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Etats-Unis : peut-on encore parler de «l'exceptionnalisme américain» ?
Publié dans El Watan le 16 - 02 - 2019

«Un peuple qui valorise ses privilèges plus que ses principes finit par perdre les deux.» (Dwight D. Eisenhower)

Introduction
Une grande majorité des Américains – notamment les politiciens qui ont été ou sont encore au pouvoir aujourd'hui – considèrent que leur pays est exceptionnel dans le sens qu'il est différent, unique et supérieur à tous les autres pays.
C'est ce qui est connu sous le nom «d'exceptionnalisme américain». Qu'ils soient républicains ou démocrates – mais plus les républicains que les démocrates –, la plupart des présidents américains passés adhéraient à cette croyance qu'ils défendaient bec et ongles. Plus que tous les autres avant lui, le président Donald Trump, non seulement y croit, mais fait tout ce qu'il peut, depuis qu'il est arrivé au pouvoir en 2016, pour le mettre en application et rendre cet exceptionnalisme plus extrême encore. Cette volonté de voir cet acharnement à mettre en application cet idéal américain apparaît aussi bien dans ses tweets que dans les actions qu'il a déjà prises ou qu'il envisage de prendre ainsi que dans les speeches faits lors de ses rallyes à sa base électorale. Mais ce n'est pas tout. Trump veut faire davantage que ses prédécesseurs : il veut faire que l'exceptionnalisme américain soit encore plus «exceptionnel» que celui appliqué – ou en tous cas auquel les Américains ont cru – jusqu'à maintenant. C'est ce qui apparaît notamment dans ses slogans de campagne «America First» et «Make America Great Again» (MAGA). Seulement voilà : le contexte économique et politique global n'est plus le même que lorsque les Etats-Unis pouvaient prétendre être l'exception.
Les Etats-Unis sont trop profondément embourbés dans des crises économiques – comme la récente crise de 2008 – et dans des conflits militaires – en Irak, Afghanistan, Moyen-Orient – qu'ils ne peuvent plus se permettre le luxe de gérer le monde comme ils l'ont fait jusqu'à ces dernières décennies. Par ailleurs, de nouvelles forces économiques et politiques ont émergé comme la Chine, l'Inde et d'autres pays d'Asie, qui sont en train de remplir le vide économique, diplomatique et politique que les Etats-Unis ont laissé depuis les années 80' et plus encore depuis les années 2000.
Dans le présent article, nous commencerons par expliquer ce qu'est l'exceptionnalisme américain en général et l'exceptionnalisme trumpien en particulier et son caractère tout à fait mythique et idéaliste. Nous verrons ensuite quelles sont les forces émergeantes susceptibles, sinon de remplir le gap laissé par les Etats-Unis, du moins rééquilibrer les relations internationales. Nous verrons enfin, en conclusion, que ce qu'il faut faire pour sauver le monde d'une catastrophe économique et politique globale est une politique de coopération internationale plus élargie, plus équilibrée, plus équitable et davantage orientée vers le développement durable entre tous les pays de la planète.
L'exceptionnalisme américain en général et Trumpien en particulier : mythe ou réalité ?
Le célèbre économiste américain et spécialiste du développement durable (sustainable development), Jeffrey Sachs, de Columbia University, pense que l'histoire politique américaine a été marquée par trois visions de la place de l'Amérique dans le monde. La première est ce qu'il appelle l'exceptionnalisme américain, défendue par un groupe de personnes qu'il appelle les exceptionnalistes. Selon Sachs, ce groupe pense que les Etats-Unis ont une place unique dans le monde et qu'ils doivent réaliser le but d'une domination globale basée et soutenue par leur supériorité militaire. Les exceptionnalistes considèrent, en effet, que la domination militaire américaine est nécessaire à la stabilité globale. Cette idée est notamment vulgarisée et défendue par un des plus grands exceptionnalistes, Robert Blackwill, qui l'explique ainsi : «Since its founding, the United States has consistently pursued a grand strategy focused on acquiring and maintaining preeminent power over various rivals, first on the North American continent, then in the Western Hemisphere and finally globally» (Depuis leur foundation, les Etats-Unis ont continuellement poursuivi une grande stratégie visant à acquérir et maintenir un pouvoir prééminent sur plusieurs de leurs rivaux, d'abord dans le continent nord-américain, ensuite dans l'hémisphère occidental, et enfin au niveau global) (Jeffrey Sachs, A New Foreign Policy, Columbia University Press, 2018, p.10). La seconde vision de l'Amérique est celle que Sachs appelle le réalisme américain, défendu par un groupe de réalistes. Ces derniers pensent que les Etats-Unis doivent accepter un certain équilibre «réaliste» des pouvoirs plutôt qu'une domination américaine. Cependant, comme les exceptionnalistes, les réalistes pensent que la paix ne peut être réalisée que par la force («peace through strength» : la paix par la force).
