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«De Gaulle a couvert par son autorité toutes les opérations de répression en Algérie»
Publié dans El Watan le 09 - 05 - 2015

– Nous aimerions, tout d'abord, revenir avec vous sur le contexte des événements du 8 Mai 45. Il nous semble qu'un certain flou persiste quant à la «paternité politique» des manifestations du 8 Mai 1945, et le rôle du PPA et des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté) dans ces événements. S'il y avait consensus sur l'importance de participer aux «défilés de la victoire», il y avait des divergences entre ces deux courants, sur les mots d'ordre et le contenu «revendicationnel» des manifestations. Pourriez-vous nous éclairer sur cet aspect ?
Concernant le contexte des événements du 8 Mai 45, il est très important de se rappeler que pendant la Seconde Guerre mondiale, il y a eu des renversements de situation en Algérie sur le plan politique et sur le plan des rapports de force entre les Algériens et le pouvoir colonial français, en particulier à partir de 1940. La France est alors occupée. Le gouvernement change.
C'est l'époque du gouvernement de Vichy, avec à sa tête le Maréchal Pétain qui collabore avec les Allemands. Ce qui fait qu'au niveau de la colonie Algérie, le gouvernement général change de main, et toute l'administration commence à changer de main aussi, y compris l'administration locale.
C'est ainsi que, pendant la période 1940-1943, va se mettre en place un dispositif nouveau, avec des alliances nouvelles, des administrateurs civils, des officiers de l'armée française, qui sont plus ou moins pétainistes. Donc, les anciens officiers de l'armée française, les anciens administrateurs civils proches de la IIIe République sont déchus. Cela aura pour conséquence un changement d'alliances, au niveau local, entre les notables «indigènes» et les administrateurs français. Cela crée des mécontentements. Et dans les archives du «Département de Constantine» que j'ai consultées, on voit apparaître une montée des contestations et des résistances à l'administration locale.
– Des formes de dissidence ?
Pas encore des dissidences. Ce sont des agitations, des protestations, des refus de fonctionner dans le système administratif et militaire français. Et on voit plein de plaintes d'administrateurs civils qui portaient sur le refus des réquisitions de guerre, le refus de répondre à l'appel sous les drapeaux pour certains, la protection des déserteurs par les populations locales, etc.
Donc, il y a quelque chose qui se passe, une montée d'une contestation dans certaines régions. L'autre rapport de force qui va apparaître et qui va changer radicalement les choses, c'est l'arrivée des troupes américaines et des Alliés en décembre 1942 dans les côtes nord-africaines, au Maroc, à Oran, à Alger, et dans l'Est algérien.
En même temps, les Etats-Unis considèrent qu'en fait, la France (de Vichy, ndlr) alliée des Allemands, n'est pas un allié objectif des intérêts américains, et que peut-être le moment est-il venu pour que les Etats-Unis remplacent la France dans cette région du monde, c'est-à-dire le flanc sud de l'Europe méditerranéenne. Le président américain Franklin Roosevelt envoie son représentant, le général Murphy, qui va rencontrer les représentants des mouvements nationalistes modérés au Maroc (L'Istiqlal), en Tunisie (le Néo-Destour) et en Algérie (Ferhat Abbas de la Fédération des élus).
Il les encourage à présenter leurs doléances dans le cadre de la Charte atlantique. C'est alors qu'après consultation de Me Ahmed Boumendjel, de Lamine Debaghine et Asselah Hocine au nom du PPA clandestin, et de Larbi Tebessi au nom de l'Association des Ulamas musulmans algériens, est rédigé par Ferhat Abbas, en février 1943, le Manifeste du peuple algérien pour les libertés. Le document va servir de base à une association fédérative.
D'après les textes d'archives et d'après les témoignages, Murphy rencontre Ferhat Abbas et la Fédération des élus. Il leur demande, comme il l'a fait avec les Marocains et les Tunisiens, de présenter une plate-forme politique revendiquant leur droit à l'autodétermination et à la libération. En vérité, il cherche des alliances auprès des peuples de la région pour venir appuyer l'Alliance atlantique dans le flanc sud de l'Europe et en Afrique du Nord.
– Le général Murphy n'a pas rencontré des responsables du PPA ?
