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« Ne pas se résigner à l'inculture »
Antoine Sfeir. Journaliste et chercheur
Publié dans El Watan le 04 - 12 - 2008

Nous sommes allés chercher l'analyste sur le terrain de la culture : Faïrouz, Khalil Gibran Khalil, l'identité arabe, l'intelligentsia, la littérature, l'orientalisme, la culture américaine…
Hier, vous fredonniez tout en marchant un air de Faïrouz. Que représente-elle pour vous ?
Je suis né dans une sorte de mouvement de fond qui ressemblait à la fois à un rêve à un projet et qui était le nationalisme arabe. Au Liban, j'ai eu conscience de vivre ce rêve pendant plusieurs années. Je l'ai vécu adolescent au moment où les rêves les plus fous traversent le cerveau et le cœur, et le cœur surtout vu qu'à cet âge, c'est lui qui l'emporte. J'écoutais aussi bien Brassens que Faïrouz, Brel ou Magda Roumi ; Ne me quitte pas et Aâtini ennay. C'était des paroles de chansons, mais également des poèmes. C'est Faïrouz qui m'a fait aimer la langue arabe, de la même manière que lorsque je lisais El Mutanabbi ou Adonis. J'étais réellement pris par cette double poésie et c'était aussi une introduction sociale pour moi. Je ne cache pas qu'alors nous étions des bourgeois qui tétions les classiques français au biberon. Faïrouz m'a introduit sur le plan populaire auprès des classes qui écoutaient les chansons en arabe. Elle a de plus bercé mes amours d'adolescent. C'est pourquoi j'ai été très sensible hier en entendant une fille, venue à la librairie, fredonner cette chanson que j'ai reprise ensuite et qui ne m'a pas lâché depuis. Et c'est en même temps une fierté pour moi de voir Faïrouz accueillie dans tous les pays arabes comme une grande artiste qui n'est pas uniquement libanaise et, idéologiquement, cela me rapproche de mes rêves.
Dans cette initiation culturelle, où se situe Khalil Gibran Khalil ?
Il a accompagné cette sécularisation à laquelle nous appelait le nationalisme arabe, cette distanciation par rapport à des religions — il y a quand même 17 communautés au Liban — qui étaient omnipotentes et omniprésentes. Il avait ce regard critique à l'égard de toutes les institutions, y compris religieuses d'ailleurs, et cela nous rapprochait de lui. Pour nous, Gibran était l'homme de la Montagne. En arrivant en France, j'ai découvert son aura internationale. Un collègue journaliste m'a demandé d'être le parrain de sa fille et au moment du baptême, on a lu des textes de Gibran. J'étais étonné de voir à quel point l'Occident recherchait une sorte de spiritualité laïque, séculaire à travers un poète arabe qui a écrit son livre Le Prophète en arabe, ne l'oublions pas. J'étais surpris de le retrouver si présent en Europe et il a continué à m'accompagner. C'est en France d'ailleurs que j'ai découvert Le Jardin du Prophète, Les ailes brisée et ses correspondances avec May Ziyada dans leur amour resté platonique.
Vous sentez vous comme un exilé ? Vous disiez que vous parliez peu du Liban car cela vous faisait trop mal…
Question très difficile… Libanais de naissance, j'ai passé 27 ans au Liban. Je suis imprégné de sa terre. J'ai choisi d'être Français pour des raisons multiples. Les philosophes des Lumières, Balzac, etc. qui étaient des écrivains quand nous, nous ne sommes que des scribouillards. Même les romanciers du Goncourt, qu'est-ce que l'histoire retiendra d'eux dans cent ans ?
Ou dans dix ans…
Oui, en effet. Je me sens parfois exilé oui. Pourtant j'ai découvert ma libanité en France. J'ai découvert ce que c'est qu'être Libanais. On devrait faire ça, du point de vue de la psychanalyse, dans chacun des pays arabes. On devrait se dire qu'est-ce que c'est que d'être Libanais, Syrien, Algérien ou Saoudien ou Omanais.. Cela nous aiderait à nous reconstruire, à structurer notre identité réelle qui, à ce moment-là, serait prête à se mêler à d'autres, sans susceptibilité et sans peur de perdre la sienne. Je me sens très Libanais en France. Pourtant, je me sens très Français parce que la France est ma patrie intellectuelle que j'ai choisie peut-être à l'adolescence. Tout ça s'entremêle. Il est certain qu'au plan existentiel, de la tradition, je continue par exemple à dire Hamdou Allah en me levant de table, ce qui est très symbolique. Cela me vient naturellement. Dieu est présent dans mon présent quotidien. Ce n'est pas celui de l'église ou celui de la mosquée, ni celui de la synagogue, mais le mien, dans une transcendance spirituelle qui me fait rendre compte que je suis un Levantin vivant en France. Cela dit, exil est un mot très fort. Est-ce que les Algériens qui vivent à Paris sont des exilés ? Ils se sentent tellement chez eux, ils sont même tellement constitutifs de la nation française en gestation aujourd'hui. S'ils sont des exilés, alors tous les pays du monde sont faits d'exilés.
