On l'appelait «enfant de la lune». Encore lycéen, il rêvait de devenir médecin. Hamidi Abdelkader, «Abdeka» pour les intimes, finit par changer d'avis après avoir campé le rôle de «Kherdouche» dans la pièce La chambre des amis, mise en scène par Sadek El Kebir et produite en 2013 par le théâtre de Sidi Bel Abbès. Inspirée d'un conte d'Ibnou Al Moqafaâ, la pièce relate l'histoire de Hillel, roi des singes, détrôné par ses sujets. «Abdeka ne s'était guère frotté au théâtre auparavant, ni à n'importe quelle autre exhibition artistique, mais cela ne l'a pas empêché d'apprendre parfaitement son rôle», révèle Sadek El Kebir. «Abdeka disait qu'il n'avait jamais été aussi libre qu'au théâtre», ajoute-t-il. Il était le meilleur dans sa classe de terminale, au lycée Azza Abdelkader (ex-Laperrine), malgré son handicap. Pour le protéger de la lumière, un rideau noir couvrait la fenêtre à côté de laquelle il se mettait. A l'extérieur, il était toujours contraint de porter une tunique de protection contre la lumière. Tidjini Abdelkader, son copain de classe, qui partageait avec lui le même banc d'école, l'accompagnait souvent jusqu'à l'arrêt du bus du centre-ville, d'où il se rendait à la commune d'El Amarna, située à 3 kilomètres de la ville de Sidi Bel Abbès. «Ni son handicap, ni l'éloignement de son lieu de résidence ne l'avaient poussé à abandonner ses études, encore moins l'expérience théâtrale qu'il venait de commencer», affirme Tidjini. «Pour l'anecdote, le proviseur du lycée Sidi M'rabet lui avait lancé un jour ce défi : ‘‘Si tu réussis ton bac, je prendrai définitivement ma retraire''. Il voulait le motiver, le pousser à aller loin dans ses études. Et c'est ce qui s'est passé», se souvient-il. Au théâtre, Abdeka affichait la même détermination. Il se donnait beaucoup de mal pour être à l'heure pour ses séances de répétitions. Malgré sa frêle corpulence, Sadek El Kebir le fit évoluer dans le rôle de celui qui défia Hilal, le roi des singes. Il prêtera, trois mois durant, sa voix à un texte rédigé en braille et évoluera aux côtés de Mebarka Belfekroune, Hakima Boudraâ, Mohamed Amine Bensafi, Mohamed Lahouali et Samir Merabet (à la musique), tous non-voyants, comme comédien à part entière. «La chambre des amis est un lieu où les visiteurs s'imprègnent de la vie des non-voyants, où la lumière est interdite, où les comédiens autant que le public ont perdu la vue», d'après le metteur en scène Sadek El Kebir. Faute d'aide, la pièce n'a été présentée que trois fois, à Sidi Bel Abbès, Béjaïa et dans l'espace Plasti du quotidien Algérie News, interdit de parution par le pouvoir depuis 2014. Hamidi Abdelkader est décédé en janvier dernier. Avant lui, son grand frère est mort des suites de cette maladie. Son jeune frère en souffre encore lui aussi. Jeudi, à l'ouverture de la 9e édition du théâtre professionnel de Sidi Bel Abbès, un vibrant hommage a été rendu à l'enfant de la lune. Un documentaire poignant de 52 minutes sur sa courte expérience théâtrale a été projeté en présence de ses amis et de son père. Il fait partie d'une série de sept documentaires réalisés par les éditions Lalla Moulati, consacré aux acteurs non-voyants et intitulé L'art d'aller moins vite. «Faute de financement, ces productions risquent de ne jamais être visionnées par le public», selon Sadek El Kebir. Cette 9e édition, placée sous la thématique du théâtre au service des personnes aux besoins spécifiques, est dédiée à Hamidi Abdelkader.