Non. Il voulait les modérés. Cela dit, le Manifeste du peuple algérien pour les libertés est signé par plus de cinquante élus et personnalités qui ont porté leur nom sur ce document avant que ne se constitue l'Association des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) à laquelle adhèrent toutes les sensibilités politiques et religieuses. Les élus le présentent au gouverneur général de l'époque, et le gouverneur général le rejette en leur disant il est trop long, faites-moi un résumé. En retour, ceux-ci lui présentent un Additif, avec des revendications très nettes, très claires, remises au Gouvernement provisoire dirigé par le Général Catroux le 26 juin 1943.
La première de ces revendications réclamait un gouvernement avec la participation des Algériens, pas un gouvernement algérien, mais un gouvernement avec la participation des Algériens. C'est ça la modération. Donc, la représentation de ce que pourrait être un gouvernement algérien reposait sur l'idée de la coexistence, de la cohabitation avec les diverses communautés, et en termes clairs, la participation des Algériens à leur propre gouvernement. Ce qui est totalement différent du programme du PPA. Tel que présenté en février 1927 au Congrès de Bruxelles, ce dernier revendiquait l'indépendance totale, une armée algérienne et un Parlement algérien.
Il n'y avait pas de possibilité de partager le gouvernement avec d'autres communautés que les Algériens. Ce sont là des nuances importantes. Après le rejet par le gouvernement général des revendications du Manifeste et du groupe qui le portait, des négociations sont engagées avec le PPA et les autres formations, dont les Ulamas, en particulier, pour créer l'Association des Amis du Manifeste et de la Liberté. C'est en fait, historiquement, la plus grande association qui ait jamais existé en Algérie.
– Dès le départ, le PPA y figurait ?
Il a été intégré ou, du moins, associé à la constitution, à la structuration et à l'organisation des AML. Le PPA a accepté de le faire parce que cela lui permettait d'avoir une activité publique sous une couverture légale. Il faut rappeler que le PPA était une organisation clandestine à cette époque. Ses militants qui ont déserté ou qui ont fait un refus de conscription, c'est-à-dire refusé d'aller sous les drapeaux combattre pour la France, sont entrés en clandestinité, pour ne pas dire ont pris le maquis.
Et Messali était en détention, lui et la direction du parti. Donc, les éléments du PPA sont dispersés. C'est alors qu'il y a eu des négociations entre Lamine Debaghine, Chawki Mostefaï et d'autres responsables non emprisonnés, d'une part, et les partisans de Ferhat Abbas. Cette association servait ainsi de couverture pour les militants clandestins du PPA.
– Vous dites que les AML ont constitué le plus large rassemblement de militants du Mouvement national à cette période…
Il y a eu 100 000 à 200 000 adhérents à cette association. Et d'après des témoignages que j'ai recueillis, on ne pouvait monter dans un bus si on n'était pas AML. L'appartenance AML était devenue comme une sorte de carte d'identité, une carte de visite pour les Algériens.C'est la première fois qu'ils se retrouvaient dans un cadre unitaire, avec les notables, les Ulémas, avec les membres de la Fédération des élus, etc. On est entre 1943 et 1945. Dans cette mobilisation de masse, ce sont les militants du PPA qui l'emportent du point de vue du nombre. Ils avaient un ancrage populaire du fait que c'étaient eux qui demandaient «El istiqlal ettam» (L'indépendance totale), et qu'on avait poursuivis, réprimés, enfermés, etc. Ils avaient «echiaâ», une aura, de la crédibilité, comparativement aux élus et aux Ulémas qui étaient plus modérés, qui demandaient l'intégration.
L'idée d'une séparation totale avec la France, c'était l'idée du PPA. Il était le seul à revendiquer «El istiqlal ettam», pas une semi-indépendance ou la participation des Algériens au gouvernement de leur pays. Ce qui n'était pas dans l'esprit des élus ni dans celui des Ulamas. Du point de vue des effectifs, la majorité de la base AML était plus PPA que Fédération des élus ou Ulémas. En 1945, il y avait eu les manifestations du 1er mai, avant le 8 mai, avant les fêtes de l'Armistice.
– Le PPA avait appelé à manifester le 1er mai, entre autres pour se démarquer du PCA et de la CGT, et c'est là qu'il y a eu les premiers morts à Alger, n'est-ce pas ?
Oui, exactement. C'était un prélude au 8 Mai 1945. Il faut quand même qu'on revienne aux événements du 8 Mai 1945 parce qu'il faut rappeler qu'ils sont extrêmement importants, en dehors du contexte. Quand arrive le 8 mai 1945, l'occasion est donnée aux militants du PPA, sous le couvert des AML, de manifester pour la liberté enfin retrouvée ou la libération, selon l'acceptation française et occidentale.
