- Connaissez-vous l'économie algérienne ? Je commence à découvrir l'économie algérienne d'abord à travers l'observatoire des émergents que nous avons fondés avec des collègues dont des Algériens à Paris qui travaillent plus sur le Maghreb et l'Algérie. En revanche, je connais assez bien des économies arabes comme le Maroc, l'Egypte, la Syrie, un peu moins le sultana d'Oman et le Soudan.
- Qu'est-ce que c'est une zone économique spéciale ? En général, le concept est assez souple. Pour un gouvernement, dans une zone qui a un certain savoir-faire et qui veut en développer d'autres, il se donne un peu de souplesse dans les règles mais en contrôlant l'exercice. Ce qui est important c'est ce qu'on fait à l'intérieur de cette zone et délimiter ses frontières. Une zone économique spéciale peut être soit une zone franche où on fait tout ce qui se fait dans une économie classique, mais avec moins de taxes pour la version la plus simpliste. La version chinoise est une zone dans laquelle le gouvernement et les administrations se donnent les moyens d'aider les entreprises et de les laisser innover dans le commerce, dans les produits, dans la recherche, l'investissement, etc. C'est assez large comme spectre. Il existe des centaines de zones économiques spéciales dans le monde, mais le modèle chinois a une vision très intégrée de laboratoires de développement. Il y a une liberté pour les investisseurs d'une part et d'autre part, un effort des politiques pour voir les modèles qui peuvent émerger pour les concrétiser dans le reste du pays. Indépendamment de taille entre une économie maghrébine ou algérienne et l'économie chinoise, l'approche est de se donner un peu de souplesse en considérant cette zone comme un laboratoire pour tenter des expériences et voir ainsi ce qui peut se faire dans le reste du pays. - Est-il possible de créer une zone économique entre pays maghrébins sans la convertibilité des monnaies ? Certains craignent le pillage dans les échanges commerciaux. Mais une monnaie qui n'est pas convertible est une sécurité pour le politique. Quand une monnaie n'est pas convertible cela oblige une certaine réciprocité dans les échanges. Donc, il n'y a pas de pillage. A l'inverse, beaucoup d'entrepreneurs et d'économistes disent tant que la monnaie n'est pas convertible, nous ne pouvons pas échanger. C'est faux ! Il s'agit de mettre en place un système de clearing des échanges et tant qu'ils sont équilibrés et chacun se retrouve dans sa propre monnaie, cela n'empêche nullement de faire du commerce. Il existe des exemples de monnaie où le compte de capital n'est pas convertible comme en Chine. Cela n'a pas empêché les investissements directs étrangers (IDE) ni le commerce ni l'industrialisation. - Connaissez-vous bien l'économie marocaine et plus ou moins l'économie algérienne ? Le partenariat sont deux choses : une opportunité et une volonté. Sur le plan opportunité, il y en a énormément, que ce soit en termes de complémentarité industrielle ou autres. Sur le plan industrie énergétique et mécanique, l'Algérie a des avantages. Le Maroc est en train d'apprendre à se positionner assez rapidement dans certaines chaînes de valeur mondiale. Il existe des complémentarités fortes entre les deux économies en termes de coût et d'augmentation des débouchées et de savoir-faire. A titre indicatif, les débouchés maritimes, l'économie algérienne a un certain dynamisme dans plusieurs secteurs, mais avec le manque de débouchés maritimes. Il y a le projet Tanger Med qui a placé le Maroc dans une bonne position de commerce international. C'est un débouché pour l'Algérie mais c'est aussi une opportunité pour le Maroc d'augmenter son trafic maritime et rentabiliser ainsi très vite le projet Tanger Med. Si un jour, il y a un projet Alger Med ou un autre grand port algérien, l'un n'empêche pas l'autre. Si ce partenariat démarre demain, il y a déjà des opportunités. - Même avec la fermeture des frontières terrestres entre les deux pays ? Les frontières peuvent être fermées aux hommes et ouvertes aux marchandises. Une situation transitoire en attendant leur ouverture. La frontière est fermée entre l'Algérie et le Maroc pour des différends territoriaux. A titre d'exemple, la situation entre l'Inde et la Chine, ces pays commerce à un niveau de 60 milliards de dollars alors qu'ils ont des différends territoriaux. Pendant les cinq dernières années qui ont connu un boom du commerce bilatéral entre les deux pays, il y avait des crises territoriales. Tout simplement les deux questions étaient séparées. Bien au contraire, la résolution du différend territorial a été accélérée par l'enjeu commercial qui devenait très important. Mon avis purement technique d'économiste sur un système entre l'Algérie et le Maroc, que les Marocains et les Algériens envisagent avec un certain nombre de garde-fous sécurisant les deux gouvernements permet aux entrepreneurs des deux côtés de la frontière qui le souhaitent de démontrer qu'il existe un potentiel, cela leur permettra de travailler ensemble. - La Chine n'a pas fait d'étude pour la création de zones économiques spécifiques. Est-ce possible de transposer ce modèle dans les pays du Maghreb, dont l'Algérie ? Il s'agit d'études de complémentarité des économies. Les acteurs économiques les connaissent. Les études deviennent importantes à partir du moment où une base de commerce est établie et la question est comment accélérer ce commerce et s'assurer que ce commerce est équilibré. Les études sont nécessaires dans un second temps pour affiner les grandes lignes. Il faut de la volonté et mettre en place cette base sans étude. - S'agit-il d'une volonté des opérateurs ou strictement politique ? Dans l'ordre, c'est d'abord une volonté politique. Pas nécessairement extrêmement forte, elle peut venir à partir du moment où des garde-fous sont mis en place et chaque pays est sécurisé. Dans un deuxième temps, c'est aux entrepreneurs de faire leurs preuves.
