– Que signifie pour vous la consécration de Yennayer, décrété «journée chômée et payée» ? Il faut d'abord rappeler que Yennayer a toujours existé et est célébré depuis des millénaires. Sa célébration officielle est le résultat immédiat d'une grande mobilisation citoyenne à travers les wilayas de Béjaïa, Bouira, Tizi Ouzou, Bordj Bou Arréridj, Batna, Biskra… C'est une mobilisation qui s'inscrit dans le long combat et de lutte pour la reconnaissance de l'identité amazighe dans son propre pays. Cependant, il s'agit d'une tentative de récupération purement politicienne et électoraliste dans la perspective de la présidentielle de 2019, en utilisant non seulement Yennayer, mais aussi la généralisation de l'enseignement de la langue amazighe et la célébration du centenaire de Mouloud Mammeri. Dois-je rappeler à propos de l'enseignement de la langue qu'il reste insignifiant. Ils disent que c'est dans trente-huit wilayas, mais dans combien d'écoles sur toutes ces wilayas. Cela touche à peine 3% des scolarisés. – Au-delà du conjoncturel lié, comme vous le dites, à un calcul électoraliste, cela reste quand même un acquis né d'une vieille revendication… En effet, c'est une revendication qui remonte aux années 1970. Nous étions autour de Mouloud Mammeri dans un cercle réduit, qui s'est élargi ensuite, à œuvrer pour que la langue amazighe ne soit pas confinée dans les foyers, dans l'entre-soi, pour qu'elle puisse devenir une langue de la rue. Avril 1980 signe de manière spectaculaire le début d'une revendication populaire et marque le début d'une grande mobilisation pour la reconnaissance de l'identité amazighe jusqu'aux événements de 2001 avec l'assassinat de 123 personnes. Je dis cela pour rappeler combien nous avons payé de notre sang, de notre chair, de nos enfants pour ce combat. Le pouvoir n'est pas innocent, c'est toujours le même pouvoir qui a tué des jeunes de Kabylie. Cette consécration est le produit d'une très grande lutte et je pense qu'elle n'est pas finie, elle doit se poursuivre. Toute l'Algérie doit se l'approprier de manière effective. – Si l'on revient à Yennayer, il existe toute une légende autour de son histoire. Quelle est la part de vérité ? D'abord, Yennayer remonte au néolithique. Dans son étymologie, il y a «Yen» qui veut dire premier, la particularité «N» signifie l'appartenance, et puis «Yer» veut dire l'astre, le déclenchement du cycle solaire. Donc, Yennayer est le premier jour du cycle solaire. C'est aussi la fête des femmes. Puisque la première écriture libyque a été créée par les femmes. Pendant que l'homme allait chasser dans la brousse, la femme restée dans le logis traçait des formes qui donnaient naissance à l'écriture libyque devenue tifinagh, qui a subi évidemment des modifications, notamment avec la création de l'Académie berbère à Paris par Bessaoud Mohand-Arab. L'écriture n'est pas restée stationnaire, elle a évolué aussi bien au Maroc qu'en Algérie, maintenant elle est même informatisée. C'est une avancée considérable. – Comment est venu le choix de dater le calendrier amazigh qui en est aujourd'hui à sa 2968e année ? C'est une grande légende. C'est avec mon ami Amar Negadi, natif de Merouana, ancien membre de l'Académie berbère qu'il avait quittée pour fonder l'Union des peuples amazighs à Paris. En 1980, il a avancé la date de 950 avant Jésus Christ, me disant qu'il existe plusieurs manières de dater en se référant à des personnages symboles comme Jugurtha ou Kahina. Seulement, les deux avaient été vaincus. Jugurtha par les Romains, mort prisonnier à Rome, tandis que Kahina, on lui avait tranché la tête qu'on a offert comme trophée au calife de Damas. Par contre, on peut symboliser la date en prenant en compte l'occupation de l'Espagne par Tarek Ibn Ziyad à la tête d'une armée composée de 12 000 hommes berbères et seulement une quinzaine d'Arabes qui étaient des religieux présidant à la prière. Ou une autre date, où les Berbères ont occupé un autre pays. Le choix s'est porté sur l'occupation de l'Egypte par le roi berbère Chéchong 1er (Chechnaq) intervenu en 950 avant Jésus-Christ. L'origine de la datation remonte à ce moment historique. – La question de Yennayer repose la problématique de la définition de l'identité algérienne qui, depuis l'indépendance, est définie comme une nation arabo-musulmane exclusive. Quelle est la définition qui correspond le mieux à la réalité historique, identitaire et civilisationnelle de l'Algérie ? Lors du match contre l'Egypte à Khartoum en 2009, l'Algérie a été un peu comme secouée dans son appartenance. Elle a pris conscience de son appartenance réelle à l'amazighité. C'est la même chose au Maroc, en Tunisie et en Libye. L'Algérie fait partie d'un continent qui s'appelle l'Afrique et l'Arabie fait partie d'un autre continent qui s'appelle l'Asie. Les deux continents sont séparés par la mer Rouge qui tous les ans s'élargit de trente mètres. La culture, le cultural, le cultuel suivent la marche de la géophysique. L'Afrique est proche de l'Europe. Il existe une identité nord-africaine amazighe, même si en 711 avec Oqba Ibn Nafâa il y avait 50 000 Arabes qui étaient venus, certains sont restés et avaient épousé des femmes autochtones, et au bout de la quatrième génération, ils sont devenus amazighs d'un point de vue ethnique. Il n'y a pas d'Arabes en Afrique du Nord. Il est vrai que la culture d'un point de vue linguistique, la plaine a toujours été le jeu et l'enjeu des populations. La montagne a cherché aussi son terrain nécessaire, notamment dans la vallée de la Soummam ou de Sébaou, et cela depuis le passage des Phéniciens, des Romains, des Vandales et des Arabes qui ont toujours cherché les vallées productives pour empêcher les montagnards de s'alimenter. La guerre linguistique est d'abord une guerre économique. Pour répondre à votre question, nous sommes amazighs nord-africains, méditerranéens, où toutes les religions doivent être acceptées et respectées. Il existe depuis toujours un courant du sud de la Méditerranée vers le nord et vice versa. Nous avons eu un même échange avec l'Egypte ancienne.