Mais, selon l'acceptation et l'interprétation «PPiste», c'est la libération de l'Algérie qui est en jeu. Donc, le fameux incident du drapeau était en quelque sorte prémédité. Et dans la manifestation étaient scandés les slogans du PPA : «L'Algérie algérienne», «L'indépendance», «Libérez Messali», etc. Les slogans «PPistes» étaient vécus par les modérés, par la Fédération des élus, avec, à leur tête Ferhat Abbas, comme un débordement, un dépassement des mots d'ordre, une provocation.
– Après la Seconde guerre mondiale, Ferhat Abbas, qui était loin d'être un novice en politique, ne se dit-il pas que le système colonial va finir par craquer et qu'il y avait un coup à jouer ?
Pas encore, non. C'est parce qu'il est encore dans l'idée de l'Union française qui n'a jamais été évacuée de son esprit. Même si, progressivement, il va arriver à l'idée d'une Algérie algérienne, il ne la conçoit pas comme une Algérie séparée de la France mais une Algérie liée à la France dans le cadre de l'Union française. Cette idée commence à être débattue après 1947 où il y aura un nouveau statut pour l'Algérie, avec des assemblées algériennes, avec un dispositif qui permet une représentation plus large au suffrage universel et guère plus au suffrage censitaire.
Mais on est toujours en 1945. Les manifestations sont à la gloire de l'Armistice, pour fêter la fin de la guerre et la victoire sur le nazisme et le fascisme. Elles se déroulent à Sétif, Guelma, Saïda et d'autres régions du pays. J'ai récemment assisté à la commémoration des événements de Ksar Chellala qu'on oublie souvent de citer. Celles-ci se sont passées en avril 1945. C'est pour vous dire qu'il n'y avait pas que Sétif.
– La déportation de Messali Hadj à Brazzaville le 25 avril 1945 a-t-elle contribué à radicaliser les manifestations ?
Non dans la mesure où la radicalisation était déjà à l'œuvre. Pourquoi ? Parce que pendant la Seconde Guerre mondiale, il y avait déjà une dégradation accrue des conditions de vie de la population algérienne. Et cela aggravait le poids de la colonisation. C'était la misère, la famine, la répression… Et dans les archives, on trouve une trace de la répression menée par les administrateurs contre les protestataires, y compris les élus locaux. On les envoyait en déportation dans les camps de Djeniane Bourezg (Naâma, ndlr) ou dans d'autres camps de détention, et parfois ils étaient exilés loin du pays et carrément bannis, exactement comme en 1871 avec El Mokrani.
Vous savez, la radicalisation, ce n'est pas seulement une affaire d'idées mais aussi une situation vécue par les populations qui ne pouvaient plus supporter l'arbitraire, l'injustice et la répression. Quand on en arrive là, ces manifestations, c'est un exécutoire. Après qu'on ait tiré sur le porteur du drapeau (Saâl Bouzid) et qu'on ait commencé à tirer sur la foule, cela a rendu les choses absolument intenables. En Inde, ils appellent cela une «colère rentrée». Cette colère retenue un siècle durant sort dans certaines circonstances et elle se porte sur la figure de l'ennemi.
C'est l'occupant, l'Européen, le pied-noir, le colon, etc. Il y a eu des attaques contre des personnes, je peux vous donner les chiffres, quoique les statistiques changent d'une source à l'autre. Pour les événements de Sétif, il y a eu quelques dizaines de victimes européennes. Mais la répression va prendre une autre dimension. A Guelma ville, il n'y a eu aucun mort ni blessé européen, mais il y a eu un mort parmi les manifestants. Les 9 et 10 mai, des musulmans vont tuer 12 Européens. La répression française fait entre 1500 et 2000 Algériens massacrés. Il faut souligner que la répression a duré une semaine (pour l'ensemble du Constantinois).
– L'appellation consacrée quand on évoque ce chapitre de notre histoire, c'est : «les événements de Sétif, Guelma, Kherrata». Mais cela ne signifie pas, et vous l'avez dûment signalé, qu'il ne s'est rien passé dans les autres régions…
Absolument ! Il y a un historien que je vous recommande vivement, et qui a travaillé là-dessus, c'est Redouane Ainad-Tabet. Il a fait un livre («8 Mai 1945, le génocide». ANEP, 2002) dans lequel il a recensé tous les lieux où des manifestations se sont produites et la répression qui les a suivies. Mais elles n'avaient pas l'ampleur de celles de Sétif, Guelma et Kherrata.
