Enfoncée dans la torpeur estivale de décembre, la petite ville d'Uyuni attend les pluies de janvier, tant elles sont rares ici. Dans son petit bureau du MAS, parti au pouvoir, Juan, 35 ans et le visage desséché par le soleil, est fier de montrer la représentation de Evo Moralès le président, habillé en Targui, référence au logo du rallye Paris-Dakar qui ne passe plus en Afrique comme son nom l'indique, mais en Amérique du Sud, précisément par le Salar d'Uyuni. «Il y a encore 3 ans, il n'y avait pas de route pour arriver ici, uniquement des pistes», explique-t-il, et il faut évidemment mettre cette avancée notable sur le compte du Président. C'est toute l'étrangeté de l'image, le Targui, symbole du rallye Paris-Dakar, est devenu le logo officieux de Moralès et de son parti, bien que son chèche ait été remplacé par un chapeau flanqué d'une étoile au milieu, symbole du guévarisme. Et si le train a disparu comme en témoigne ce cimetière de ferraille, locomotives et wagons arrêtés comme le temps semble l'être ici, il a été remplacé par les voitures japonaises. Volant à gauche, emplis de GPL subventionné par le gouvernement, elles sont seules à slalomer entre les islas, ces «îles», ainsi dénommées les quelques terres émergées qui donnent un peu de relief à cette étendue incroyablement plate et blanche, vestiges du temps où ce lac préhistorique était rempli d'eau. La route, entre cactus géants et soleil brûlant, petit arrêt à «La maison de sel», rare point humain érigé sur ce gigantesque miroir. Comme dans le Sahara, on construit des briques avec de la terre pour en faire des maisons, on construit ici avec des briques de sel. Un verre d'eau, salée, le temps de voir un drapeau algérien flotter, planté bien droit dans le Salar. Signe que des compatriotes sont passés par là. Du lithium pour ma batterie Un vaste désert blanc, des lamas et vigognes, des flamants roses qui s'égaient dans les quelques lagunes aux noms de teintes, laguna Verde, laguna Blanca, ou simplement Colorada. Pas de téléphone, réseau absent, pas d'électricité mais simplement des petits panneaux solaires à 100 dollars l'unité, de quoi alimenter des lumières domestiques et quelques appareils électriques de base. C'est pourtant ici, dans ce vaste désert de sel plat comme une main tendue que se trouve le tiers des réserves en lithium de la planète, composé indispensable aux batteries électriques des téléphones et autres appareils. Les multinationales sont déjà là, mais l'industrialisation minière se fait lentement par égard à la nature, dans un temps bolivien que soulignait Rafael le quantique (voir reportages 5 et 6), expliquant que «le capitalisme a besoin pour produire de détruire sciemment parce qu'il conçoit la nature comme une entité sans capacité émotionnelle, psychique ou affective, et il peut faire ce qu'il veut, d'autant qu'il considère ses richesses comme infinies. Il en découle qu'il trouve normal d'exploiter la nature et l'être humain à l'infini, ce qui est pour nous une hérésie.» Nous sommes encore sur les terres de la Pachamama, il faut donc aller doucement, comme Juan le militant du MAS assis au bord de ce train qui ne roule plus, et qui évoque son pays et le dépeçage de sa «Bolivie la mal-aimée», perdant des territoires du Sud riches en hydrocarbures au profit de l'Argentine en 1862 et en 1883. «Puis son accès à la mer et ses zones riches en cuivre pendant la guerre du Pacifique contre le Chili en 1879. Puis, une partie de l'Amazonie riche en caoutchouc, annexée de force par le Brésil en 1903, et enfin la guerre du Chaco contre le Paraguay en 1932, où la Bolivie perd encore des terres pétrolifères et toute une partie de sa jeunesse.» Oui mais, comme le faisait remarquer l'ex-président Zamora (voir reportage 2), «ce fut le moment où les Boliviens qui ne se connaissaient pas se sont rencontrés dans la guerre, créant un sentiment national pour de pauvres paysans éparpillés sur le territoire.» Oui, c'est justement le moment de quitter la Bolivie la mal-aimée, du lac salé d'Uyuni vers San Pedro au nord du Chili, 500 kilomètres plus loin par la longue piste qui traverse le désert d'Atacama. Passé un dernier volcan, le Licancabur, divisé en 2 avec son côté chilien et bolivien, c'est le sable, et contrairement à ce que l'on pense généralement, ce n'est pas le Sahara qui est le désert le plus aride au monde mais l'Atacama, terre sèche où il ne pleut jamais. A part des larmes de ces mères inconsolables qui cherchent encore dans ces sables les dépouilles de leurs fils disparus sous la dictature Pinochet.