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Le 11 Septembre et la tentation de l'illégalité
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Publié dans El Watan le 10 - 09 - 2011

Le 11 Septembre (September 11) est désormais une date intimement associée à l'histoire des Etats-Unis.
Il y a dix ans, des avions de ligne remplis de passagers civils ont été utilisés comme des missiles contre le Pentagone à Washington DC et les tours jumelles du World Trade Center de New York, deux symboles de la puissance militaire et économique de la seule puissance restée sur la scène internationale à la fin de la guerre froide. Si on excepte les thèses «complotistes», ces attentats furent unanimement condamnés. Le haut-commissaire aux droits de l'homme les qualifia de «crime contre l'humanité» et le Conseil de sécurité de «menace à la paix et à la sécurité internationales». Beaucoup de dirigeants mondiaux partagèrent l'avis de Poutine qui les condamna comme «agression sans précédent de la part du terrorisme international». L'OTAN activa l'article V de sa charte pour la première fois depuis sa création.
Les attentats, qui firent 3000 morts et 6000 blessés, ravivèrent les souvenirs d'un certain dimanche 7 décembre 1941, lorsque les Japonais attaquèrent par surprise la base de Pearl Harbour (Hawaii) faisant plus de 2400 morts et près de 1200 blessés. Ces deux événements causèrent un profond traumatisme au peuple américain et eurent la même conséquence immédiate : une déclaration de guerre.
Le lendemain même de l'attaque contre Pearl Harbour, le président Roosevelt annonça devant le Congrès l'entrée en guerre des Etats-Unis contre les pays de l'Axe. Une guerre qui fut l'occasion de dérives regrettables aux plans interne et international.
En janvier 1942, le président Roosevelt signa un décret sur l'internement des Japonais établis aux Etats-Unis, y compris les citoyens américains. En dépit de l'enrôlement d'environ 25 000 d'entre eux dans l'armée, 120 000 autres furent expulsés ou parqués dans une dizaine de camps d'internement ouverts dans les régions les plus inhospitalières de l'ouest et du sud du pays, sans la moindre preuve d'une quelconque félonie. Ils furent spoliés de leurs biens et contrôlés dans leurs actes quotidiens, y compris dans leur pratique religieuse. Ce «nettoyage ethnique» violait la Constitution que le Président qualifia de «bout de papier» lorsque la sécurité du pays est en jeu. Au plan international, il suffit de rappeler les bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki qui firent respectivement 140 000 et 70 000 morts en deux flashs.
Après les attentats du 11/09, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre le terrorisme à l'intérieur et à l'extérieur du territoire national. Dans les deux cas, il y eut aussi des dérives graves dont les effets persistent encore et mettront plus d'une mémoire d'homme à s'estomper. Cette affirmation peut être confortée par deux exemples : au plan interne, il s'agit de la promulgation du «Patriot Act» qui est une véritable loi d'exception, et, au plan extérieur, de la publication de la «Stratégie de sécurité nationale» qui introduit la notion d'«attaque préventive», une nouvelle doctrine pour le moins contraire à la légalité internationale.
Le «Patriot Act», une loi d'exception :
Le titre complet est en lui-même tout un programme : «Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act of 2001» ou «Loi de 2001 pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme». Elle fut adoptée par le Congrès le 25 octobre 2001, avec une rapidité à la mesure de l'émotion suscitée par les attentats, et signée le lendemain même par le président George W. Bush.
Ce volumineux texte de plusieurs dizaines de pages donna des pouvoirs exorbitants à la police, aux services de sécurité et à l'armée, sous prétexte de leur permettre de lutter plus efficacement contre le terrorisme. Aucun secteur n'échappe désormais à leur surveillance : l'immigration et la protection des frontières, donc des ports et des aéroports, les finances et leurs supports, notamment les banques pour veiller sur les opérations bancaires afin d'assécher les sources de financement du terrorisme, la protection des infrastructures stratégiques. Les dispositions pénales liées au terrorisme sont renforcées.
Le renseignement peut être obtenu par tous les moyens, y compris ceux qui violent la vie privée et l'intimité des citoyens : perquisition des propriétés privées ou encore mise des lignes téléphoniques sous écoute sans contrôle judiciaire en violation du Privacy Act de 1974 (promulgué le 31 décembre, moins de cinq mois après la chute de Richard Nixon, après le scandale du Watergate). On peut ajouter l'érosion du droit à un procès équitable en raison des atteintes portées aux droits à la défense. Même la sacro-sainte liberté d'expression n'échappe pas aux restrictions.
