Seront-ils enfin entendus par le reste de la société française ? Cette dernière cessera-t-elle enfin de les considérer comme une communauté distincte ? A ceux qui estiment qu'ils sont discrets, ils entendent être nombreux cet après-midi à prendre part à la manifestation républicaine à Paris, mais aussi dans toutes les villes de l'Hexagone, en tant que citoyens et membres de la communauté française. De nombreuses personnalités musulmanes se sont exprimées sur le sujet. C'est ce qu'a noté à juste titre le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a déclaré jeudi : «Je tiens à relever en particulier la très grande fermeté avec laquelle toutes les composantes de l'islam de France ont immédiatement dénoncé ce lâche attentat comme constituant un dévoiement absolu de la religion.» Et d'ajouter : «Nous ne tolérerons aucun acte, aucune menace visant un lieu de culte, pas plus qu'aucune manifestation hostile dirigée contre des Français en raison de leurs origines ou de leur religion. Les auteurs de tels actes doivent savoir qu'ils seront eux aussi recherchés, arrêtés et punis.» Au lendemain de l'attaque terroriste contre Charlie Hebdo, beaucoup de musulmans de France ont exprimé leur crainte de la stigmatisation. Et non sans raison : plusieurs attaques ont déjà été commises à l'encontre de la communauté musulmane depuis l'attentat de mercredi contre Charlie Hebdo. «Les musulmans de France ne devraient pas avoir un sentiment de culpabilisation à la suite de cet acte abject. Ce sont des citoyens à part entière et ne devraient aucunement adopter une posture de démarcation devant des actes perpétrés par des criminels. Celles ou ceux qui souhaiteraient assigner les musulmans de France à dénoncer ces actes de barbarie les associent, directement ou indirectement, à ces terroristes. Chacun doit être libre quelle que soit sa croyance d'exprimer son indignation», a souligné dans les colonnes d'El Watan (édition du week-end dernier) Fayçal Megherbi, avocat au barreau de Paris et militant du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). De son côté, Madjid Si Hocine, animateur du site L'Egalité d'abord et cofondateur du Forum France Algérie, affirme dans la même édition d'El Watan : «Je ne vois pas au nom de quoi les musulmans de France seraient obligés de faire plus que les autres citoyens français. Néanmoins, il est dans notre intérêt de garder l'initiative pour dire que les terroristes ne nous représentent aucunement.» «Il faut qu'ils restent intelligents et qu'ils ne tombent pas dans le piège des discours et des actes de haine. Pour cela, il nous faut un profond travail de pédagogie. Les musulmans de France doivent expliquer à leurs concitoyens qui ne connaissent pas grand-chose de l'islam, que notre religion prône la paix et la tolérance. C'est un rôle et une responsabilité à assumer au quotidien». «Ce travail de pédagogie est la responsabilité de tous les musulmans et particulièrement des représentants de cette communauté. J'espère que ces derniers mettront de côté leurs différends. Je recommande à toutes les instituions de l'islam en France d'élire un seul porte-parole, courageux et capable de dire clairement les choses.» Que faire contre les amalgames ? L'anthropologue, philosophe et intellectuel Malek Chebel refuse, lui aussi, l'amalgame entre les musulmans et la tuerie de Charlie Hebdo. «Nous devons, collectivement, prendre conscience de la mauvaise tournure que peuvent prendre tous ces événements. C'est la raison pour laquelle il faut que l'on s'écoute, que l'on se parle, que l'on rétablisse le dialogue, même improbable, entre les religions», suggère-t-il dans une interview à L'Express. «Il ne faut pas jouer avec les sentiments d'appartenance de chacun, c'est de la nitroglycérine ! Tous les Français sont citoyens d'un même pays.» «Il faut éviter tout amalgame entre l'islam et la violence terroriste», a-t-il ajouté. Pour ce faire, Malek Chebel propose «un travail difficile mais nécessaire de pédagogie et d'explicitation. Et en s'appuyant sur un islam organisé et structuré, ce qui n'est toujours pas le cas, je le déplore. Je ne cautionne pas ces imams de France, autoproclamés et pas formés, qui pérorent dans leur mosquée et laissent partir des jeunes Français se former à la guerre à l'étranger. Je regrette profondément l'absence d'un leader musulman charismatique qui puisse faire entendre une parole aujourd'hui étouffée et inaudible». Le Président français a appelé à la vigilance, à l'unité et au refus de tout amalgame. Il le redira cet après-midi. «Ces illuminés, ces fanatiques n'ont rien à voir avec la religion musulmane», a-t-il souligné vendredi soir dans une déclaration solennelle, après le dénouement des deux prises d'otages, exhortant à être «implacable» contre le racisme et l'antisémitisme. «Nous avons engagé une guerre contre le terrorisme, pas contre une religion», a dit pour sa part le chef du gouvernement, Manuel Valls. Toutes ces déclarations appelant à la cohésion et à l'union nationale, sans discrimination de quelque composante que ce soit, seront-elles traduites dans les faits et mises en œuvre au quotidien ?