Vous dites que vous avez retrouvé votre libanité en France… Disons comprise.
Comprise donc.
N'est-ce pas un handicap des cultures du monde arabe que de ne pouvoir se définir que par rapport à l'Autre et non intrinsèquement ?
Oui, sauf que, lorsque nous sommes chez nous, ce n'est pas évident. La libanité était tellement secouée, ébranlée par le communautarisme, le confessionnalisme, l'instrumentalisation des religions, etc. que j'avais du mal à me retrouver. Ma libanité était pensée, mais pas vécue. Il a fallu que je sois à mon tour agressé par d'autres et non pas par rapport à l'autre, pour me rendre compte que j'avais une identité déjà et j'ai essayé alors de la découvrir ou de l'achever, car je me rendais compte à 27 ans qu'elle était incomplète. Et je ne voulais pas, comme dit Amine Maalouf, qu'elle devienne une « identité meurtrière ». Au contraire, je la voulais ouverte, généreuse et partagée. C'est pourquoi lorsque j'emmène des amis français dans un restaurant libanais, je commence à leur montrer ma libanité à travers la cuisine, et, sociologiquement, c'est une cuisine de résistance puisque, lorsque le paysan libanais descendait sur le littoral qui a toujours été occupé, il a toujours ramené avec lui son alimentation. En ce qui concerne la littérature, la culture et l'identité arabes, elle était intellectuelle, mais pas vécue puisque, d'un côté, on m'a dit qu'être Libanais, ce n'était pas être Arabe, ni Syrien, ni Egyptien, etc. et de l'autre, on me disait qu'être Libanais, c'est être Arabe, Syrien, etc. Je ne me retrouvais plus. C'est d'ailleurs dans nos pays que l'on nous dit que l'autre est exclu, même l'autre arabe. C'est à partir de Paris que j'ai pu enfin pouvoir connaitre l'autre pour mieux le reconnaître.
Cela voudrait-il dire qu'une identité se construit plus qu'elle ne s'hérite ?
C'est certain. L'inné est hérité mais la personnalité est construite. Je prends l'exemple de mes deux filles jumelles qui ont dix ans. Elles ont un caractère tout à fait différent. Quelle est la plus libanaise des deux, je n'en sais strictement rien. Elles me le diront plus tard…
Vous sentez- vous appartenir à « la » ou « une » diaspora arabe ? Et d'abord existe-t-elle ?
Elle existe morcelée. Nous sommes très forts pour transposer ailleurs nos propres divergences quand il y en a, mais il est certain que je me sens aussi Arabe que Libanais à l'étranger Je fais partie d'une diaspora qui, encore une fois, n'existe que morcelée. Je me sens rejeté, ou dans ma francité choisie ou dans ma libanité innée, ou dans les deux à la fois. Mais votre question est intéressante car nous aurions intérêt à organiser cette diaspora pour éviter qu'elle ne soit ce qu'elle est aujourd'hui, exclusivement religieuse. On se rend compte de la lacune d'une diaspora nationaliste, identitaire.
Pensez-vous qu'il existe une intelligentsia arabe ?
Oui, j'en suis persuadé. Je suis fier d'appartenir à une intelligentsia qui, au lendemain du 11 septembre a été la première à réagir. Il y a une intelligentsia qui, comme toute intelligentsia malheureusement, n'arrive pas à sortir dans le peuple. C'est qu'il est difficile d'accepter d'être, j'allais dire dans ce monde. Souvent, on me demande comment je me définis. Je me définis « du » monde sans être « dans » ce monde, car probablement, comme tout intellectuel, nous avons tendance à bâtir notre monde qui est souvent intérieur et individuel et non pas « dans » ce monde. Vers l'Orient compliqué, votre essai, se conclut par un appel à la France et l'Europe d'agir sur le plan culturel envers le monde arabe… On oublie que la culture est englobante. Et la culture, c'est la cuisine mais aussi la politique. C'est à la fois les finances mais aussi l'économie, l'associatif mais aussi l'entreprise, c'est tout. Nous sommes un être culturel. La preuve, nous discutons dans une langue qui n'est pas la nôtre mais qui est en même temps une passerelle. Quand une culture est vécue, elle ne peut être que partagée et c'est merveilleux. Si aujourd'hui, par rapport à la stratégie américaine, on créait une cour culturelle…. Tenez, on parle encore des valeurs républicaines de la France, mais ces valeurs n'appartiennent plus seulement à elle. La République est un modèle universel et les autorités françaises devraient le comprendre. On parle aussi de la francophonie, qui n'est pas que l'usage de la langue mais un mode de pensée ; elle est devenue une sorte de vecteur culturel qui n'appartient plus à la France, mais à un ensemble de peuples, les Canadiens, les Algériens, les Libanais, etc. La culture ne peut être un vecteur colonial ou néocolonial parce qu'elle est désintéressée. La culture est aujourd'hui le seul vecteur qui peut nous empêcher de nous perdre en raison de la globalisation.
