L'universitaire Speranta Dumitruµ, maître de conférences à l'université Paris Descartes, a publié sur le site The Conversation* une contribution intitulée «Comment fabrique-t-on l'immigration irrégulière en France». Un texte intéressant après les décisions gouvernementales françaises sur la politique d'immigration, d'asile et d'intégration. Pour l'universitaire, ces annonces «reflètent aussi l'ambition d'Emmanuel Macron de peser sur la politique européenne de l'asile. Pour convaincre ses partenaires européens d'‘‘accueillir mieux'', il considère qu'il faut être ‘‘plus efficace pour reconduire ceux qui n'ont pas vocation à rester en Europe''». A ce sujet, elle se demande s'il «faut exporter du modèle français en Europe ?» Non, apparemment, car sa complexité en fait le premier pays producteur d'obligations à quitter le territoire (OQTF) en Europe. Par ailleurs, sa fermeture à l'immigration économique n'en fait pas un modèle. Ainsi, l'universitaire postule que même «les étrangers qui vivent régulièrement en France pendant des années peuvent devenir des sans-papiers», et pas seulement «les étrangers arrivés sans autorisation sur le territoire». Même les résidants réguliers. Pourtant, «dans les médias et les lieux de pouvoir, on s'étonne, alors que le taux d'expulsion ne soit pas plus élevé». L'auteure cite «l'exemple récemment médiatisé de Geneviève, cette doctorante en situation régulière qui a failli être expulsée pour avoir trop travaillé. Après un master de droit en France, Geneviève travaille pour financer son diplôme de doctorat (bac+8). Mais les étudiants, s'ils sont étrangers, n'ont pas le droit de travailler plus de 60% de la durée légale de travail. S'ils dépassent ce seuil, ils risquent le non-renouvellement, voire le retrait, de leur carte de séjour et deviennent des sans-papiers». Ainsi, «Geneviève a travaillé quelques heures de plus (65%) et la préfecture lui a adressé une obligation de quitter le territoire (OQTF) et même une interdiction de revenir en France (IRTF). La préfecture a ainsi grossi les rangs de l'immigration irrégulière dont on déplore le taux d'expulsion trop bas». Pour Speranta Dumitru, «la France n'est pas seulement la championne européenne des obligations à quitter le territoire. La productivité de son administration est, elle aussi, impressionnante : une OQTF sur cinq (22%) délivrées dans toute l'Union européenne est le fruit du travail d'un fonctionnaire français». La chercheuse estime ainsi qu'on fabrique «de l'immigration irrégulière pour la combattre» : «La lutte gagnerait en efficacité si on cherchait à comprendre comment la France est devenue premier pays producteur d'obligations à quitter le territoire en Europe. Le premier facteur est la complexité de la loi. (…) C'est au nom de l'opinion publique que les politiques changent la loi, tous les deux ans en moyenne, en la rendant toujours plus complexe. L'effet est presque mécanique : chaque nouveau critère transforme des étrangers présents de façon tout à fait régulière, en sans-papiers.» Comme si cela ne suffisait pas, depuis 2016, les OQTF sont assorties, dans de nombreux des cas, d'une interdiction de retour en France. Ceci en précisant que «la France produit le plus grand nombre d'obligations à quitter le territoire, elle n'attire en revanche qu'environ 3% de l'immigration économique en Europe». «En 2018, les titres de séjour pour motif économique délivrés en France ont été moins nombreux qu'en République tchèque, petit pays dont la population est six fois moins nombreuse et le PIB, 12 fois plus petit. Inutile de comparer la France à la Pologne, où l'immigration économique est 10 fois plus grande, ni à la Grande-Bretagne (3 fois plus) ou l'Allemagne et l'Espagne (2 fois plus). La France est plutôt comparable à la Hongrie, dont le gouvernement est réputé xénophobe et le PIB, 18 fois plus petit». «Les mesures du gouvernement ne rendront pas la France plus ouverte à l'immigration économique que les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque), réputés hostiles à l'immigration», conclut-elle.