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«Iveton évolue hors des clous»
Publié dans El Watan le 28 - 05 - 2016

On définit souvent Iveton comme le «seul Européen guillotiné de la guerre d'Algérie…». Vous montrez que cette «solitude» ne s'arrête pas là. Son attentat n'a pas été revendiqué par le FLN et il n'a pas reçu le soutien du Parti communiste… Est-ce un aspect important du personnage ?
Cette solitude m'a interpellé, mais était-elle voulue ? Je n'en suis pas certain. Iveton aurait probablement souhaité être davantage appuyé et soutenu. Sa détermination et son souci d'action, donc de cohérence, eut cet envers : la prudence, la défiance ou la mise à distance. La lutte est ingrate et son échec, si l'on s'en tient à la logistique (une bombe qui n'explose pas), n'a pas dû contribuer à sa reconnaissance : toujours trop coupable pour les uns, raté sans prestige pour les autres.
C'est une solitude contrainte – du moins est-ce ainsi que je l'ai perçue – plus qu'un désir manifeste ; Fernand Iveton n'était pas un franc-tireur de nature, un marginal par principe : il a longtemps souhaité agir au sein de son parti…
Hélène, sa femme, prend une grande importance dans le récit. Un besoin de contrebalancer l'isolement politique de Fernand Iveton ?
Les lettres de prison d'Iveton m'ont pris par la main. Son amour pour Hélène est à ce point éclatant qu'il était impossible d'en faire l'impasse : Fernand aime – sa femme, sa terre, son ami d'enfance et la justice sociale. L'idéologie, sous ses raideurs et sa raison, charrie toujours son lot d'affects. Notre homme n'avait pas le sang-froid et le cœur en concepts. Hélène comptait pour beaucoup à ses yeux et les miens eurent donc à voir ce récit avec, par et pour elle.
Dans son Éloge de l'amour, Alain Badiou décrit l'amour comme cette possibilité de «construire un monde d'un point de vue décentré au regard de [s]a simple pulsion de survie ou de [s]on intérêt bien compris» ; il parle de cet «en-commun» qui lie le communisme, comme dépassement des égoïsmes, à l'amour, comme «devenir du couple». Il y a de ça, je crois, dans ces pages…
Vous évoquez largement le combat d'Henri Maillot, qui a beaucoup compté dans l'engagement d'Iveton. Deux hommes «montés à l'envers», écrivez-vous. Vous choisissez de raconter l'histoire de l'ouvrier plutôt que de l'intellectuel, pourquoi ?
Je ne m'étais pas posé la question ainsi et ne l'ai donc pas abordé comme un «choix». Je connaissais l'histoire de Maillot avant celle d'Iveton et c'est la seconde qui m'a happé. La littérature a trop souvent le goût de l'entre-soi : un ouvrier d'usine sur papier imprimé tient déjà, au regard du «marché éditorial» (et je pèse mes guillemets), de l'entorse et de l'accroc. Je tenais à cette parole populaire, où les terrains de foot sont plus familiers que les bibliothèques.
Maillot a pris les armes pour constituer un maquis, Iveton a voulu saboter une usine et n'y est pas parvenu : les deux trajectoires ne se superposent pas tout à fait. Maillot est un résistant dans son acception la plus noble et, ce qui n'enlève absolument rien à l'audace de son geste, la plus «attendue», Iveton est l'auteur d'un fiasco.
Le corps de Maillot tient du drame antique – transporté, tel Hector par quelque Achille victorieux, sur un capot de bagnole –, celui d'Iveton finit tranché à l'aube, mal réveillé et en chaussures de toile. Cette débâcle, si chèrement payée, m'émut sans doute plus immédiatement.
Dans les témoignages d'admiration des Algériens, on sent une certaine vérité et l'on devine que vous avez visité le pays. Se trompe-t-on ?
J'y suis allé à plusieurs reprises, en effet. Je n'aurais pu écrire Alger sans avoir vu cette ville, ses couleurs, ses lumières, sa végétation et ses sons.