Votre essai est sous-titré Les Américains et le monde arabe. Les USA agissent certes par l'économique et le militaire, mais leur culture est présente partout même s'il s'agit d'une culture, comme on dit par raccourci, des Mac Do et du Coca-Cola…
Ce n'est pas faux. Nous avons eu la chance en France d'avoir quelqu'un de très honnête, un PDG de TF1 qui a dit : « moi je veux faire des téléspectateurs des cerveaux pour y implanter des marques », des cerveaux Coca-Cola quoi. Il voulait niveler par le bas. Les biens culturels américains nivèlent par le bas. Ils ont choisi cette politique. Mais je la refuse, c'est tout. Je veux au contraire, revenir à l'excellence. Je suis très prétentieux mais c'est par là que nous pouvons de nouveau retrouver un monde culturel qui soit à la fois un rempart contre les excès de la globalisation et une richesse pour la structuration de notre identité. Si les USA nous envoient des séries américaines qui nous vident la tête, c'est bien parce que nous somme des gens capables de dépasser le niveau de ces séries. La culture ne doit pas se contenter du médiocre, voilà. Mais on a le choix de regarder une émission comme « C dans l'air » ou une téléréalité.
Seriez-vous pessimiste sur les capacités internes des pays arabes d'assurer leur propre développement culturel ?
Je ne crois pas à la fatalité. Aujourd'hui, les pays arabes, ne l'oublions pas, sont agressés littéralement par l'Europe, les USA, la Russie, la Chine ou les pays émergents. Et, à l'intérieur même de l'espace arabe, nous sommes agressés par une culture qui n'est pas la nôtre, celle des Saoudiens, par la culture du dollar, du marché, etc. Je crois qu'aujourd'hui, le citoyen arabe en gestation est notre meilleur représentant culturel. J'ai rencontré à Alger un jeune homme qui devait avoir entre 30 et 40 ans. Je me revoyais à son âge, idéaliste, bouillonnant, passionné… Il faut qu'il le reste. Nous ne devons pas devenir blasés, résignés. Nous ne devons pas nous résigner à l'inculture. Le seul produit, même quand on a du pétrole, c'est l'humain, et en tant qu'arabe, c'est le seul qui nous permet d'exister précisément, sans référence à l'autre. Simplement, il faut qu'on reprenne conscience de ce que nous sommes à travers nos références culturelles.
D'après vous, ce qu'on appelle les Occidentaux, se sont-ils départis de la filiation orientaliste, telle que née au XIXe siècle et même avant ?
Précisément, c'est là que se produit une rupture. Les orientalistes actuels sont de plus en plus des Arabes. Quand Gilles Kepel travaille sur le monde arabe, il est obligé de parler en arabe. D'autres également. Mais la strate des orientalistes est de plus en plus occupée par ces exilés de l'arabité. En revanche, je déplore que là aussi, nous avons le complexe de l'étranger. Quand un Bernard Lewis sort un bouquin, c'est un best-seller parce qu'il nous vient de la Maison-Blanche, des USA. Alors qu'il n'a quasiment jamais mis les pieds dans un pays arabe, qu'il ne parle pas la langue il se permet de décortiquer notre pensée. Je crois que là aussi, nous devons faire un effort. Pourquoi je suis content de venir donner des conférences à Alger ? Nul n'est prophète dans son pays, on le sait, mais être reconnu par les siens, c'est que peu ou prou, ce qu'on dit est intéressant et, quelque part, c'est déjà un début.
Au moment où vous arriviez à Alger, l'écrivain égyptien Aâla Al Aswany la quittait…
Oui, je l'ai appris et je l'ai regretté car je le connais. C'est un véritable écrivain. Aâla est un dentiste qui s'est adonné à l'écriture parce qu'il avait besoin de s'exprimer, ce qui est déjà un énorme problème. Il avait des choses à dire, nostalgiques, mais qui le faisaient penser aussi à l'avenir et aux choses sociologiques. Tout d'un coup, il s'est rendu compte que plein de compatriotes égyptiens et arabes se retrouvaient dans ce qu'il écrivait. Et malgré lui, il est devenu le porte-parole de ces gens. Et c'est le rôle du romancier d'être la voix de la société.
