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Alger, grandeur et décadence
Publié dans El Watan le 29 - 05 - 2014

Il y a aussi les airs, par l'aéroport Houari Boumediene, où vous serez accueillis par quelques posters géants du Président réélu, côtoyant des réclames pour des forfaits téléphoniques, mais là ce n'est déjà plus Alger.Alger, c'est le centre-ville, ou plutôt les côtes de la ville, où les immeubles faussement blancs se déversent dans une Méditerranée faussement chaude. Où les rivières sont faites de bitume et les collines de béton briqueté. Alger vue d'en haut plonge inexorablement vers la mer, comme si cette dernière voulait récupérer ces îles — d'où vient le nom d'El Djazaïr — et qui furent rattachées aux côtes en 1566, dans un effort sécuritaire. Dernier rempart aux attaques venues des mers.
Alger, l'état
C'est dans la plus petite wilaya d'Algérie (1190 km2) que se trouve le Palais présidentiel d'El Mouradia, mythique sous Boumediene, si peu sous Bouteflika. D'ici s'annonce une descente sur la baie d'Alger qui dessert le lycée Bouamama (ex-Descartes) où se laisse apercevoir le siège de l'ENTV ainsi que l'hôtel Saint Georges dont on aime à dire qu'il a reçu bon nombre de personnalités comme Winston Churchill, Eisenhower, Che Guevara et bien d'autres.
Smaïl, 38 ans, habite à Larbaâ. Il se réveille chaque matin à 4h pour rejoindre la capitale avec, dans sa besace, des crayons de couleur, une console et du papier couché. «Prendre le train, puis le bus est épuisant» avoue ce dessinateur de rue, artisan indépendant, autodidacte malgré lui. Tout à l'image d'Alger, capitale malgré elle, longtemps menacée par des projets de nouvelle capitale, qui se maintient par le poids du passé. En triant minutieusement ces précieux crayons de couleur, Smaïl se met à l'œuvre en essayant d'ignorer les remarques désobligeantes des gamins qui passent. Il capte chaque jour les visages des Algérois pour 600 da en noir et blanc et 2000 Da en couleur. «Les couleurs coûtent cher», précise-t-il avant de se replonger dans son dessin. Alger a tant de couleurs. Surtout du bleu, au travers de chaque boulevard.
Le bleu étincelant de la mer qui semble narguer le gris omniprésent des murs. Assorti au bleu de l'Etat : il y aurait un agent de police pour 40 Algérois. Ainsi, «il faut se faire discret, trop de curiosité attire les soucis», confie Smaïl, qui a pris l'oubli comme abri. Comme Alger qui aime se cacher d'elle-même.
Alger, l'oubli
De la place Addis-Abéba, le bitume continue sa descente, s'engouffrant dans un couloir d'immeubles vétustes (sacré cœur), condamnées plus bas au vis-à-vis urbain (boulevard Didouche Mourad). Ici ont résonné tant de cris de révolte : étudiants, femmes, jeunes et moins jeunes ont battu le pavé ; ici, comme dans d'autres quartiers, les cris se sont tus. Les avenues ne suffisent pas à porter les noms de tous les martyrs, il fallait donc en oublier certains. Smaïl, lui, n'a pas oublié. «Jeune, j'attendais la fin des programmes pour écouter de la musique classique sur l'ENTV» raconte-t-il, nostalgique. Une musique qui comme Alger survit à traverser le temps, à défaut de cassettes, CD ou de disques durs, Alger semble ne rien pouvoir enregistrer de son passé, dans un combat entre l'amnésie et l'espoir, les algérois sont les victimes.
A chaque génération sa ville. Chaque matin Smaïl longe les trottoirs à la recherche d'une place disponible ; il rase les murs comme pour assurer ses arrières dans Alger qui semble avoir oublié ses batailles. Alger ne parle pas de ses victoires, ne parle pas de ses morts, ne parle pas d'elle-même, ou parfois au détour d'une stèle qui ne parle pas le langage de l'art.
Alger parle
L'hôtel Aurassi domine le Télemly, la bibliothèque nationale, et le Palais du gouvernement. Ici, Charles de Gaulle déclara en 1958 le fameux «Je vous ai compris». Ici, le 11 avril 2007 a explosé une bombe, faisant 30 morts et 75 blessés, il est donc logique que si Alger devait parler, elle ne s'exprimerait pas de ce palais d'où seuls ses propriétaires s'expriment. Aurore Vinot, photographe, ne connaît pas ces dates, mais évoque «cette ville éclatante de lumière, complexe et fascinante».
Loin des clichés, porteuse d'un projet intitulé «Makeda», cette jeune Française zoome sur le métissage interculturel des couples. «Les gens souhaitent rarement se laisser photographier. Je suis face à leurs appréhensions, à cette ville souvent hermétique à se laisser représenter.» Que dirait Alger si elle se mettait à parler ? Peut-être commencerait-elle par écrire sur ses trottoirs, sur ses murs, sur ses immeubles, en lettres majuscules : «Lavez-moi !».