Ils considèrent qu'une course aux armements est nécessaire et constitue le prix à payer pour maintenir un équilibre des pouvoirs et préserver la sécurité des Etats-Unis. La troisième vision est «l'internationalisme». Les internationalists considèrent que la coopération globale entre les différents pays de la planète est cruciale pour éviter les guerres et réaliser la prospérité globale. Selon eux, la coopération internationale contribuerait à éviter une course aux armements qui risquerait de conduire à une conflagration mondiale. Selon Sachs, cette vision encourage une cooperation «win-win» dans les domaines économique, technologique, scientifique et environemental et éviterait une competition «win-lose» défendue par les exceptionnalistes et les réalistes. Cependant, de ces trois visions, celle qui a toujours prédominé – et prédomine encore aujourd'hui, et peut-être davantage encore avec Trump – est l'exceptionnalisme. L'origine de cette vision est l'objet d'une controverse, mais on pense qu'un des premiers à avoir déclaré le caractère exceptionnel des Etats-Unis est le politologue français Alexis de Tocqueville, notamment dans son ouvrage classique Democracy in America (1840) lorsqu'il écrit : «The position of the Americans is therefore quite exceptional and it may be believed that no other democratic people will ever be placed in a similar one» (La position des Américains est par conséquent très exceptionnelle et on peut penser qu'aucun autre peuple démocratique ne puisse être placé à un niveau similaire) (Alexis de Tocqueville, Democracy in America, 1840, Part.2, p. 36).
L'exceptionnalisme américain a deux facettes. La première est que les Etats-Unis considèrent leur pays comme ayant une position économique, géographique et culturelle qui lui permet d'être différent des autres nations, y compris des autres superpuissances, voire même d'être dans une position supérieure par rapport au reste du monde. La grandeur géographique, l'abondance des ressources naturelles, la variété des climats, la diversité culturelle, la longue histoire démocratique, leur rôle crucial dans la création de l'ONU et de ses organisations spécialisées, tout cela a contribué à «ériger» les Etats-Unis comme un pays exceptionnel. Même sur le plan religieux, les Etats-Unis considèrent qu'ils ont, en quelque sorte, été créés par la volonté divine pour accomplir une mission exceptionnelle sur Terre. Plusieurs slogans, en effet, ont été utilisés dans l'histoire pour illustrer cette consécration religieuse.
Tantôt les Etats-Unis ont été considérés comme la «Nouvelle Israel de Dieu» (God's New Israel) – une sorte de Terre Promise – comme dans l'ouvrage de Conrad Cherry, God's New Israel, Chapel Hill, University of California Press, 1998, et dans l'article de Stephen M. Walt, «The Myth of Amercan Exceptionalism», Foreign Affairs, Oct.11, 2011. Tantôt les Etats-Unis sont érigés en «Shining City Upon the Hill», notamment par Ronald Reagan, qui a lui-même puisé cette expression chez Jonathan Winthrop qui, en accueillant les immigrants venus en Nouvelle Angleterre, a déclaré : «We shall be as a city upon the hill, the eyes of all people are upon us» (Nous devrons être telle une cité sur une colline, les yeux de tout le monde braqués sur elle).
Le président Abraham Lincoln faisait référence à cette mystique religieuse lorsqu'il parlait des Etats-Unis come «The Last Best Hope» (Le Dernier Meilleur Espoir). Et tout près de chez nous, Madeleine Albright, ancienne Secrétaire aux Affaires étrangères, déclarait que les Etats-Unis étaient une «indispensable nation». Une bonne partie de l'histoire des Etats-Unis a été passée à chercher une justification religieuse à cette supposée mission sacrée qu'ils auraient recue de Dieu. Parlant des guerres que les Etats-Unis ont toujours menées, Jeffrey Sachs écrit : «Part of the exceptionalist tradition has been to find divine purpose in war, to place America's faith in the institutions of war as a divine instrument and sacred mandate to be exercised around the world» (Une partie de la tradition exceptionnaliste a été de trouver une motivation divine à la guerre et à placer la foi de l'Amérique dans les institutions de la guerre comme instrument divin et comme mandat sacré devant être exercé dans le monde) (Jeffrey Sachs, A New Foreign Policy, op.cit., p.2).
