-Vous qui n'avez jamais vu l'Algérie, comment avez-vous fait pour écrire une histoire sur la Guerre de Libération nationale ? Quelles sont, d'un côté, la part de vrai et, de l'autre, celle de l'imagination ? D'abord grâce à ma mère, puis en allant en Algérie voir mon oncle, ancien maquisard, puis ma tante et la sœur de ma grand-mère, qui sont devenus les personnages de mon livre. Mon regard a été objectif car c'était la première fois que je voyais l'Algérie pour écrire ce livre. Lorsque mon oncle m'a montré son ancien village détruit, de voir une maison d'époque et d'avoir vu le Camp du Maréchal (camp de prisonniers de l'armée française, ndlr) qui existe toujours, cela a planté mon décor et j'ai plongé dedans. La part du vrai est celle de leurs propres histoires que je relate à travers le livre et, pour la première fois en tant que romancière, je n'ai rien inventé, car je me suis servie de faits historiques pour la partie des «fermes». La création a été juste dans la forme de l'histoire, l'écriture. Il s'agissait de me mettre dans la peau des personnages. -Pourquoi avoir choisi la forme romanesque conduite comme un scénario ? Auriez-vous préféré en faire un film ? Lorsque ma mère et mon oncle m'ont raconté leurs histoires, je voyais immédiatement des images. J'ai d'abord pensé cette histoire pour un livre, passer par des mots pour libérer la parole était nécessaire, ensuite, si le film suit derrière, ce sera une belle histoire à montrer… -Ce roman change-t-il quelque chose dans votre regard sur le pays de vos ancêtres ? Oui, totalement, c'était incroyablement courageux ce que le peuple algérien a fait contre le colonialisme, pour briser ses chaînes. Il ne faut pas oublier la force de nos anciens, elle doit devenir notre moteur pour avancer en paix avec les Français qui doivent prendre leurs erreurs comme un exemple à ne plus répéter et avancer de façon juste avec les Algériens, sans oublier notre indélébile passé commun. -Depuis ce livre, regardez-vous différemment la femme algérienne ? Votre regard sur l'immigration a-t-il changé ? Oui, mon regard à changé, je sentais déjà que la femme algérienne était forte, c'est pour cela que j'ai choisi d'aborder la guerre sous l'axe des femmes. Il ne faut pas oublier la lutte de ces femmes, elles doivent avoir une place égale aux hommes. Trop d'enfants d'immigrés ne connaissent pas leur propre histoire, je pense que leur rôle est de se la réapproprier, par reconnaissance pour les luttes de leurs anciens, perpétuer l'histoire en avançant sans haine ni revanche mais avec force et fierté. -Dans une société française où il est de bon ton de ne pas trop s'appesantir sur ses origines, regrettez-vous d'avoir levé un coin d'ombre de votre histoire familiale ? Je ne regrette rien, au contraire, j'ai fait la lumière sur mon histoire familiale qui ressemble à celle de beaucoup de familles algériennes et françaises d'origine algérienne. En abordant la guerre d'Algérie sous l'axe des femmes, je les ai fait revivre pour qu'on ne les oublie pas… Oui, c'est une des raisons pour lesquelles j'ai voulu aborder cette guerre. C'est essentiel pour lutter contre cette indigestion de l'histoire, regarder objectivement la guerre pour mieux vivre notre relation France- Algérie. Nous ne pouvons pas rester dans l'ignorance ou le déni par peur illusoire de réveiller les fantômes. La guerre d'Algérie est un épisode historique qui doit être traité comme tel et non comme un tabou. C'est par les silences que certains s'emparent de l'histoire et la manipulent. Cette histoire passée permettra aux générations futures de mieux vivre et de faire évoluer les relations entre ces deux pays. Aussi, la France doit se rappeler qu'elle incarne la résistance, comme celle qui a soutenu la cause algérienne, avec des hommes et des femmes comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Francis Jeanson, Germaine Tillion… En ces temps présents, il est important que la France se rappelle qu'elle est un pays de résistants et non de collabos. * La Maquisarde, roman, Nora Hamdi, 196 pages, éditions Grasset avril 2014.