A l'image de ces automobiles garées, portant souvent cette mention écrite à l'encre des doigts sur une page de crasse. Pourtant, au milieu d'un bourdonnement omniprésent, des accents de toutes les régions sont audibles, passant du kabyle au français, de l'arabe à la «dardja». Quand elle prend une photo, Aurore ne parle pas, elle regarde. «Souvent, les regards s'effleurent et se frôlent avec les yeux, cela semble déjà si important ici», confie la photographe venue passer quelques jours à Alger, le temps de quelques rencontres, à l'affût de couples mixtes. Quand elle ne parle pas, Alger chante chaâbi, une poésie crue, racontant désirs, légendes ou tragédies du quotidien. De son berceau, cet art porte une âme que seules les sinueuses venelles de La Casbah peuvent faire si complexes.
Alger, Casbah
En son noyau, Alger cache jalousement son cœur historique, sur près de 120 mètres de dénivelés, se chevauchent terrasses et amonts. Traversant les générations, la casbah a fini par céder aux assauts du temps. Loin des regards de l'Etat, elle se laisse oublier. Ici prirent naissance la bataille d'Alger, les toiles d'Etienne Dinet. Ici, le 15 mars 1997, suite à une embuscade où 5 militaires sont tués, une vaste opération de ratissage est engagée. Sept cadavres de citoyens sont retrouvés dans les ruelles. L'Algérois est lui-même touriste à La casbah tant il la connaît peu. Plusieurs associations se battent encore pour garder les derniers vestiges de ce site classé patrimoine mondial par l'Unesco en 1992. Vue d'ici, Alger semble décliner toute invitation à la modernité.
Aujourd'hui, quelques jeunes téméraires relèvent leurs manches pour nettoyer bénévolement les rues. La casbah parle l'inéluctable vérité de son métissage, de sa pudeur, de son imposante ossature, de son vide, de sa mort annoncée, de son déclin. Aurore reprend le chemin du retour ; ici les rencontres semblent l'avoir ensorcelée. Elle part outre-mer pour exposer les photos qu'elle a prises de son périple. L'émotion lui fait dire : «J'ai presque envie de rater mon vol tant Alger et ses Algérois sont attachants.»
Alger, rois
Le front de mer urbain du centre-ville d'Alger offre des vues dignes de cartes postales, promenades que de jeunes couples avides de loisirs sillonnent, pour s'engouffrer dans le centre-ville aux prémisses du boulvard Amirouche. Ici, le 30 janvier 1995, explose une voiture piégée près du commissariat central d'Alger, 42 morts. Ici, Alger mêle le présent au passé, le ronronnement de la ville au sourd cri du chaos. Alger, ses escaliers, ses ruelles, ses câbles électriques traversant les boulevards, ses balcons tombants, ses paraboles, ses places de parking difficiles à trouver, font de l'Algérois un métropolitain asservi à son urbanisme.
Pour les trois millions d'Algérois qui prennent le bus tous les jours, il n'est pas toujours facile d'aimer cette ville. «On subit», lâche Zahir, la trentaine, en s'extirpant d'un bus. «Alger nous oblige à être Algérois», ajoute-il avant de quitter la station. Ailleurs, dans les boulevards de la capitale, le ton est autre. «On tombe tous les jours amoureux», lance Riad, un jeune homme rencontré à la place du 1er Mai. Elancé, le regard alerte, Riadh se penche précipitamment vers la droite pour suivre du regard une jeune femme de passage. «La beauté algéroise, allah ybarék, ça remonte le moral», lâche-t-il à voix haute pour qu'elle l'entende. La jeune femme ne se retourne pas. Sans sourciller, le dragueur cherche une autre beauté à interpeller.
Alger, la nuit
Tapissée de ses lumières, la ville entre dans une autre dimension. Silence. Alger flotte. Quelques voitures ralentissent en face du TNA, il y aurait un concert ce soir. Elles déposent des spectateurs avisés. Au square Port Saïd, les marchands de devises viennent de terminer leur journée. Ici se tiendra ce soir le concerto de l'Orchestre symphonique d'Alger réservé à une caste d'Algérois à laquelle Riadh, le jeune chômeur, n'appartient pas. La nuit à Alger, la population se divise en deux, ceux qui restent chez eux, et ceux qui sortent. Rues vides, stores fermés, lumières jaunâtres. Quelques établissements à porte fermée distillent les derniers clients déjà éméchés. Certains d'entre eux prennent inconsciemment le volant, arpentant les ruelles, évitant les barrages de police, maîtres d'Alger la nuit.
Les plus chanceux résident à deux pas. Moins chanceux, les sans domicile fixe qui se partagent quelques places publiques, arrêts de bus, halls, rarement le confort relatif d'une cage d'escalier. «Le plus important est de mettre nos jeunes enfants en sécurité», confie une dame, la quarantaine, sans domicile fixe, nomade de ce grand désert qu'est la nuit d'Alger. Une mère avant tout. Elle est pressée de s'en aller. Il est déjà tard. Elle serre son fils dans ses bras et se dérobe aux regards, comme une ombre que personne ne doit voir. Que personne ne voit d'ailleurs. «Les barrages de police sont déprimants mais ils rassurent», confie Hassina, jeune algéroise, employée de banque, rejoignant sa voiture pour démarrer en trombe.
Alger est un théâtre qui vit de ses émotions, tous les verbes lui conviennent. Alger rit de son insouciance, pleure de ses oublis. Alger chante son passé et présage un chaos à venir. Alger étouffe de son espoir et respire sa crasse. Alger hante ses algérois et les supplie pourtant d'y demeurer. Alger désire. Alger promet de la grandeur, sans s'inquiéter de sa décadence.


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