La deuxième facette de l'exceptionnalisme américain est l'idée que l'Amérique a un rôle exceptionnel à jouer dans les affaires du monde, notamment le rétablissement de l'ordre et le maintien de la stabilité et de la paix globales. Une fois que la «Cité sur la Colline» a été construite, les yeux du peuple – il faut dire du gouvernement – américain ne sont plus braqués sur elle, mais sur le reste du monde. Une fois leur «destinée» établie, les Etats-Unis se sont tournés vers la constitution d'un empire. C'est ainsi qu'en 1898, ils sont allés en guerre contre l'Espagne pour lui arracher des colonies (Porto Rico, Les Philippines, Cuba…).
Plus près de nous, au XXe siècle, l'Amérique n'a pas cessé d'intervenir dans plusieurs pays et dans plusieurs regions du monde pour y établir – supposément – la démocracie, pour annexer des territoires, comme par exemple la zone du Canal de Panama en Amérique centrale, s'assurer des réserves en ressources naturelles, notamment le pétrole (Irak, Libye), réprimer des rebellions et installer des régimes plus dociles et plus favorables aux intérêts américains. John Coastworth, historien américain, notamment dans son ouvrage The United States and Central America : The Clients and the Colossus, (Twayne, 1994), a dressé un tableau de plus de 40 pays où les Etats-Unis ont effectué des interventions pour y changer les régimes locaux. Ces interventions se sont récemment étendues aux pays d'Afrique, d'Europe, et d'Asie, et plus récemment encore aux pays du Moyen-Orient (Irak, Syrie, Libye). Cette vision exceptionnaliste de l'Amérique a tout récemment été renforcée et extrêmisée à la suite de l'accès de Donald Trump à la présidence en 2016. En créant et utilisant ses deux slogans élaborés pendant sa campagne électorale – «America First» et «Make America Great Again» –, Trump veut pousser l'exceptionnalisme à son extrême. En déclarant «America First», il veut isoler complètement les Etats-Unis du reste du monde, comme si les Etats-Unis – même avec toute leur superpuissance – pouvaient être une île séparée des autres pays de la planète.
En clamant «Make America Great Again», il veut que l'Amérique soit encore plus forte économiquement, politiquement surtout militairement, évidemment sous-entendu par une exploitation encore plus approfondie des autres pays et par une expropriation de leurs ressources au profit des Etats-Unis. Mais Trump va encore plus loin en ajoutant à l'exceptionnalisme classique deux dimensions tout à fait nouvelles : le protectionnisme et le racisme. En tant que protectionniste, Trump veut – et il a commencé à le faire – annuler tous les traités de commerce internationaux (TPP, NAFTA, etc) qu'il considère défavorables aux Etats-Unis. Il entend aussi – et il a commencé aussi à le faire – augmenter les taxes sur les produits en provenance de l'étranger, notamment de la Chine. Et il veut que les pays avec lesquels les Etats-Unis commercent réduisent leurs taxes sur les produits importés par les Etats-Unis de ces pays. Ce faisant, il applique la fameuse «Monroe Doctrine» qui proclame «Our interests First» (Nos intérêts d'Abord). De la même manière, il considère que les Etats-Unis font partie des «Masters of Mankind» des (Maîtres de l'Humanité) dont Adam Smith a parlés et qui, dit-il, «are the principal architects of government policy and who pursue their ‘vile maxim': all for ourselves and nothing for other people» (les maîtres de l'humanité sont les principaux architectes de la politique gouvernementale qui appliquent leur ‘vile maxime' : tout pour nous-mêmes et rien pour les autres) (Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, Bentham Classics, 2003, p. 26).
