Une langue perçue comme celle de l'oppresseur «blanc». Les gamins en uniforme d'écolier brandissent des slogans improvisés peints sur des cartons : «Au diable l'afrikaans», «L'afrikaans pue». Ils ont pris la direction du stade de Soweto afin de remettre aux autorités leurs revendications. Cela devait être une marche pacifique, c'est en tout cas ce qu'ont confié les différents ex-leaders étudiants présents sur place à l'époque. La marche a démarré dans le calme. Cependant, la police a tiré sur les écoliers. L'Afrique du Sud s'est alors enfoncée dans des violences inédites depuis l'instauration du régime ségrégationniste en 1948. «Mais en chemin, la police est arrivée et leur a dit de se disperser. Les écoliers ont commencé à chanter Nkosi Sikeleli Afrika, or, à l'époque, cette chanson était interdite ! Et je pense que c'est ce qui a provoqué la colère du commandant de police qui a sorti son pistolet et a tiré sur la foule. Puis il a ordonné à ses troupes de tirer. Et la police s'est mise à tirer au hasard sur la foule, pour tuer. C'était la panique, les écoliers ont commencé à courir dans tous les sens pour se mettre à l'abri. Mais après, ils sont revenus pour riposter, la police tirait avec des balles réelles et eux lançaient des cailloux», révèle un témoin du drame. Quarante ans plus tard, le bilan précis de cette terrible répression n'est pas toujours connu, mais en quelques mois, la répression a fait au moins 500 morts. Des centaines d'autres personnes ont été arrêtées ou sont parties en exil pour ne revenir que 15 ans plus tard, après la libération de Nelson Mandela. Malgré la répression, le soulèvement a été un tournant décisif dans la lutte contre l'apartheid. Les affrontements ont repris le lendemain, le surlendemain et, en quelques jours, les émeutes se sont propagées dans tout le pays. Le soulèvement de Soweto a duré près d'un an. Le président sud-africain Jacob Zuma a estimé jeudi, lors du 40e anniversaire du soulèvement sanglant de Soweto, que le «combat» et les «sacrifices» des écoliers ayant participé à ces manifestations n'ont pas été «vains» car son pays est depuis un «bien meilleur endroit». «Le combat et les sacrifices des écoliers de 1976 n'ont pas été vains. L'Afrique du Sud est un bien meilleur endroit qu'à l'époque où ces élèves se sont révoltés pour dire ‘trop, c'est trop' en juin 1976, mais le combat continue», a lancé M. Zuma lors d'une cérémonie dans le stade de Soweto, township du sud de la métropole Johannesburg et théâtre il y a 40 ans d'un tournant décisif dans la lutte contre l'apartheid. Le vice-président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a déposé quant à lui une gerbe au mémorial d'Hector Pieterson, le premier écolier à tomber sous les balles, à 13 ans. La photo en noir et blanc de son cadavre porté par un camarade en larmes, au côté de sa sœur effrayée, a fait le tour du monde et suscité l'indignation internationale. Elle avait attiré davantage d'attention de la communauté internationale sur la politique de ségrégation raciale en Afrique du Sud. Le 16 juin est aujourd'hui un jour férié en Afrique du Sud où il est baptisé Jour de la jeunesse. L'apartheid a officiellement pris fin en 1994, avec l'élection du premier président noir du pays, Nelson Mandela. Selon le coordinateur de Foundation Project de Soweto, Oupa Moloto, si l´Afrique du Sud a avancé c´est grâce à ce sacrifice qui a réveillé les consciences : «Il n'y a plus d´espace de séparation pour les Blancs et les Noirs. Nous avons la même identité, ils nous ont tracé le chemin. Quand j'étais plus jeune, il n´y avait aucun chemin tracé. Quand on jouait au football, on jouait simplement dans la poussière.» Il y a quelques jours, d'anciens soldats du régime et des élèves de Soweto, qui s'étaient fait tirer dessus, ont marché ensemble dans le township. Cette initiative, qui se voulait un symbole d'apaisement, a tout de même provoqué la colère des familles des victimes. Il est des blessures qui prennent du temps pour guérir.