- S'agissant des restrictions sur les transferts d'argent vers l'étranger, est-ce que la Chine a connu ce genre de restrictions ? Pendant très longtemps, le système politique en Chine est socialiste dirigé par le parti communiste, pendant très longtemps les investissements à l'extérieur étaient interdits. La Chine a autorisé ses investissements à partir du moment où elle a accumulé des réserves extrêmement importantes avec 2000 milliards de dollars. Si on fait le parallèle avec l'Algérie qui a des réserves de change importantes, il n'y a pas de risque et elle a une marge de manœuvre importante. Avant que la Chine n'autorise ces investissements hors de ses frontières, le corridor avec Hong Kong a été un bon moyen d'apprendre à le faire. Beaucoup de la diaspora chinoise ont investi à Hong Kong et beaucoup d'IDE qui venaient en Chine étaient des investissements sur lesquels les nationaux chinois par une manière un peu détournée qui ont lieu en Algérie. Il suffit de manipuler les prix des exportations et des importations puis on accumule de l'argent à l'extérieur. Cet argent est revenu s'investir sur le sol national parce que les nationaux étaient sécurisés qu'ils pouvaient l'investir à l'extérieur. Autoriser les industriels à investir à l'extérieur, les industriels algériens ne vont pas investir à l'extérieur tous azimuts et complètement déserter l'Algérie. Ils ne vont pas s'exposer dans des pays qui ne sont pas les leurs alors que finalement leur base est l'Algérie. S'ils investissent à l'étranger, c'est pour augmenter leurs parts de marché, augmenter leur compétitivité en Algérie même et donc in fine bénéficier à l'économie algérienne. Du coup, les IDE vont dans les deux sens. La Chine l'a compris. Sa banque centrale, Bank of China et d'autres organismes doivent autoriser des investissements lorsqu'ils sont supérieurs à 25 millions de dollars. Ces mécanismes sont compatibles à l'Algérie. La question n'est pas tellement de textes mais de volonté. - A partir des indicateurs macroéconomiques, peut-on dire que l'économie algérienne est émergente ? Aucun pays n'est comparable à la Chine. Si on considère que la Chine est 5, 6 voire 10 économies régionales différentes, l'Algérie est certainement comparable à l'une de ces Chine-là. Le plus intéressant encore est de considérer la Chine comme un laboratoire, car elle teste différents modèles qui peuvent inspirer tout pays qui souhaite émerger. Mon point de vue sur l'émergence, les économies émergentes sont toutes celles qui ont une diversité interne. Il s'agit de différentes manières de s'insérer dans l'économie mondiale. Dans l'économie algérienne, à ma connaissance, il y a cette diversité interne. De plus, elle a des ressources naturelles et énergétiques qui sont l'un des modèles d'insertion aujourd'hui, à l'exemple du Brésil. L'Algérie peut se comparer au Brésil sur la transformation de sa rente énergétique comme elle peut se comparer à certains modèles asiatiques sur les questions de commerce de proximité avec les autres pays du Maghreb, à certaines zones de l'Inde du fait qu'elle a un certains nombre d'entrepreneurs dynamiques qui ne demande qu'être libéré. Elle peut s'inspirer de divers modèles d'économies émergentes et de sa propre histoire.