L'autre nouvelle dimension que Trump a ajoutée à l'exceptionnalisme classique est la dimension raciste. Cela apparaît notamment chaque fois que Trump aborde un thème qui lui est cher : l'immigration. Il a d'abord traité certains pays d'Afrique de «shitholes» (pays de merde). Il a ensuite exclus un certain nombre de pays musulmans de la liste des peuples pouvant entrer aux Etats-Unis. C'est le fameux «Muslim Ban» (Interdiction des musulmans) qui a été finalement refusé par la Cour suprême américaine comme étant inconstitutionnel. Cette politique protectionniste et raciste n'a fait que diviser encore plus la société américaine et a aussi et surtout accentué la haine de plusieurs pays vis-à-vis du gouvernement des Etats-Unis. Cependant, au cours de ces dernières décennies, l'exceptionnalisme américain et la grandeur des Etats-Unis ont beaucoup décliné en raison de l'embourbement dans lequel ils se sont trouvés, notamment dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan, mais aussi en raison de la montée de nouvelles puissances émergeantes dans le monde.
Le déclin de l'exceptionnalisme américain et la montée de nouvelles puissances émergentes
L'exceptionnalisme américain – à supposer qu'il ait existé dans une certaine mesure dans le passé – est un mythe qui peut être déconstruit par la déconstruction de ses propres présupposés par le déclin de l'importance économique et politique des Etats-Unis et par la montée de nouvelles puissances. S'agissant des présupposés qui fondent l'exceptionnalisme américain, on peut en relever cinq. Le premier est que l'Amérique n'est pas différente des autres nations et n'est pas plus «exceptionnelle» que les autres. Plusieurs autres nations, avant elle, avaient proclamé leur exceptionnalité, c'est-à dire aussi leur supériorité, mais ont toutes connu une chute vertigineuse : l'Empire britannique, avec son slogan «White Man Burden» (Le Fardeau de l'Homme Blanc), l'Empire français avec sa «Mission civilisatrice», le Portugal avec sa «Missao civilizado», l'Union soviétique avec son idéal d'un monde communiste universel.
Tous ces empires ont chuté tour à tour comme un château de cartes. Les Etats-Unis ne peuvent certainement pas être une «exception». Deuxième présupposé, l'Amérique ne se comporte pas mieux que les autres nations sur le plan moral et politique et n'a pas un code de conduite meilleur que celui des autres. Lorsqu'on voit les interventions qu'elle a entreprises dans plusieurs regions du monde – Amérique du Sud, Asie, Afrique, Europe – pour y installer la démocratie ou changer de régimes politiques, et les guerres dans lesquelles elle s'est embourbée jusqu'à ce jour (Irak, Syrie, Libye, Afghanistan, etc) – pour ne citer que les plus récentes – on est porté à dire que les Etats-Unis se comportment, ainsi que certains analystes politiques l'ont déclaré, comme des «rogue state» ou «rogue superpower» , c'est-à-dire un pays qui enfreint les lois internationales et qui, de ce fait, constitue une menace pour le monde (voir notamment Noam Chomsky, What We Say Goes, Metropolitan Books, 2002, et Who Rules the World ?, Picador, 2017). Troisième présupposé : le succès des Etats-Unis n'est pas dû à leur génie spécifique. Si les Etats-Unis sont aussi prospères économiquement et technologiquement avancés aujourd'hui, ils le doivent aux immigrants qui sont venus de tous les coins du monde. Le succès des Etats-Unis est aussi dû au fait que la
«Nature» les a dotés d'une position géographique favorable (rivières, mers, variété des climats) et de ressources naturelles abondantes et variées. Quatrième présupposé : l'Amérique n'a pas, comme le prétendent certains politiciens et historiens, été divinement désignée pour être responsable de Dieu sur Terre et comme gendarme du monde. Bill Clinton pensait par exemple que l'Amérique «is indispensable in the establishing of stable international relations» (l'Amérique est indispensable pour l'établissement de relations internationales stables).
Samuel P. Huntington, l'auteur de The Clash of Civilizations and the Remaking of the World Order, pensait que l'Amérique était centrale pour la formation d'un «futur pour la liberté, la démocratie, l'économie ouverte et un ordre international dans le monde». Ceci est totalement faux car quand on regarde, encore une fois, les interventions des Etats-Unis dans plusieurs pays du monde, ce qu'on voit comme résultat est le chaos, la mort, les épidémies, etc, un chaos d'où il sera difficile, voire impossible, de sortir (cas de l'Irak, Syrie, Afghanistan). Cinquième présupposé : Dieu n'est pas plus du côté des Etats-Unis que du côté des autres pays de la planète. Comme il a été indiqué ci-dessus, l'Amérique n'a pas été désignée comme «Jésus» sur Terre. D'autres nations avant elle – Rome et Grèce antiques, entre autres – avaient prétendu avoir ce pouvoir divin sur Terre, mais avaient toutes succombé à leurs propres illusions. L'autre raison pour laquelle les Etats-Unis ont perdu de leur lustre est la diminution drastique de leur poids économique et politique dans le monde.
