– Quels enseignements tirez-vous de ce 31e vendredi de mobilisation ? Le peuple a donné une réponse sans équivoque : il refuse catégoriquement qu'on lui impose une échéance présidentielle dans les conditions actuelles, avec le même pouvoir, le même gouvernement, la même Constitution et les mêmes pratiques. Depuis le début, les forces de l'Alternative démocratique, comme l'UCP, réclament un dialogue inclusif avec les tenants du pouvoir pour arrêter, ensemble, de manière consensuelle, une feuille de route qui permettrait au pays de construire de nouvelles règles de transparence et la compétition équitable entre les candidats. La loi organique portant création de l‘Autorité d'organisation des élections est un texte constitutionnel. Dans les conditions actuelles, il est impossible juridiquement et techniquement d'organiser des élections et d'en proclamer les résultats en moins de 90 jours, alors que le pays compte près de 60 000 bureaux de vote et 1541 communes. La mise en place des démembrements de cette autorité au niveau de toutes les communes, les wilayas, les représentations diplomatiques et consulaires et des ambassades nécessitera au minimum 6 à 8 mois. Pour organiser des élections avec une autorité indépendante, il faudrait que ces gens soient formés pour contrôler, en amont et en aval, des élections crédibles. C'est dire qu'il est impossible que cette commission puisse organiser des élections dans les délais impartis. Dans ce contexte, c'est toujours l'administration qui organisera ces élections alors que ladite commission donnera seulement son quitus. Des questions restent aussi posées concernant la composante de cette instance, sa crédibilité et sa compétence. C'est pourquoi le peuple refuse cette élection telle que proposée par le pouvoir. Enfin, on ne peut pas aller vers des élections dans un climat caractérisé par une recrudescence de la répression et l'emprisonnement de politiques, de militants et de jeunes manifestants. – Malgré le rejet du scrutin par le hirak, le chef d'état-major semble vouloir organiser les élections coûte que coûte. Selon vous, ce passage en force ne risque-t-il pas de provoquer des dérapages ou de radicaliser la contestation ? Personnellement, je regrette que le chef d'état-major se mette en confrontation avec le peuple. Mais aussi, il met l'armée en confrontation avec son peuple alors que l'armée a un bon crédit auprès des Algériens. Cette élection va-t-elle résoudre la crise ou encore l'aggraver ? Quelle sera la crédibilité de cette élection, rejetée par une grande majorité du peuple, vis-à-vis de la communauté internationale et de nos partenaires étrangers ? Tout le monde regarde ce qui se passe dans pays, alors que le peuple continue pacifiquement à revendiquer un changement et une rupture avec ce système. Comment peut-on mépriser le peuple et ne pas tenir compte des millions d'Algériens qui descendent dans la rue deux fois par semaine pour rejeter la voie de fait. Je pense, cependant, que les citoyens sont très conscients des enjeux. Il n'y aura pas de dérapage de leur part. Ils ont compris que la clé de la réussite de leur révolution, c'est le côté pacifique de la mobilisation ! Ils n'ont pas cédé aux provocations ni aux emprisonnements. Du côté du pouvoir, on a vu des éléments de répression et de radicalisation avec la décision anticonstitutionnelle du chef d'état-major d'interdire l'accès à la capitale et de donner des ordres pour délester les citoyens de leurs propriétés privées (véhicules individuels et collectifs). Il s'agit d'atteintes très graves. Ceci a d'ailleurs provoqué des réactions de la communauté internationale, notamment des ONG, par rapport aux atteintes graves aux libertés individuelles et collectives des citoyens. Malgré ces interdictions, les Algériens n'ont plus peur. Ils ont défilé en masse vendredi dernier. – Le procès de la secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune, poursuivie pour «complot» dans une affaire visant Saïd Bouteflika et les généraux Mohamed Mediène et Bachir Tartag, s'ouvrira ce lundi au tribunal militaire de Blida. Peut-on avoir votre réaction ? Nous condamnons le fait que des politiques soient mis en prison à cause de leurs positions. Un politique par définition milite pour changement pacifique du régime. Le gouvernement a annoncé que ce procès sera transmis en direct pour permettre aux citoyens d'avoir droit à une communication et une transparence dans les conditions d'un procès équitable. Nous souhaitons que les juges soient indépendants et qu'ils regardent uniquement ce qu'il y a dans le dossier afin de juger en leur âme et conscience, en application stricte de la loi, sans interférences. C'est ce que nous revendiquons. Nous avons toujours appelé à ce que la justice soit indépendante et qu'il n'y ait pas d'interférence de la part du pouvoir en place, qu'il soit politique, militaire ou même de l'argent. On va voir comment ce procès va se tenir et dans quelles conditions. A ce moment-là, nous rendrons publique notre réaction. Hocine Lamriben