Vous insérez également des passages en arabe dans le texte. Pourquoi ce choix ?
Cette idée m'est venue de mes séjours dans votre pays, justement. Au quotidien, français et arabe se mêlent, s'entrelacent, se causent, semble-t-il, dans la plus grande évidence. C'est cette sensation que j'ai cherché à traduire par l'utilisation de la langue arabe dans le corps français du texte. Cette cohabitation des langues participait du projet (et sans traduction en bas des pages pour le lectorat francophone – j'y tenais).
Comment dépasser la documentation pour donner chair au personnage ?
En lui interdisant de respirer à l'air libre ! Il faut lui donner le goût des tiroirs… Un roman n'est pas une biographie universitaire et le risque est fort, pour l'auteur, de vouloir tout dire, tout raconter, tout couvrir. Il faut se dégager de l'exhaustivité et laisser au lecteur le soin de combler ou de creuser. Ma chance, si je puis dire, fut de bien connaître, depuis des années, l'époque et le contexte de ce roman. J'ai pu avancer sans avoir à souffrir des sacs de livres d'histoire.
Quel est le secret de ce titre aux allures de prière ?
Un poème. Il est en partie cité à la fin de l'ouvrage – signé par une prisonnière indépendantiste et adressé à Hélène. Je le trouvais beau, j'aimais ce «nos» : Fernand Iveton n'est pas seul dans son combat. Un militant conjugue toujours au pluriel. L'individu s'entend, bien sûr, à condition de voir plus loin que le bout de son «je» ; «nos frères» est une somme, un ensemble de subjectivités qui décide de faire destin. Victor Hugo comparait la «pleine fraternité» au soleil qui frappe en «plein midi» : la fraternité est un mot à mairies, c'est-à-dire qu'on passe devant lui sans lever le nez – il a pourtant quelques atouts en poche…
La fraternité politique est une famille qui outrepasse le sang.
Ce livre met en scène un réseau de juifs, d'Arabes, de Berbères et de pieds-noirs, qui ne sont ni l'un ni l'autre : tous sont frères car tous l'ont voulu. La fraternité est un toit qui malmène l'identité fermée, obtuse, recluse dans sa peau. Elle garantit le choix, l'élection. L'idée supplante la biologie ou les contours étroits de la communauté ethnique ou religieuse. Il y aurait sans doute à dire sur la place des femmes dans cette fraternité (ce mot, masculin, gagnerait à quitter ses tranchées et ses vestiaires historiques). De nos sœurs blessées, pourraient aussi écrire Hélène ou Jacqueline…
On vous sent en lutte avec une langue qui ne suffirait presque pas à exprimer la violence physique et psychique que vous relatez…
Le livre est traversé par la violence, dans son sens le plus étymologique : la force. La violence physique (la torture, les bombes) et la violence psychique (les idéaux, l'amour) – c'est exactement cela.
Deux élans qui, vous en conviendrez, laissent les mots un peu patauds. «Je t'aime» ne suffit pas à définir l'amour et du sang qui gicle à exprimer la douleur. Il m'a sans doute fallu me dépatouiller de ces euphémismes : «la question» pour les coups nuits et jours et l'électricité; «les évènements» pour la guerre et les tueries…
Ici ou là, je baisse pavillon et souligne le devoir de modestie des lettres, lorsqu'elles croient pouvoir cerner, enclore, mettre un point final à ce que trame le cœur des hommes.
Dans l'affaire Iveton, le manque de courage politique (notamment celui du président René Coty) s'avère meurtrier. C'est un message qui reste d'actualité ?
Plus encore que le «courage». On sait l'usage qui peut en être fait dans le discours libéral : voyez ces appels «au courage de réformer», au courage de briser «les tabous», au courage de «s'adapter» ; voyez Tsipras, en Grèce, salué par la coterie intellectuelle et médiatique pour son «courage» quand il foula aux pieds le mandat populaire. Je préfère la notion de «dignité» politique. Ce qui se fait ou se refuse.