En 1994, les Etats-Unis contribuaient pour presque 25% (soit un quart) au Produit domestique global (Global GDP) et pour 40% des dépenses militaires mondiales. En 2015, cependant, ces chiffres ont diminué pour atteindre seulement 22% du GDP global et 33,8% des dépenses militaires mondiales (voir Hall Brands, The American Grand Strategy in the Age of Trump, Brookings Institution, 2018). La part des Etats-Unis dans la production mondiale a atteint le pic en 1950 et a continuellement diminué depuis. Auparavant, en 1922, la production américaine était de 20% de la production mondiale et a décliné en 2016 au niveau plus bas de 16% (Jeffrey Sachs, A New Foreign Policy, op.cit, p.50). Il est clair, en regardant ces chiffres, que le poids économique des Etats-Unis dans le monde a beaucoup baissé. La contrepartie de cette baisse de la domination américaine se trouve, pour une grande part, dans la montée de nouvelles puissances émergentes, notamment d'Asie et d'Amérique latine : l'Inde, le Brésil, et surtout la Chine. La puissance émergente qui a pris une grande importance économique et politique ces dernières décennies et qui est considérée comme une menace pour la suprématie des Etats-Unis est sans conteste la Chine. Le Produit domestique brut (GDP) de la Chine a crû à un taux de 9,7% par an entre 1980 et 2016.
La Chine n'est secondée, sur le plan des taux de croissance, que par l'Inde qui a crû à un taux de 7,6% au cours des deux dernières décennies (Jeffrey Sachs, op.cit, p.56). S'agissant de la Chine, d'autres sources donnent un taux de croissance encore plus grand. Timothy Noa avance le chiffre de 10% par an depuis 1979, ce qui correspond, selon ses calculs, à trois fois le taux de croissance que les Etats-Unis ont atteint entre 1950 et 1973 (Timothy Noa, The Great Divergence : America's Growing Inequality and What We Can Do About It, p. 94). La production chinoise par habitant a augmenté à un taux presque équivalant de 9% par an, soit 11,8 fois plus entre 1978 et 2013. Sur un autre plan, stratégique lui aussi – l'éducation – la Chine produit aujourd'hui plus de Ph. Ds' par an que tout autre pays dans le monde (Jeffrey Sachs, The Age of Sustainable Development, p.25). Sur le plan social, la Chine a sorti de la pauvreté plus de 500 millions de Chinois (Joseph Stiglitz, The Great Divide, Preface, p.xvi). Sur le plan du commerce international, la Chine a augmenté ses exportations, passant de 20 milliards de dollars en 1980 à 400 milliards de dollars en 2004 (Jeffrey Sachs, The End of Poverty, p.17). Sur le plan militaire – qui était jusqu'à maintenant la raison de la fierté des Etats-Unis –, la Chine a fait un grand bon en avant. En 1994, les dépenses militaires chinoises étaient de 2,2% des dépenses militaires mondiales et ont augmenté pour atteindre le niveau de 12,2% en 2015 (Hall Brands, op. cit., p.12).
Il faut aussi signaler au passage que la Chine est le créditeur des Etats-Unis et non son débiteur. Sur le plan politique et diplomatique, la Chine est également sur le chemin de la croissance : «China is looming even larger in global diplomacy, as more and more countries see China as their major trade and financial partner» (La Chine est encore plus en train d'émerger dans la diplomacie globale à mesure que de plus en plus de pays regardent la Chine comme leur partenaire commercial et financier)(Jeffrey Sachs, The Price of Civilization, p. 89). Autre élément d'une importance considérable : les Etats-Unis ont beaucoup perdu sur le plan politique et diplomatique. Ils ne sont plus les «peace brokers» (les faiseurs de paix) qu'ils étaient – ou pensaient être – dans le passé.