Le Homeland Security Act créant le Département de la sécurité intérieure des Etats-Unis fut adopté le 25 novembre 2002, avec pour objectif la coordination de l'action d'une vingtaine d'agences fédérales allant des Douanes aux services secrets en passant par les gardes-côtes. Il devint possible de saisir des documents personnels et confidentiels dans des domiciles, des entreprises, des universités, des banques, des hôpitaux et dans les endroits les moins inattendus comme les bibliothèques pour savoir ce que lit le citoyen. Toutes les données recueillies, indépendamment de leurs sources, sont prises en considération et archivées pour exploitation ultérieure éventuelle. Disposant désormais d'un large pouvoir d'appréciation, les services de sécurité commirent des dépassements. Même la justice, fondement de la démocratie, fut instrumentalisée par l'administration et éclaboussée par des scandales.
Comme autre conséquence regrettable des attentats du 11/09, rappelant par certains côtés le sort fait aux Américains d'origine japonaise durant la Seconde Guerre mondiale, la communauté musulmane établie aux Etats-Unis est stigmatisée bien qu'elle ait dénoncé le terrorisme. Elle vit dans la peur en raison d'actes de haine et d'atteintes à ses biens de la part d'autres concitoyens.
Les musulmans sont les seuls à rencontrer des obstacles et sont l'objet de suspicion lorsqu'ils souhaitent construire un lieu de culte (projet de centre culturel près de Ground Zero). Grâce aux efforts de l'administration et, avec le temps, à une plus grande prise de conscience de la population, les marques de haine et d'intolérance ont diminué, après leur apogée en 2001. Néanmoins, ils continuent à se manifester épisodiquement, comme lorsque ce pasteur illuminé de Floride a voulu brûler publiquement le Coran ou encore à l'occasion de la commémoration du 11/09.
Le Patriot Act a été vite perçu comme une véritable «loi d'exception». Il a mobilisé des oppositions dans la société civile et parmi les politiques, notamment les parlementaires inquiets de cette dérive jugée incompatible avec la lettre et l'esprit de la Constitution américaine. Plusieurs procès ont permis de déclarer anticonstitutionnelles certaines de ses dispositions jugées liberticides.
Le Congrès fut même amené à voter un amendement pour empêcher le FBI (qui relève du ministère de la Justice) d'accéder aux fichiers des abonnés aux bibliothèques. Néanmoins, le texte fut reconduit à deux reprises : en 2006 avec des réformes jugées timides par l'American Civil Liberties Union (UCLA), le chien de garde de la défense des droits civiques, et en 2011 sans changement. A l'occasion de ces deux reconductions, on a pu noter une légère érosion des soutiens parlementaires. Le Patriot Act continue, bon gré, mal gré, de placer les Etats-Unis sous haute surveillance, mais la liberté d'action donnée aux services de sécurité est l'objet de débats permanents au sein de la société civile et dans les milieux politiques.
Après les attentats du 11/09, les Etats-Unis entrèrent dans une guerre totale contre le terrorisme. Non pas une guerre conventionnelle comme celle déclarée aux pays de l'Axe après l'attaque de Pearl Harbour en 1941, mais une guerre atypique contre un ennemi sans assise territoriale, sans visage, sans armée classique, ne tenant pas de front défini, mobile, pouvant frapper n'importe où et n'importe quand.
La guerre contre le terrorisme et la «Stratégie de Sécurité nationale»
Le président Bush en fixa d'emblée la portée dans un discours prononcé le 20 septembre 2001 devant les deux chambres du Congrès.
«Notre guerre contre le terrorisme, dira-t-il, commence avec Al Qaîda, mais elle ne s'arrêtera pas là. Elle ne prendra fin qu'une fois que tous les groupes terroristes de portée mondiale auront été trouvés, arrêtés et vaincus.» Autant dire une guerre de cent ans, permanente et globale, qui va modifier durablement les relations internationales. Tout se passa comme si les Etats-Unis prenaient soudainement conscience d'une insécurité mondiale et de l'existence d'un terrorisme actif de haute intensité, ne connaissant aucune frontière et constituant une grande menace pour leurs intérêts.
Dès le mois d'octobre 2001, la première cible fut l'Afghanistan, désigné siège d'Al Qaîda. Celle-ci fut rendue responsable des attentats perpétrés dans le monde. L'une des conséquences de cette guerre qui perdure fut l'ouverture du camp de Guantanamo pour accueillir le flot de prisonniers privés de tout droit.
Le Military Commission Act, signé en octobre 2006, introduisit la notion de «combattants illégaux» avec effet rétroactif. Les personnes suspectées de terrorisme, y compris des citoyens américains, sont arrêtées, détenues indéfiniment de façon arbitraire et torturées sans acte d'accusation, en violation du droit à un procès équitable. Elles sont exclues de toute protection accordée par les accords internationaux comme les Conventions de Genève.