Quelque chose qui tient davantage à l'éthique qu'au muscle (auquel on associe d'ordinaire le courage, comme fin en soi). Dès lors, oui, cette exigence de dignité, portée par Iveton et ses camarades, a toute sa place sur la scène contemporaine. Nos «gouvernants» de droite comme de gauche (les pantins se refilent leurs étiquettes), semblent œuvrer chaque jour un peu plus afin de nous en rappeler l'importance.
Vous rappelez la citation de Camus sur le crime qui «infecte la société». L'exécution d'Iveton est-elle une infection honteuse pour la France ?
Je me garderais de dire «la France» (ou «l'Algérie») car nous parlons d'une minorité – un gouvernement – qui ne représente qu'elle-même et a, de tout temps, floué la parole et le pouvoir populaire.
L'oligarchie française a le sang d'Iveton sur les mains, c'est une évidence. Le peuple fut, comme de juste, tenu à l'écart des délibérations. Qui est «la France», au fond ? Babeuf ou Necker ? Louise Michel ou Thiers ? René Char ou Papon ? Maurice Audin ou Bigeard ? Tout cela en même temps, sauf à croire à quelque essence ou âme éternelle… La décapitation d'Iveton est une page de plus à inscrire sur le registre des crimes des élites et des puissants, ceux qui se passent le trône de décennie en décennie.
L'Etat, comme appareil répressif et idéologique, n'est pas cité par hasard dans mon livre. Il serait vain d'accabler toute une population et de la tenir pour responsable, tant d'années après – je parle de structures et d'institutions (ce que les pleurnichards d'Empire, qui remuent leur bouche contre la «repentance», ne parviennent toujours pas à comprendre). Jean Grave décrivit le régime colonial comme un «brigandage et vol à main armée, à l'usage des dirigeants».
Ce sont eux, les porteurs du virus, pour filer la métaphore médicale de Camus. Sartre opta pour la contagion collective en écrivant, à propos de l'exécution d'Iveton, que nous étions «tous des assassins» : c'est Sartre, c'est-à-dire que la lame tranche tout sur son passage, avec brio et grand bruit.
Si la bombe posée par Iveton avait pour objectif une «explosion témoignage», votre récit est-il une façon de la réamorcer ? Quel sens prend ce témoignage aujourd'hui ?
Nulle envie de «rejouer la guerre». Plutôt de renouer les fils et de tracer, comme on tend la main, une autre voie : celle de l'idéal d'émancipation social et politique qui habitait les protagonistes.
C'est un livre qui chahute les narrations officielles et effiloche les hauts drapeaux – des autorités françaises et du FLN. Iveton évolue hors des clous, dos aux statues. Sa vie range au placard tous nos gros sabots : pied-noir et indépendantiste, c'est déjà un couac pour les esprits courts. Il se présentait comme algérien tout en aimant la France et a posé une bombe pour libérer «son» peuple, c'est-à-dire des musulmans, des juifs, des chrétiens et des «libres penseurs».
Ces oxymores apparents ont pourtant valeur de cohérence – et cette cohérence engage un autre horizon, pour penser l'Histoire, la mémoire et les liens qui unissent nos deux sociétés. Les sacs d'aigreurs (lisez Vive l'Algérie française ! de l'actuel maire de Béziers…) s'évertuent à jouer les comptables et les experts en travaux publics : tant de kilomètres de routes, tant d'hectares de terres, tant de barrages et de ports. Laissons-les à leurs calculatrices et voyons plutôt le fond de l'affaire.
L'édition du roman en Algérie est-elle importante pour vous ?
Bien sûr. J'en suis ravi – et dois même vous avouer que je l'espérais, un jour, et fus étonné d'apprendre que cela arrivât si tôt. Iveton devait être lu chez lui, c'est la moindre des choses… 
Joseph Andras. «De nos frères blessés», roman. Ed. Barzakh, Alger, 2016. 156 p.


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