Cet immense poète sera présent au Festival du Livre de Jeunesse d'Alger. Le Congolais Gabriel Okoundji a reçu cette année le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire. Il est le troisième poète à être récompensé à ce niveau, après le Burkinabé Frédéric Titinga Pacéré en 1982, puis le Sénégalais Léopold Sédar Senghor en 1996. Gabriel Okoundji est d'une grande sensibilité et d'un courage exemplaire dans ce monde post-colonial aux frontières à la fois poreuses et fermées entre l'Europe et les pays du Sud. L'espace post-colonial tend vers un changement qui peine à se mettre en place et que les écrivains tentent d'accompagner en exprimant cet entre-deux. Gabriel Okoundji vit en France où il exerce aujourd'hui les fonctions de psychologue clinicien des hôpitaux à Bordeaux. Impliqué dans la société civile, notamment dans l'association Les Cygnes de Vie, il assure aussi des cours à l'Université de Bordeaux 3. Son parcours de poète écorché est en fait représentatif de ces nombreux intellectuels et artistes africains qui ont quitté le continent africain par divers moyens pour fuir des dictatures impitoyables et pouvoir s'exprimer en démocratie. Originaire de l'ethnie des Tégué au Congo, il était destiné à devenir un «m'wèné », c'est-à-dire un chef traditionnel, détenteur du savoir, de la mémoire et de l'histoire de son peuple. Né en en 1962 à Okondo-Ewo, il fut élevé dans un village au nord du Congo-Brazzaville, par sa mère et ses tantes, des «femmes nées sous le règne de la nécessité», comme il l'écrira dans son premier recueil Enigmes, où il rend hommage aux femmes africaines. Grâce à ces femmes altières, il a eu un destin exceptionnel car elles ont su déceler en lui une intelligence sensible qui l'a mené vers le lycée de Brazzaville, puis vers l'université de Bordeaux pour y accomplir ses études de médecine. Il milite par le biais d'associations culturelles avec des compatriotes congolais, et il fonde la première association culturelle des Congolais de Bordeaux. Ceci le mènera vers la politique et les revendications culturelles de l'authenticité, de la vérité et de la fierté d'être ce que l'on est. Il aide à l'alphabétisation en assurant des cours aux prisonniers étrangers dans la région d'Aquitaine. Militant syndicaliste au sein de l'université, il ressent le besoin de s'exprimer par le verbe et les mots. Il publie ses premiers poèmes dans des revues locales de poésie. Il rencontre des poètes occitans, comme Bernard Manciet, Christian Rapin et Joan-Peire Tardiu, qui vont l'inspirer, l'aider et le conforter dans son cheminement vers l'expression poétique. Les soirées poétiques auxquelles il participe l'aident à créer et à dire par le verbe, à la fois son exil et son nouvel ancrage français. Il revendique avec force l'influence d'Aimé Césaire sur son cheminement intellectuel et poétique. Il affirme à ce propos : «Il m'a permis d'entendre dans le bourdonnement de ses mots la grande éloquence de la musique de l'univers. Celle qui ne bégaye pas, celle qui règle l'harmonie de l'Homme avec lui-même, et avec le cosmos, celle qui donne à l'image un mouvement, et au vide une forme concrète et pleine». Dans cette nouvelle voie où poésie et politique s'entremêlent, il sera récompensé en 1996 pour la publication de Cycle d'un ciel bleu, recevant, la même année, le Prix Pey de Garros. En 2008, il est honoré du Prix «Coup de cœur» de l'Académie Charles-Cros, ce qui témoigne de la qualité et de la force de son écriture. L'écriture poétique le ramène toujours et encore vers l'Afrique, car le public littéraire français est réceptif, contrairement à ce que l'on peut penser, à l'Autre, à l'Afrique. Encouragé dans cette voie, il publie en 1998 Second poème aux éditions L'Harmattan. Comme de nombreux écrivains de la diaspora, Gabriel Okoundji réalise alors l'importance des sources, l'utilité de la famille élargie dans ce monde individualiste, et donc l'importance de la terre natale dans la formation première. L'Afrique devient une référence dans ce monde occidental où l'argent est roi. Les racines sont le fondement de son expérience et de sa philosophie de la vie qu'il transmet avec bonheur par le biais d'une langue pure mais qui bouscule et dérange. Sa poésie est onirique, cosmique, mais aussi philosophique et inspirée de son héritage, comme le rappelle ce titre : Prière aux ancêtres. Sa poésie se veut une interprétation lucide des échos de sa famille : la voix de la conteuse Ampili, sa mère qui s'inspire du fleuve Alima, et du majestueux souffle de Pampou, son père, mage des terres appelées Mpana, en terre Tégué. Il exprime ce patrimoine dans Stèle du point du jour. Ces deux inspirations originelles l'ont initié à transcrire l'émotion humaine, à dire la parole haut et fort dans ce qu'elle révèle en termes de signes et de symboles, de lumière et de vérité, loin des bruits du monde, pour tenter justement de le changer. A son niveau, il se veut le rêveur d'un monde meilleur dont il est à l'écoute, comme dans son dernier recueil, La mort ne prendra pas le nom d'Haïti (2010) suite au terrible séisme qui a frappé cette île-pays. Gabriel Okundji est aujourd'hui un poète qui compte dans la langue française. Depuis 2009, il figure parmi les 144 poètes publiés dans l'anthologie des éditions Seghers. Militant de la condition humaine, il clame avec justesse : «La parole du poète est comme le tonnerre au-dessus du ciel. Le poète est le vecteur d'une parole essentielle, d'une parole fondamentale, même s'il ne sait pas le secret de la vie». Il sera cette semaine à Alger, l'invité du FELIV.