Qu'apporte de nouveau votre livre à la connaissance de la personnalité de Charles de Foucauld ? Les renseignements que j'apporte ont été collectés lors de l'enquête pour la béatification de Charles de Foucauld (Ndrl : il a été béatifié par l'Eglise catholique en 2005). Un certain nombre n'avait pas été diffusé. Je les restitue dans un récit biographique. Je fais allusion à des faits, des paroles, des témoignages relatifs à sa vie. Le jugement sur Foucauld varie. Selon les uns, il est le visage humain du colonialisme, pour d'autres, sa main armée, puisqu'il a été militaire. Comment peut se résumer, selon vous, la personnalité de Charles de Foucauld ? L'essentiel est sa vie au Sahara. Il avait d'abord été moine religieux, ermite en terre sainte. Il a été ordonné prêtre à Viviers (Ardèche). C'est une personnalité riche sur différents aspects. A Tamanrasset et d'abord à Beni Abbès, c'est quelqu'un qui voulait entrer en contact avec les gens du pays, témoigner de sa propre foi chrétienne, mais sans faire de prosélytisme en étant avec les gens, dans un témoignage permanent de bonté, d'amitié. Je pense que les Touareg avaient mis en évidence cet aspect de sa personnalité. Son but n'était pas de prêcher un évangile, mais de vivre la vie des hommes au quotidien au milieu d'eux, dans un témoignage d'humanité. Peut-on dire que c'est un précurseur du dialogue interreligieux ? Non, je ne pense pas ou alors à long terme, bien avant le dialogue interreligieux dont on parle depuis 20 ans. Lui n'était pas dans cette perspective. Cela ne se faisait pas bien chez les missionnaires de l'époque. Ni les Pères Blancs ne parlaient comme ça ni même les autres instituts missionnaires en Asie ou en Afrique. Ce n'était pas un contact de religion à religion. Ces missionnaires venaient avec leur formation religieuse pour annoncer l'Evangile mais sans contact avec les religions sur place. Le fait que Charles de Foucauld a fini ermite, est-ce un signe qu'il allait jusqu'au bout de sa propre foi sans chercher à la diffuser ? Foucauld a vécu vraiment en ermite quand il était chez les clarisses à Jérusalem et à Nazareth. Au Sahara algérien, il emploie le mot ermitage pour désigner sa maison, mais il vit une existence ouverte à tous ceux qui veulent venir le voir. Il n'était pas isolé ou clôturé. Vous avez participé comme archiviste à la canonisation de Foucauld, qu'est-ce que cela vous a apporté ? J'ai découvert quelqu'un qui est admirable sous bien des aspects, d'abord par sa valeur humaine, quelqu'un d'intelligent, plein d'initiatives, toujours à l'affût. C'est une personnalité forte et riche. Ses écrits aussi m'ont marqué. En tant que chrétien, je suis sensible à sa manière d'aborder sa propre foi et parler de Jésus, de l'Evangile… Comment était-il vu par le monde catholique en Algérie ou au Maroc ? Il vivait dans les territoires du Sud, comme on les appelait, et il n'y avait guère de relations entre le Nord et le Sud à ce moment-là. Les seuls avec qui il était en relation, c'étaient les Pères Blancs. Un gros volume qui s'intitule Correspondance saharienne, publié au Cerf en 1998, reprend les échanges riches entre de Foucauld et les Pères Blancs. Il n'avait pas vraiment de relations avec les évêchés du Nord, Alger, Oran ou Constantine, sauf avec quelques personnes comme avec celui qui va devenir son éditeur à Alger, René Basset. Charles de Foucauld était prêtre diocésain de Viviers et il n'est pas rentré dans le clergé des catholiques d'Algérie. Il se disait prêtre libre, qui ne dépendait que de son évêque de Viviers. Comment la mort par assassinat de l'ermite du désert a-t-elle été apprise par le monde catholique ? Je consacre dans mon livre un petit chapitre qui s'intitule Après le 1er décembre. La nouvelle de son décès n'est parvenue à Alger que le 13 décembre dans l'état-major de l'armée, car c'est par ce biais que les nouvelles parvenaient. Les chrétiens d'Algérie l'ont appris dans les jours qui ont suivi et ce n'est arrivé en France qu'au début de janvier. Il a fallu un temps de vérification. On ne savait pas trop s'il était mort ou seulement agressé. Sa propre famille ne l'a appris qu'en janvier 1917. Que reste-t-il aujourd'hui du message de Foucauld en cette année du centenaire de sa mort, dans un monde troublé par l'instrumentalisation de la religion, particulièrement avec le terrorisme ? Pour moi, Charles de Foucauld est quelqu'un qui vient à l'essentiel de sa propre religion et l'instrumentalisation de la religion, c'était en dehors de ses perspectives. Pour lui, la religion est une aventure intérieure. Le prêtre qui l'a converti disait que Charles de Foucauld faisait de la religion un «amour». Donc, ce n'est pas une manière d'agir sur les mentalités, sur les consciences, mais c'est sa propre vie et sa conscience qui sont orientées vers Dieu. Charles de Foucauld voyait la religion comme foncièrement intérieure et qui se manifeste par la bonté dans les relations avec chaque personne, la prenant là où elle en est. Pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ? Archiviste et théologien de formation, j'ai été chargé par l'Eglise de France en 1980 de m'occuper des archives de la postulation de la cause de canonisation du serviteur de Dieu Charles de Foucauld. Avec plusieurs amis, dont des membres de la Famille spirituelle de Charles de Foucauld et des spécialistes des études linguistiques targuies, nous avons travaillé sur sa vie et sur sa spiritualité. J'ai relu ses nombreux manuscrits d'Ecrits spirituels en vue de leur édition par Nouvelle Cité (17 volumes). Toutes ces recherches pluridisciplinaires ont permis de progresser dans l'histoire du personnage. J'ai écrit de nombreux articles et fait des conférences sur ces sujets, et récapitulé tout cela dans ce livre paru à l'occasion du centenaire de la mort de Charles de Foucauld*.
* Charles de Foucauld 1858 – 1916, biographie, chez Salvator, Paris, 2016, 720 pages.