Tel fut le lot des personnes détenues au camp de Guantanamo qui devint le symbole mondial de l'arbitraire, ou dans des prisons secrètes contrôlées par la CIA et l'armée dans des pays étrangers. Dans tous ces lieux, la torture était pratiquée en violation des lois nationales des parties en cause aussi bien que des lois internationales.
L'Irak fut ciblé à son tour par Bush. En janvier 2002, il le classa dans l'«axe du mal» aux côtés de la Corée du Nord et de l'Iran, le mettant ainsi sur la liste des pays pouvant faire l'objet d'un recours à la force armée.
Bush et Blair accusèrent l'Irak de détenir des armes de destruction massive et de menacer la sécurité internationale. Parallèlement, ils intensifièrent la diabolisation de Saddam Hussein, créèrent un conseil national d'opposants irakiens à Londres en juillet 2002 et firent entendre des bruits de bottes.
En septembre 2002, Bush publia sa «Stratégie de Sécurité nationale». Elle introduisit la notion d'«action» préventive selon laquelle une attaque peut être menée à tout moment et sur tout point où se profile une menace contre les Etats-Unis qui apprécient souverainement ladite menace. Il s'agit, en somme, de répondre de façon discrétionnaire à une menace virtuelle par une guerre réelle donc une agression.
Ceci implique la reconstruction de l'invulnérabilité de la puissance militaire américaine, d'où l'augmentation des dépenses militaires dont le montant annuel est passé d'US$ 329 milliards en 2002 à US$ 680 milliards en 2010 et à US$ 708 milliards en 2011, sans inclure les US$ 159 milliards consacrés auparavant aux guerres en Afghanistan et en Irak. Ces augmentations importantes sont intervenues dans une conjoncture marquée par un déficit budgétaire record de US$ 1600 milliards en 2010 (US$ 1400 en 2009), soit 10 % du PIB, un fait sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le 11 octobre 2002, le Congrès autorisa l'utilisation de la force armée contre l'Irak. En janvier 2003, Washington avait déjà pré positionné 150 000 soldats dans la région du Golfe, alors qu'aucune preuve attestant la présence d'armes de destruction massive en Irak n'avait été trouvée malgré les inspections intrusives en cours. (Les experts de l'Unmovic et de l'AIEA avaient repris les inspections en Irak en décembre 2002). Des manifestations impressionnantes contre la guerre eurent lieu à travers le monde. Des débats houleux se déroulèrent au Conseil de sécurité. L'Europe et l'Alliance atlantique sont divisées ; certains pays comme la France et l'Allemagne se prononcent contre le recours à la force et s'opposent frontalement aux Etats-Unis. D'autres pays, notamment ceux de l'Europe de l'Est, se rangent derrière les va-t-en-guerre. Hans Blix, le chef de l'Unmovic, s'oppose courageusement aux assertions américaines. Dans un effort ultime, trois membres permanents du Conseil de sécurité (France, Russie, Chine) et l'Allemagne proposèrent l'envoi de Casques bleus en Irak ainsi que le renforcement des inspections.
Ils sont soutenus par la plupart des membres non permanents. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont isolés. Seuls ou presque contre tous, ils lancent l'agression le 20 mars 2003.
L'Irak devint un laboratoire pour les «neocons». Dès le premier jour de l'invasion, les Etats-Unis mirent en œuvre la doctrine militaire dite «Choc et Effroi» (Shoc and Awe) développée en 1996 ; ils utilisèrent une puissance de frappe telle que l'armée irakienne, affaiblie par dix années d'embargo, perdit toute volonté de réagir et renonça à résister.
Disciples de Leo Strauss, spécialiste de philosophie politique, les «neocons» appliquèrent aussi une doctrine fumeuse dite du «chaos constructeur» selon laquelle la mise en place d'un ordre nouveau suppose l'anéantissement par la force de l'ordre existant. Ils voulurent faire de l'Irak un exemple de démocratie qui servirait d'exemple à tous les pays de la région («Grand Moyen-Orient»). Ce fut une erreur dramatique se traduisant par un échec retentissant.
Quelques observations et conclusions
Parce que déclarée contre des «ombres», la guerre contre le terrorisme porte les germes attentatoires aux lois nationales et internationales (ce n'est pas une circonstance atténuante). Les masques sont tombés. La preuve est faite que la réponse des démocraties à la menace terroriste ne diffère pas de celle apportée par des régimes autoritaires. Ces démocraties, donneuses de leçons et se considérant comme des exemples à suivre, de gré ou de force, n'hésitent pas à fouler aux pieds les droits civiques tout en entretenant l'illusion du respect des droits humains et à violer allégrement le droit international au risque de créer le chaos.
