Dans les Etats de droit, le métier d'avocat et la défense occupent une place privilégiée dans le système judiciaire, convaincu que sans une défense libre et forte, le citoyen est livré à la loi du puissant. Forts de ce postulat, certains avocats de renom ayant pignon sur rue en arrivent jusqu'à faire de l'ombre aux juges dans les prétoires de par leur aura et leurs compétences. Chez nous, les chances de gagner un procès dépendent souvent de facteurs qui ont peu à voir avec les qualités professionnelles des avocats. Un avocat qui a la main heureuse, c'est, dans la conscience populaire, forcément un avocat qui a ses entrées dans les parquets, qui fréquente les procureurs, les juges et dispose de solides réseaux de connaissances au niveau de la chancellerie, voire plus haut, dans les sphères de décision. Dans les profils des robes en noir, on trouve les avocats fraîchement émoulus, sortis de la chaire de droit, et les ténors du barreau. Ces derniers étant, pour leur part, divisés entre les carriéristes qui veillent à entretenir les meilleures relations possibles avec les magistrats pour gagner leur «amitié», ceux qui défendent une certaine vision de la justice garante des libertés, fondement de l'Etat de droit, et enfin la dernière catégorie : les avocats du diable qui peuvent tout à la fois proposer allégrement leurs services aussi bien aux forces du mal qu'aux honnêtes gens. Dans les pays démocratiques, le rôle et la place du juge et des avocats dans le système judiciaire sont clairement définis par la loi et s'imposent rigoureusement aux deux parties. Nul ne peut outrepasser ses missions sans encourir le risque de se voir infliger de graves sanctions internes en plus de celles prévues par la loi. C'est sur cet arrière-fond de conflit de compétences polluant le fonctionnement de l'appareil judiciaire que se joue le bras de fer engagé depuis quelques jours chez nous entre les avocats et le corps de la magistrature sous la férule du syndicat des magistrats qui s'est publiquement impliqué dans ce qui n'était à l'origine officiellement qu'un échange d'amabilités au cours d'une audience entre un juge et le bâtonnier d'Alger. Une affaire de discourtoisie présumée. Mais tout le monde aura compris que derrière le comportement de maître Sellini – jugé irrévérencieux, envers le juge Hellali par le syndicat des magistrats qui qualifie, dans des termes à peine voilés, l'acte d'outrage à magistrat – se cache une sourde et vieille bataille de contrôle du pouvoir judiciaire qui est désormais portée sur la place publique avec ce conflit. Pour les observateurs, cette passe d'armes entre les juges et les avocats n'est pas étrangère au débat sur le projet de loi régissant la profession d'avocat qui sera prochainement soumis au Parlement. Chaque partie tente, assure-t-on, de tirer le meilleur avantage de ce texte pour conforter ses attributions. Les avocats plaident pour qu'ils n'aient plus à subir ce qu'ils qualifient de dictature des juges au moment où les magistrats dénoncent l'appétit démesuré des avocats qui chercheraient à piétiner leurs plates-bandes. Le grand absent de cette bataille reste le justiciable qui est souvent pris entre le marteau (glaive) des juges et l'enclume des avocats assimilés pour beaucoup d'entre eux à des tiroirs-caisses qui vivent de la détresse des citoyens.