Ils ne sont plus les défenseurs acharnés de la Charte des Nations qu'ils ont, rappelons-le, contribué à établir. Ils n'utilisent plus le canal des Nations unies que lorsque c'est dans leur intérêt : «US présidents sought UN approval when they could get it and acted without it when they could not, with variations in this theme across administrations» (Les présidents américains ont recherché l'approbation des Nations unies lorsqu'ils pouvaient l'obtenir et ont agi sans les Nations unies lorsqu'ils ne l'ont pas obtenue, avec des variations selon les administrations) (Jeffrey Sachs, A New Foreign Policy, op.cit., p.34). Par ailleurs, surtout depuis l'avènement de Trump au pouvoir, les Etats-Unis – il faut dire le gouvernement des Etats-Unis – n'ont jamais été aussi haïs qu'aujourd'hui. Avec leur politique de retrait de la scène internationale – retrait du TPP, de NAFTA, de l'Iran Nuclear Deal, retrait de la COP21 de Paris sur l'environnement – le fait de n'avoir pas ratifié plus d'une quinzaine de traités internationaux, la réduction de 285 milliards de dollars de leur contribution au budget des Nations unies et la reduction de l'aide publique au développement (l'aide américaine ne représente que 0,2% de l'aide globale au développement, ce qui est loin d'atteindre les 0,7% requis par les Nations unies. Pour toutes ces raisons, les Etats-Unis ne peuvent plus prétendre jouer le rôle de «leader du free world» (les leaders du monde libre) qu'ils ont pu jouer dans le passé.
Il est clair, compte tenu de l'analyse précédente, que les Etats-Unis ont commencé leur chute sur le plan aussi bien économique que politique et que de nouvelles puissances sont discrètement mais sûrement en train d'émerger – en particulier la Chine – qui pourraient éventuellement remplacer les Etats-Unis. C'est ce que prédisent des économistes et politiciens bien connus comme Jeffrey Sachs qui écrit : «In 2010, China overtook Japan as the second largest economy in the world… Most likely, China will overtake the United States within the next two decades and perhaps by 2020» (En 2010, la Chine a dépassé le Japon comme seconde plus large economie dans le monde… Plus vraissemblablement, la Chine prendra la place des Etats-Unis dans le laps des deux prochaines décennies et peut-être en 2020) (Jeffrey Sachs, The Price of Civilization, p. 90).

Conclusion
La question qui demeure, en guise de conclusion, est la suivante : quelle politique doivent adopter les Etats-Unis pour redorer leur blason et se réapproprier à nouveau le leadership qu'ils ont graduellement perdu et contribuer à l'établissement d'un système de relations internationales plus équilibré, plus equitable, orienté vers le "win-win et non vers le win-lose ? La réponse rapide à cette question est qu'ils doivent se replacer sur la scène internationale en tant que «partners» (partenaires) et abandonner à tout jamais leur «dream»"– ou mythe» selon lequel «They owe the world» (ils possèdent le monde), mais plutôt qu'ils «share it» (qu'ils partagent le monde avec les autres), pour reprendre une terminologie établie par Noam Chomsky, notamment dans son ouvrage Making the Future : Occupations, Interventions, Empire and Resistance, p. 29). A la place de cela, ils devraient adopter une politique étrangère fondée sur la coopération internationale et la recherche du consensus chaque fois que cela est possible.
Cela signifie qu'ils doivent renoncer à leur bâton de gendarme du monde et aux interventions dans les affaires des autres nations – sauf en cas de crises humanitaires, auquel cas ils doivent le faire en concertation et collaboration avec les Nations unies. Cela veut dire, en d'autres termes, qu'ils doivent redonner à la diplomatie son rôle de meilleur moyen de régler les conflits internationaux et d'établir des relations internationales basées sur un développement durable et équitable. Cela est en totale contradiction avec l'opinion erronée et fallacieuse de John Bolton, le conseiller de Trump à la Sécurité nationale qui a déclaré que les Nations unies n'existent pas et sont, en quelque sorte, remplacées par les Etats-Unis agissant en tant que superpuissance : «There is no United Nations.