– Chawki Mostefaï indique, par exemple, que des consignes avaient été données par la direction du PPA, de ne pas manifester à Alger, Oran et Blida le jour de l'Armistice, en raison de la répression qui s'était abattue sur les militants qui avaient manifesté le 1er mai dans ces villes, et qui avait fait des morts et des blessés…
Effectivement. Mais il faut noter que la direction du PPA ne contrôlait pas toutes les régions ; les mots d'ordre n'arrivaient pas partout au même moment. C'est pas le téléphone portable d'aujourd'hui. La nature des réactions de la population diverge d'une région à l'autre. Le contrôle des militants, c'est une chose, le contrôle de la population en est une autre.
On contrôlait les militants dans les centres urbains, mais dans les régions rurales, il y avait très peu de cellules PPA. Il en est de même pour les autres formations politiques. Il y avait quelques sections, quelques antennes des Ulamas, il y avait aussi des élus locaux dans les communes mixtes. Mais dans les douars et les mechtas, il n'y avait rien, il n'y avait pas de représentation. Or, c'est là que les gens subissaient le plus le poids de la colonisation, le poids de la répression et le poids de l'injustice.
– On saisit mieux pourquoi la consigne appelant à manifester pacifiquement n'a pas toujours été observée. Il y avait un ras-le-bol généralisé…
La consigne était observée par les militants dans les villes. Mais il n'y avait pas de cellule clandestine du PPA dans un douar ou une dechra isolée. A ce moment-là, dès que le bruit est arrivé qu'il y avait répression dans les villes, les gens se sont soulevés. C'était comme un signal de soulèvement général de la population. Il y a eu un déclenchement de révolte incontrôlé.
Comme je le disais, les responsables du PPA ne contrôlaient pas toutes les régions, ils ne contrôlaient pas les masses rurales. Ils contrôlaient les militants. Sauf que dans une manifestation de masse, il n'y a pas que les militants. Les responsables sont débordés. Et puis, il y a le facteur de la rage, de la colère. Et la répression de la police, et surtout la réaction des troupes françaises sera démesurée. Je vais vous lire juste un petit passage d'une étude faite par un historien français (Jean-Pierre Peyroulou) pour prendre la mesure de la répression.
Il écrit : «Dans les campagnes, quatre régiments de goums, soit un total de 800 soldats irréguliers levés dans les tribus marocaines, ayant par leur statut ‘‘droit de pillage'', et deux régiments de tirailleurs sénégalais, furent engagés dans la région de Sétif pour ‘‘pacifier'' les djebels jusqu'au 24 mai 1945, alors que les meurtres d'Européens cessèrent le 12 mai. Le général Henry Martin estima à 40 000 le nombre des insurgés (d'après Jean-Charles Jauffret). L'aviation fut utilisée sur les douars entre le 9 mai et le 19 mai : douze bombardiers B 26 effectuèrent 39 sorties, dont 15 de bombardements, et lâchèrent 38 tonnes de bombes. 12 chasseurs-bombardiers A 24 effectuèrent 39 vols à basse altitude, 5 bombardements et lâchèrent 3 tonnes de bombes.
Le croiseur ‘‘Duguay-Trouin'' tira à 10 reprises dans la région du cap Aokas, le 10 et le 11. Enfin, l'artillerie tira 858 obus. Il y eut donc au nord et au nord-est de Sétif une véritable guerre contre des civils». Et c'est sur ça qu'il faut insister, c'est-à-dire qu'au fond, la responsabilité, aux yeux des Français, est une responsabilité collective. Ce ne sont pas les militants du PPA, ce ne sont pas ceux des AML, ce ne sont pas ceux qui ont tué les Européens qui sont pourchassés et exécutés.
C'est toute une population de toute une région. Ce sont des dizaines et des dizaines de villages qui sont rasés par l'artillerie de campagne par les obus des croiseurs postés au large des côtes de Béjaïa et Jijel. C'est aussi des bombardiers qui pilonnent dechras et douars. Ce sont des populations entières qui sont massacrées, qui sont jetées dans des précipices, et c'est ça qui va choquer, marquer les consciences, et qui va entraîner le 1er Novembre 54 et sonner le glas de la présence française en Algérie.
