Sila, Sidi Aïssa, Médéa, Kaïs, Batna, Barika…, ont vu l'implantation des forges des Ahitos et qui demeurent encore à ce jour. Les forgerons d'Ihitoussène ont été les principaux fournisseurs d'armes durant l'insurrection de 1871, conduite par El Mokrani et à laquelle certains d'entre eux y ont pris part. Aussi, ils participèrent à la célèbre bataille d'Icheriden en juin 1857 et une trentaine parmi eux y périt. Ils sont enterrés dans l'ancien cimetière du village au lieudit Amar. Cette bataille fut commandée par le général Mac Mahon qui sera blessé. Cette bataille infligea aux Français de grosses pertes selon des ouvrages divers. Les armes anciennes et la poudre, fabriquées à la fonderie du village, grâce à la haute maîtrise de cet art, y ont grandement contribué lors des différentes insurrections armées, comme l'attestent des écrits et des témoignages d'historiens.
