Si le dernier mot revient à la justice, les deux journaux El Watan et El Khabar restent, eux, fermement convaincus que la grave tentative d'incendie de leur rotative de presse par un groupe d'individus n'est pas un acte isolé, encore moins, gratuit. Il s'apparente, à travers divers faits, à une opération criminelle qui ne peut être imputable à des délaissés du logement social ou de jeunes chômeurs des quartiers limitrophes. Ces derniers ont toujours eu la priorité en matière de recrutement par l'imprimerie, bien sûr dans la limite de ses possibilités. Et les assaillants sont étrangers au quartier, et cela de la bouche même des habitants. Et si les incendiaires se sont postés devant la rotative jusqu'à une heure tardive, tenus à distance par les services de sécurité, c'est bien pour honorer un contrat coûte que coûte. Des baltaguia version algérienne. Qui est donc derrière cet acte, et à qui profite le crime ? La veille de la tentative de destruction de la rotative de presse, ces deux quotidiens propriétaires avaient annoncé leur intention de se porter chacun candidat à la création d'une télévision et d'une radio indépendantes. Une façon de prolonger l'aventure journalistique qu'ils mènent sur le papier depuis une vingtaine d'années, une aventure couronnée de succès en dépit d'innombrables embûches. Liés par un partenariat stratégique en matière de moyens d'impression et de diffusion, El Watan et El Khabar sont dans le peloton de tête des journaux algériens, un succès assuré par leur sérieux constant, leur distance vis-à-vis des gouvernants et leur positionnement démocratique. Nombre de milieux ne verraient pas d'un bon œil la transposition de ce journalisme indépendant vers l'audiovisuel et beaucoup parmi les candidats potentiels pourraient bien être gênés par cette redoutable concurrence. Sur un autre plan, difficile aussi de ne pas faire le lien entre cette tentative d'incendie et les appels incessants intervenus ces deniers temps pour faire du samedi 17 septembre une journée d'émeutes. Des milliers de tonnes de papier journal formant un immense brasier visible de n'importe quel coin d'Alger, voilà de quoi sonner le rappel des émeutiers et les galvaniser pour qu'ils brûlent tout sur leur passage. Tout cela est d'une gravité extrême. En phase de mutation, l'Algérie est assise sur une poudrière. Des milieux aussi bien politiques qu'économiques redoutent la perte de leurs intérêts et de leur influence, si le système actuel venait à s'effondrer brutalement. Aussi leur voie de salut vient d'un chaos – annoncé ou programmé – qui ferait échouer toute idée, toute démarche de changement et toute remise en cause du statu quo. Et ces milieux ont prospéré outre mesure ces dernières années, spécialement sous l'ère Bouteflika. Se sont ainsi tissés d'innombrables liens, y compris contre nature, entre des clans familiaux, tribaux et régionalistes, des forces de l'affairisme et divers centres souvent informels de la décision politique. Une véritable toile d'araignée empoisonnant l'Algérie réelle et l'empêchant aujourd'hui d'aller vers son propre printemps. Le chef de l'Etat a raté la possibilité d'inverser la tendance – et de réapparaître sous un jour nouveau – en mettant en branle des réformes insuffisantes, timorées et peu convaincantes.