– C'est le premier chapitre de la Révolution algérienne…
Absolument ! Pour moi, c'est le moment de renversement définitif de l'opinion des Algériens concernant l'avenir de l'Algérie dans sa relation avec la France.
– Quand on voit l'ampleur de la répression, on se dit que le chiffre de 45 000 morts qui a été parfois jugé excessif par certains auteurs est parfaitement plausible, vous ne pensez pas ?
Bien sûr ! Mais avec la réserve que vous continuez à rentrer dans une logique du chiffre, du quantitatif. Le cœur du problème, c'est ce que je viens de soulever, à savoir que ce n'est pas la première fois qu'une telle répression est déclenchée à une telle échelle, c'est quelque chose de récurrent et de systématique. Depuis la première période de la conquête française jusqu'à 1945, en passant par 1871, le soulèvement d'El Mokrani et Cheikh El Haddad, et encore plus durant la Guerre de libération, c'est toujours le même système, la même règle qui sont appliqués aux populations.
Je vais vous citer quelques exemples à ce sujet. Des déclarations de généraux français. Le Général de Saint-Arnaud, 1841: «Nous resterons jusqu'à la fin de juin à nous battre dans la province d'Oran et à y ruiner toutes les villes, toutes les possessions de l'émir. Partout il trouvera l'armée française les flammes à la main». Le Colonel de Montagnac, 1843 : «Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes : toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées […] En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens». Le Général Bugeaud, 1845 : «J'entrerai dans vos montagnes, je brûlerai vos villages et vos moissons, je couperai vos arbres fruitiers ; et alors vous ne vous en prendrez qu'à vous-mêmes».
Le Général Lallemand et le Général Augeraud, 1871 : «La répression doit être brutale, profonde et durable». Il faut marquer les esprits, il faut marquer les corps, il faut marquer la pierre pour que les gens se souviennent qu'ils ne peuvent pas lever la tête. Mai 45, c'est aussi ça. Au fond, ce qu'on va viser, ce ne sont pas les auteurs des assassinats. On va viser les populations pour qu'elles ne lèvent plus la tête, pour qu'elles ne demandent plus autre chose que d'être aux pieds de la France.
– Il y a même eu, selon Harbi, incinération de corps dans des fours à chaux, à Héliopolis…
Oui, c'était à Guelma. Il y a eu là aussi des travaux d'historiens, des livres, qui ont été faits sur la répression à Guelma. Pourquoi a-t-on essayé de faire disparaître les traces de la répression massive, aveugle ? C'est parce qu'il y avait des commissions d'enquête parlementaire qui arrivaient en Algérie pour essayer de savoir ce qui s'est passé.
On a entendu parler de massacres, de tueries, la bonne conscience française, il faut qu'elle ait quand même à se prononcer. Les commissions d'enquête ont consacré l'impunité. Massu et Bigeard reprennent la même logique, c'est-à-dire qu'il faut réprimer la population qui soutient, qui porte, qui nourrit les résistants.
Les résistants, tu ne peux pas les avoir, ils te fuient comme un poisson dans l'eau, alors il faut faire tarir la source qui les fait vivre. S'il faut citer quelqu'un, citons le général Duval (commandant en chef de la répression, ndlr). Il devient commandant de la division de Constantine le 8 mars 1945. Peu après surviennent les événements du 8 mai 45. En novembre 1945, le général De Gaulle le nomme commandant supérieur des troupes de Tunisie. C'est-à-dire qu'il a eu une promotion.
– Justement, et De Gaulle dans tout ça ?
De Gaulle, c'est le grand responsable. C'est lui le patron. C'est lui qui est provisoirement à la tête de l'Etat français. Et donc il couvre par son autorité toutes les opérations de répression en Algérie. Pour revenir au contexte, c'est donc une situation marquée par une forte dégradation dans les campagnes du fait des réquisitions qui étaient des réquisitions de guerre, c'est-à-dire que même les réserves des populations qui leur permettaient d'affronter des situations de disette dans une économie d'autosubsistance, notamment dans les régions arides, n'étaient pas épargnées. Les gens sont contraints de vivre dans le dénuement le plus total. On leur prend leurs enfants, ce qui implique que la main-d'œuvre pour faire les labours, les cueillettes va manquer. Ainsi, la situation se dégrade à tout point de vue dans les années 1940. Elle est très bien décrite par l'historienne Annie Rey-Goldzeiguer.
