Quand on regarde les photos satellite de la planète, on découvre une tache perpétuellement ocre qui jamais, au long de l'année, n'est recouverte de nuages. C'est le désert d'Atacama classé comme le plus aride au monde, la pluie n'y tombant que 3 à 4 fois par siècle dans certains endroits, mais aussi le plus haut du monde, situé autour de 3000 m d'altitude. Territoire des Indiens Atacamos (les Likan Antay, une communauté Aymara) écartelés sur quatre pays, le Chili, le Pérou, l'Argentine et la Bolivie, c'est une vaste terre craquelée, parsemée de volcans hauts de 6000 m et d'impressionnants geysers qui crachent de l'eau brûlante. Entre punas (montagne), quebradas (falaises) et salars (lacs salés), une petite foule de travailleurs, commerçants et quelques touristes est debout devant une baraque improvisée en métal, plantée dans la solitude de l'Atacama. C'est le poste frontière entre la Bolivie et le Chili établi au détour du volcan Licancabur au sommet duquel vivent les dieux Atacamos, sur un plateau rocheux au bout d'une piste poussiéreuse. Juan, le propriétaire du 4x4 qui m'a fait traverser, s'arrête ici, il ne peut pas aller plus loin, au Chili. Là est son territoire et avec sourire, il lance un dernier «Todos somos Evo», nous sommes tous des Evo (Moralès, le président atypique bolivien)», signe de défiance envers les Chiliens considérés encore comme des Blancs consuméristes adeptes du libéralisme sauvage, même sous la présidence actuelle de Michelle Bachelet, une femme de gauche et ancienne opposante aux militaires soutenus par les USA. Les douaniers fouillent tous les sacs, patiemment et minutieusement, et pour cause, nous sommes ici sur la route de la cocaïne, qui vient de Colombie, passe par la Bolivie pour venir s'égarer dans ces déserts où la densité de population est l'une des plus faibles au monde. La tension entre les deux pays est encore forte, les deux nations se méfiant encore l'une de l'autre, agencées dans de complexes arrangements continentaux entre la CAN, Communauté andine des nations et le Mercosur, marché commun sud-américain, sur fond d'affrontements économiques autour des zones de libre-échange avec les USA. Allié à l'Amérique, le Chili a toujours tourné le dos aux Andins et durant la dictature de Pinochet (1973-1990), les militaires exécutaient les opposants et venaient les enterrer ici, dans ces sables infinis, pour que personne ne les retrouve. Aujourd'hui encore, on peut croiser dans le désert des femmes cherchant toujours les cadavres de leurs fils, maris ou pères, à jamais engloutis. Le Chili est aujourd'hui une démocratie, de même que la Bolivie. Ce qui revient à la question centrale : pourquoi l'Afrique et le monde arabe n'ont-ils pas réussi leur démocratisation ? «Le sable», avait lancé Juan dans son 4x4 sans climatisation, probablement en référence aux grandes étendues désertiques qui s'alignent d'ouest en est, du Sahara au Rub' El Khali saoudien. «Trop de sable». Le pays sans mer De piste et de rocaille, le tracé se transforme subitement en goudron lisse. C'est la grande descente vers le Chili, qui contraste avec la Bolivie. De la falaise, l'altitude est dévalée rapidement pour atterrir dans un creux mou, San Pedro, l'une des rares oasis de l'Atacama, devenue village chilien très touristique installé près de l'antique centre indien de Tastil. Techniquement, c'est la limite sud de l'empire Inca, à partir de là il n'y a pratiquement que des Blancs, descendants d'Européens qui ont colonisé le continent. Ce qui rappelle l'archéologue guévariste, José Daniel Guiterrez (voir reportage 1), qui m'avait expliqué sa théorie du peuplement sud-américain : «L'idée de la colonisation indienne par le détroit de Behring (détroit entre la Sibérie russe et l'Alaska US, gelé pendant la dernière glaciation et qui aurait servi de passage entre l'Asie et l'Amérique) n'a pas de sens. C'est trop loin et trop coûteux en énergie.» Pour lui, «la colonisation du continent par les premiers hommes s'est faite par bateau, et par le Chili justement, venant des îles du Pacifique», ce qui est effectivement plus logique. Justement, la Bolivie n'a plus de mer, ayant perdu l'Atacama et l'accès au Pacifique dans une guerre avec le Chili (en 1878) où les pauvres Indiens Atacamos se sont retrouvés des deux côtés de la ligne de front. Seul pays andin sans mer, la Bolivie de Moralès revendique depuis 2011 l'accès à l'océan, de même que l'ensemble du désert d'Atacama jusqu'à Antofagasta sur le Pacifique. C'est d'ailleurs encore un ex-président, Carlos Mesa, (la Bolivie a connu 128 coups d'Etat depuis son indépendance, avec presque autant de présidents, voir reportage 2), devenu journaliste, qui défend le dossier auprès de la Cour internationale de La Haye. Et, dernièrement, la Bolivie a organisé un Forum à Santa Cruz, regroupant tous les pays qui n'ont pas d'accès à une mer (une quarantaine). Sans résultat, mais le Pérou a offert un accès au Pacifique à la Bolivie et l'Uruguay de José «Pépé» Mujica, un autre accès à l'Atlantique. Pour l'instant, c'est encore le désert chilien et il faut quitter San Pedro où il y a décidément trop de touristes. Cette fois, c'est du bus, passage par Escondida, la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert au monde, Calama, la grosse ville minière surnommée «la ville des 3 p» - perros (chiens) polvo (poussière) et putas - pour atteindre Antofagasta sur le Pacifique et prendre la Ruta Nacional 5, ce tronçon de la grande route panaméricaine qui relie l'Alaska à la Terre de feu, du cercle arctique aux portes de l'Antarctique sur 20 000 km, en passant par l'Atacama. Comme la Transsaharienne qui doit relier Alger à Lagos et qui n'est pas terminée, il ne reste qu'un tronçon de 90 km à couvrir pour la Panaméricaine, dans la jungle frontière entre le Panama et la Colombie. On n'y est pas. La RN5 est droite et aride, mince couloir entre le Pacifique à droite et les majestueuses Andes à gauche.