There is an international community that occasionally can be led by the only real power left in the world – that's the United States – when it suits our interests and when we get others to go along» (Il n'y a pas de Nations unies. Il y a une communauté internationale qui peut être conduite par la seule puissance qui reste dans le monde, à savoir les Etats-Unis, lorsque cela répond à nos intérêts et lorsque nous pouvons avoir la collaboration d'autres nations) (John Bolton, Questioning Mr. Bolton, New York Times, 13 avril 2005, cité par Noam Chomsky in «What We Say Goes : Conversations on US. Power in a Changing World», note 4, p. 209). Cette vue est partagée par Donald Trump qui promet de déconstruire entièrement le système des relations internationales, notamment dans le cadre de l'application des slogans «America First» et «Make America Great Again».
Ces projets sont, entre autres : construire un mur aux frontières sud des Etats-Unis pour contrecarrer l'immigration illégale, interdire aux musulmans d'entrer aux Etats-Unis, mettre fin au système d'assurances dit ObamaCare, se retirer du traité de la COP21 de Paris sur la protection de l'environnement, réviser les lois sur le libel (diffamation), notamment contre la liberté de la presse, criminaliser l'avortement, mettre en prison ses ennemis politiques (comme il l'a promis de le faire avec Hillary Clinton lors de la campagne électorale), etc. En effet, pour Trump et les exceptionnalistes comme lui, les Etats-Unis sont encore la superpuissance qui ne connaît ni rival, ni équivalant. Trump pense que la diplomatie ne sert à rien et que, ce qui compte, c'est la supériorité économique et militaire d'une nation.
Il ignore – ou fait exprès d'ignorer – que si l'Amérique a une certaine dose d'exceptionnalisme, cela est dû à sa diversité ethnique et culturelle et à son ouverture historique vers le monde. Ainsi que le souligne Jeffrey Sachs : «Our strength lies in our diversity and our ability to connect with all parts of the world in a cooperative spirit» (Notre force se trouve dans notre diversité et notre capacité à connecter avec toutes les parties du monde) (Jeffrey Sachs, A New Foreign Policy, op.cit, p.4).
Il ne sait pas que, plus il fait valoir son «America First» et isole son pays du reste du monde, plus il encourage les autres puissances émergentes (Europe, mais aussi la Chine) à collaborer entre elles et à créer un système parallèle de relations internationales qui, à long terme, étoufferait et isolerait les Etats-Unis encore plus sur la scène internationale. Il ignore – ou feint d'ignorer – que le pouvoir réel d'une nation est son «soft power» (pouvoir diplomatique et politique) et non le pouvoir militaire. En effet, les Etats-Unis ne peuvent pas vivre en vase clos comme semble le suggérer Trump. Ils ont besoin des autres pays comme une plante a besoin d'oxygène pour survivre et croître. L'Amérique doit être plus réaliste et reconnaître que le monde d'avant ou même d'après la Seconde Guerre mondiale n'est plus celui d'aujourd'hui et qu'il sera encore plus différent dans deux ou trois décennies.
Elle doit admettre que chaque pays a son propre exceptionnalisme et que c'est la mise en commun de ces exceptionnalismes qui peut conduire à un meilleur monde d'où seront exclues l'inégalité, l'injustice, les guerres, les maladies, et la détérioration de l'environnement. Nul mieux que le président J. F. Kennedy n'a su, à une époque où on était à deux doigts d'un conflit nucléaire entre les Etats-Unis et l'URSS, évaluer la situation et prédire l'avenir près de cinquante ans après sa mort : «Ne soyons pas aveugles quant à nos différences, mais en même temps, dirigeons notre attention sur nos intérêts communs. Et si nous ne pouvons pas mettre un terme à nos différences, au moins nous pouvons faire que le monde soit plus sécurisé et diversifié.»
Et Kennedy de terminer : «For, in the final analysis, our most basic common link is that we all inhabit this small planet. We all breathe the same air. We all cherish our children's futures. And we are all mortal» (Car, en fin d'analyse, notre plus grand lien fondamental commun est que nous habitons tous cette petite planète. Nous respirons tous le même air. Nous chérissons tous le futur de nos enfants. Et nous sommes tous mortels) (J. F. Kennedy, discours d'inauguration, American University, June 10, 1963). Ce conseil est d'une actualité telle qu'il peut être adressé directement au président Trump qui veut mettre fin à cette diversité et qui renie – ou fait semblant de renier – la réalité du changement climatique.


Par Arezki Ighemat , Ph.D en économie
Master in Francophone Literature
(Purdue University, USA)


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