Justement, considérez-vous la production littéraire et artistique comme un ensemble d'indicateurs viables d'analyse sociopolitique. La fiction peut-elle aider à décoder le réel ?
Mais bien entendu. Je me considère incapable d'écrire un roman parce que je ne couvre pas au quotidien l'ensemble des couches de la société et je manque probablement d'imagination. Je le regrette et j'essaie de bien écrire quand j'écris. Je me définis comme un vulgarisateur et, pour moi, c'est très satisfaisant car je peux atteindre beaucoup de gens aussi. Mais les romans sont la véritable incarnation de la littérature et j'ai besoin d'eux. Je les lis et les avale parce qu'ils me donnent eux-mêmes des indications précieuses sur l'état de la société au moment où ils sortent. Je ne peux non plus séparer le roman de l'éditeur. L'éditeur est le metteur en scène de la littérature. Son rôle est de découvrir les véritables trésors que sont des écrivains comme Rachid El Daïf au Liban ou feu Mohamed Dib en Algérie.
Que connaissez-vous de la littérature algérienne et vous aide-t-elle à comprendre, voire analyser l'Algérie ?
Je connais beaucoup d'auteurs algériens. Mes lectures sont assez éclectiques et je n'ai pas assez de temps. Je remarque que la littérature algérienne est la seule littérature qui soit aussi francophone. C'est aussi la seule qui, parce qu'elle est souvent référente à la littérature arabe, m'indique les choses à lire. La littérature m'indique surtout l'humeur du moment, qu'elle soit en langue française ou arabe, bien qu'il me semble que la langue arabe se prête à dire les choses, non pas d'une manière abrupte mais subtile, avec beaucoup d'élégance. Tout cela donne l'humeur d'un pays, d'un Etat, d'une société. Grâce aux auteurs algériens, j'arrive à sentir la transparence ou l'opacité d'une société, le mal-être ou l'épanouissement, la sérénité ou le malaise. Il faut dire que la littérature algérienne n'est plus exclusivement algérienne. Elle est en train de devenir, non pas panarabe, mais universelle.
Vous disiez que vous vous sentez à Alger comme à Beyrouth…
Je me sens chez moi oui. Je retrouve exactement les mêmes odeurs, les mêmes saveurs, les mêmes anecdotes, blagues, la même critique voilée d'une société, les mêmes références culturelles. Quand je discute ici d'une analyse politique, je n'ai pas besoin d'expliquer mon histoire. Nous avons la même, partagée d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée orientale ou occidentale. Hier soir, pendant qu'on parlait Maghreb-Machreq, je me disais : nous faisons partie d'un même cycle. Le soleil se lève au Machreq et se couche au Maghreb. Un moment, nous sommes la tête et vous les jambes, et un autre, c'est l'inverse. On n'a peut-être pas assez conscience de cela. En tant que Méditerranée, par exemple, nous n'avons pas les mêmes rapports avec la rive européenne parce que nous ne sommes pas constitutifs d'un même corps. A chaque fois que je mets les pieds ici, je me dis : tu n'es pas chez toi, tu es au Maghreb. Mais il fait partie de moi maintenant. J'ai découvert les mêmes référents que les miens, intellectuels, culturels mais aussi émotionnels et affectifs.
Repères
Né en 1948 à Beyrouth dans une famille aisée de chrétiens maronites, Antoine Sfeir, après des études de journalisme au Liban, a entamé à 20 ans sa carrière dans le quotidien L'Orient-Le Jour, occupant très tôt des responsabilités dans la rubrique internationale. En 1976, pendant la guerre du Liban, il est enlevé. Finalement libéré, il s'installe en France. En 1977, il participe à la création du journal J'informe. Il devient ensuite journaliste à La Croix et Le Pèlerin jusqu'en 1989 puis collabore au Point, au Quotidien de Paris, à l'Evènement du Jeudi, etc. s'imposant comme « le » spécialiste média du monde arabe. En 1985, il fonde le trimestriel Les Cahiers de l'Orient. Depuis 1990, il préside le Centre d'études et de réflexions sur le Proche-Orient. En tant que consultant, il est régulièrement sollicité par les chaines de radio et de TV. Il a écrit plus d'une dizaine d'ouvrages dont le Dictionnaire mondial de l'islamisme (Plon, 2002) et participé à de nombreux autres. Ses analyses et déclarations ont soulevé des polémiques parfois vives.


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