Les attentats du 11/09 ont constitué un traumatisme profond pour le peuple américain, créé une véritable psychose sécuritaire et exacerbé le sentiment patriotique.
Fortement instrumentalisée par l'administration et des groupes extrémistes, cette situation a rendu possible un véritable retour au maccarthysme au nom de la lutte contre le terrorisme.
Adopté sous le coup de l'émotion, le Patriot Act, véritable loi d'exception, s'est traduit par une montée significative de la répression policière et une grave atteinte aux fondements même de la Constitution. Il a placé les Etats-Unis sous haute surveillance et porté un coup sévère aux valeurs les mieux ancrées dans la société américaine et qui sont le sceau de la grandeur de ce pays, lui faisant courir le risque de perdre son âme.
Un prix décidément exorbitant !
Les attentats du 11/09 ont également eu pour conséquence de faire accepter à l'opinion publique américaine des aventures à l'extérieur, celle-ci ayant été convaincue par l'administration qu'au-delà de l'horizon, il y a des monstres à détruire. L'esprit missionnaire de l'Amérique, qui procède de l'idée que les valeurs portées par les Etats-Unis sont les meilleures et que ces derniers ont l'obligation de les répandre dans le monde entier, y compris par le recours à l'usage de la force militaire, retrouva une nouvelle vigueur. Il ne s'agit plus de prêcher par l'exemple, mais par le fer et le feu. Cet esprit missionnaire a transformé durablement la politique extérieure des Etats-Unis et l'unilatéralisme a eu pour conséquence sa militarisation à outrance.
La guerre d'Irak, déclenchée sous de faux prétextes, unilatéralement et illégalement - sans l'accord du Conseil de sécurité - reste l'exemple type de l'unilatéralisme guerrier de l'administration Bush. Elle a déstabilisé une région, détruit un pays et coûté la vie à des centaines de milliers de personnes. Elle a aussi coûté très cher à Washington en termes d'image. La tristement célèbre prison d'Abou Ghraib - comme Guantanamo - est désormais le symbole à l'échelle mondiale des traitements inhumains infligés aux détenus. Et elle n'était que la partie visible de cet enfer qu'est devenu l'Irak, puisque les autorités d'occupation avaient entretenu des camps de détention et permis à des sociétés privées d'avoir leurs propres prisons. Pendant ce temps, les délégations américaines aux réunions sur les droits de l'homme et le département d'Etat (rapports annuels) continuaient à dénoncer imperturbablement les abus perpétrés dans d'autres pays, érodant à chaque mot un peu plus leur crédibilité. La démocratie que les Américains disaient vouloir instaurer en Irak, bâtie sur l'occupation et tous les maux qu'elle peut charrier, n'avait aucun avenir. Abou Ghraib et les autres prisons devinrent des centres de recrutement pour les mouvements de résistance, alimentant ainsi le cycle violence répression et entraînant l'Irak dans un enfer sans fin qui dure à ce jour.
Après les attentats du 11/09, la quasi-totalité des peuples du monde avait compati avec le peuple américain. Le choix stratégique des Etats-Unis de faire la guerre au terrorisme aurait pu rassembler autour de ce pays la quasi-totalité de la communauté internationale, mais les erreurs commises par l'administration Bush eurent pour conséquence la dilapidation du capital sympathie et valurent à cette dernière des critiques acerbes. Les mensonges et manipulations des «neocons», aux plans interne et surtout international, l'ont décrédibilisée. Son instrumentalisation de la guerre contre le terrorisme et son unilatéralisme lui ont aliéné jusqu'à certains des proches alliés des Etats-Unis qui ont estimé qu'aussi légitime soit-elle, cette guerre ne peut justifier une attaque préventive contre un pays car elle n'est en fait qu'une agression caractérisée. Par ailleurs, en voulant en faire une affaire spécifiquement américaine, réduisant les partenaires à de simples supplétifs, Washington a oublié qu'elle ne peut être gagnée par le seul recours aux armes, qu'elle se situe dans un contexte mondial et constitue ainsi un problème international.
La politique de l'administration Bush eut pour conséquence le développement de l'antiaméricanisme à travers la planète dont les Etats-Unis ne sont pas prêts de se relever, malgré les efforts du président Obama.