Donc, quand arrive le 8 Mai 1945, c'est tout cela qui ressort à la fois et remonte à la surface. La répression se solde par 45 000 morts et 100 000 arrestations. Car, il ne faut pas oublier les arrestations. Des gens sont déportés, envoyés dans les camps. Et j'insiste encore une fois sur ce point important : ce qui est visé, ce n'est pas le militant, ce qui est visé c'est la population. Et cela va amener une partie de la population algérienne à basculer dans le nationalisme indépendantiste et dans son organisation politique.
– Comment le Mouvement national va-t-il se redéployer après 1945 ?
Qu'est-ce qui se passe après 1945 ? Au niveau de la Fédération des élus, Ferhat Abbas, le Docteur Saâdane et d'autres considèrent qu'il y a eu débordement, dépassement, et provocation, et que les militants (PPA) infiltrés dans les AML ont renversé le rapport de force et ont forcé la main à la direction des AML.
Cette direction des AML, modérée, constituée par les élus, décide alors de créer son propre parti : l'Union Démocratique du Manifeste algérien (UDMA), un parti qui est censé contrôler à la fois les militants, les manifestations et les objectifs de toute action politique. Et ils présentent des candidats aux premières élections pour les assemblées locales et cantonales coloniales en Algérie et pour les assemblées françaises en France.
Donc, l'UDMA est la première organisation politique reconnue, légale, qui va présenter des candidats aux assemblées locales, mais aussi à l'assemblée nationale de la nouvelle République française post-occupation. Cela leur donne l'occasion d'avoir des tribunes dans les campagnes électorales, de s'adresser librement au peuple. Ainsi, ils touchent une partie importante de la population.
Les Ulamas s'allient à eux, les soutiennent («Nous sommes avec le Bayane», disent-ils). Que fait le PPA clandestin ? A l'époque, 1946, la direction du PPA dit : «Man intakhaba kafara» (celui qui vote est un impie). Donc, ils sont encore dans la radicalité, celle de la séparation totale, «El istiqlal ettam». Implantés dans les quartiers populaires, dans les régions rurales, dans les montagnes, ils essaient de tenir au maximum leurs troupes.
Quand Messali est libéré, il rencontre des représentants des partis politiques arabes, dont Chakib Arslane qui lui dit : «Cette position est intenable. Vous allez rester une poignée de militants clandestins alors que les autres font le plein d'adhérents. Utilisez les tribunes que vous offre la voie électorale pour mobiliser et diffuser votre programme et vos idées d'indépendance au sein de la masse».
Tactiquement, Messali est séduit par l'idée. Mais au sein de la direction du parti PPA clandestin va apparaître une profonde divergence : les militants clandestins, dont certains ont pris le maquis après avoir refusé la conscription, et qui, en 45, ayant reçu le mot ordre d'insurrection, ont tiré sur des caïds ou sur des collaborateurs, et qui ont décidé de rentrer dans la lutte armée, vivaient mal qu'on vienne leur dire : «Il faut arrêter l'insurrection, déposez les armes, retournez à vos activités ordinaires». C'est la première déconvenue. Deuxième déconvenue : la direction du parti leur dit : «Il faut sortir de la clandestinité et créer un nouveau parti pour s'engager dans les élections.
C'est le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). On garde la structure clandestine, mais on met en place un structure représentative, légale, électoraliste». Les durs, les radicaux, répondent : «Il n'en est pas question ! Ce qui est venu par la force partira par la force». Alors, on a coupé la poire en deux et on a créé l'OS, l'Organisation spéciale. Et là, ils font le plein. Le MTLD, aux premières élections municipales de 1947, rafle la mise. La majorité des assemblées municipales lui sont acquises. Par le biais de ce suffrage, les gens exprimaient clairement leur adhésion au programme du MTLD qui est en fait le programme du PPA. Le 8 Mai 45, l'armée française a réprimé, bombardé, la population. Les gens étaient exaspérés. Ils voulaient maintenant en découdre. La rupture avec la France était consommée.
Quand on venait leur dire il y a une possibilité d'entente avec la France, le PPA leur disait : l'lstiqlal ettam. Séparation ! Du coup, ils rejoignent le PPA. Et le PPA-MTLD est devenu un parti de masse. Voilà, si vous voulez, les effets à court terme du 8 Mai 45. L'effet à long terme, c'est le fait que le 8 Mai 45 a convaincu la population une fois pour toutes, même les apolitiques, les instruits comme les non-instruits, que l'ennemi déclaré de la France, c'est tout le peuple algérien, pas uniquement les militants nationalistes.


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