Lorsque ce dernier arriva au pouvoir, héritant de Bush une situation peu reluisante sur tous les plans, la question était de savoir si la nouvelle administration démocrate allait procéder à une profonde transformation de la posture stratégique des Etats-Unis. En lui décernant le prix Nobel de la paix en 2009, le président du Comité norvégien déclara qu'«Obama a créé un nouveau climat dans les relations internationales». Cette affirmation était juste à l'époque, mais laissait entendre qu'il était attendu que le président américain réussisse son essai. Or, à ce jour, il n'a rien délivré. On constate que le style Obama se caractérise par une remarquable continuité stratégique (défense des intérêts vitaux permanents des Etats-Unis) et un semblant de flexibilité tactique servie par une habile rhétorique.
En effet, un rapide état des lieux permet de constater que la modernisation de l'arsenal nucléaire bénéficie d'allocations budgétaires confortables, dont une augmentation sans précédent pour 2011, ce qui contredit les engagements d'Obama d'œuvrer pour un monde sans armes nucléaires (programme de campagne et discours de Prague du 5 avril 2009) ; les relations avec la Russie sont plus apaisées en surface, mais les principaux contentieux demeurent en l'état ; le conflit israélo-palestinien, central pour les peuples arabo-musulmans, est loin de trouver une solution ; la guerre se poursuit en Afghanistan où le nombre des troupes américaines a doublé depuis l'arrivée d'Obama au pouvoir ; huit ans après la destitution de Saddam Hussein, l'Irak, qui a fait le bonheur d'Al Qaîda, est loin de retrouver sa stabilité, malgré deux élections et la reprise de l'exploitation pétrolière qui garantit des revenus appréciables ; le discours prononcé au Caire, le 4 juin 2009, intitulé «Un nouveau départ» («A new beginning»), destiné aux peuples arabo-musulmans, n'a pas fait reculer l'antiaméricanisme et l'Islam est toujours considéré comme une menace par l'Occident. L'avenir des relations entre l'Amérique (l'Occident) et le monde arabo-musulman sera façonné par plusieurs facteurs politiques dont principalement le règlement du conflit israélo-palestinien, le facteur énergétique, l'issue de la guerre contre le terrorisme.
Le caractère hybride de la sécurité collective mise place à San Francisco en 1945 exige par certains côtés les attributs d'un super Etat, alors que la communauté internationale est composée d'Etats souverains. Les faiblesses manifestes de l'ONU, apparues après la chute du mur de Berlin, ont laissé de grandes brèches pour l'interventionnisme des grandes puissances autoproclamées gardiennes de l'ordre international. Il leur suffit de trouver le prétexte à servir à l'opinion publique : lutte contre le terrorisme en Afghanistan, lutte contre les armes de destruction massive puis instauration de la démocratie en Irak, «droit d'ingérence» camouflé en «responsabilité de protéger» pour la Libye. Les Etats-Unis ont été les pionniers de cet interventionnisme post-guerre froide. Il était fatal qu'ils soient les premiers à mesurer les limites imposées à cette politique par la volonté de ceux qui n'apprécient pas leur unilatéralisme.
Ils ont également réalisé leur incapacité à faire partager leurs idées «généreuses» de paix, de démocratie et d'ouverture économique pour apporter le bonheur aux peuples. Ils reviennent à un certain réalisme.
Aussi, est-il surprenant de constater que d'autres suivent le chemin inverse. En effet, certaines puissances ne semblent pas avoir tiré de leçons des guerres d'Afghanistan et d'Irak et s'enfoncent à leur tour dans l'erreur. Elles n'essayent même pas de faire preuve de flexibilité tactique comme Obama, privilégiant l'usage de la force pour imposer leur politique. Sarkozy, le plus américain des présidents français depuis la Seconde Guerre mondiale, a largué le gaullisme et préfère marcher sur les pas de Bush (lors de la récente conférence des ambassadeurs, il a même parlé d'«attaque préventive» contre les sites nucléaires iraniens). L'aventure libyenne n'a pas encore produit tous ses effets dont, entre autres, le risque de consolider une aire de crise au Sahel, s'étendant de la mer Rouge à l'océan Atlantique avec des débordements au Sud comme au Nord qui affecteraient la Méditerranée donc l'Europe. L'histoire semble se répéter. Bush avait bien officialisé la fin de la guerre en Irak, à bord du porte-avions USS Abraham Lincoln, un certain 15 avril 2003. La conférence des «amis de la Libye» qui a eu lieu à Paris le 1er septembre 2011 (noter le symbole de la date), pourra-t-elle conjurer le sort ? Espérons-le. Un proverbe dit : «L'arbre arrosé de sang porte des fruits qui s'appellent vengeance.»

Par Hocine Meghlaoui : Ancien ambassadeur


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