La Tunisie est plus que jamais à la croisée des chemins sur le double plan politique et sécuritaire. Deux ans après le lancement d'une transition au pas de charge, le «modèle» de changement version «printemps arabe» exhibé dans le monde entier comme une carte postale, commence à perdre de son clinquant. L'image d'une République démocratique naissante se froisse à l'épreuve du temps et du pouvoir. Le parti islamiste Ennahdha, qui a raflé la mise post-Ben Ali et ses alliés providentiels de la gauche laïque, peine à asseoir les fondements d'un pays définitivement institutionnellement abouti. Deux ans après la chute de Ben Ali, la troïka au pouvoir (Ennahdha, Etakattol et le Congrès pour la République) n'arrive pas à s'entendre et à faire entendre raison à ses contempteurs au sein de l'opposition qui pointe légitimement la lenteur du processus démocratique. Ennahdha, qui bombait le torse au lendemain de son triomphal succès aux élections législatives, semble perdre la voie face à la difficulté d'imposer une feuille de route consensuelle. Si toute la classe politique en Tunisie ne souhaite pas le scénario à «l'égyptienne» qui verrait le bras de fer entre le gouvernement et l'opposition déborder dans la rue, il y a tout de même une tentation du pire qui ne profitera pas à la Tunisie. Le regain de violence terroriste, avec notamment cet incroyable massacre de sept soldats tunisiens à la frontière avec l'Algérie, a de quoi choquer et faire craindre le pire. Le mode opératoire des terroristes dans cet attentat spectaculaire rappelle au mauvais souvenir les «chroniques des années de braise» algériennes. Cette activité terroriste inconnue jusque-là en Tunisie a certainement profité de l'impasse politique ambiante que les prières de Ghannouchi peinent à régler. Son alter ego, Moncef Marzouki, qui affiche une très bonne mine à l'étranger de par son passé et son passif sur le terrain des droits de l'homme et des libertés démocratiques, fait, lui aussi, pâle figure. Ennahdha craint sans doute que le pouvoir qu'il attendait depuis sa création ne lui échappe comme il a échappé aux «Frères» d'Egypte. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui qu'il doit faire face à des vents contraires, comme par exemple le recul de l'influence régionale du Qatar et partant, l'insuffisance de ses pétrodollars. Mais, aussi ces assassinats politiques de cadres des mouvements de gauche dans lesquels la responsabilité du mouvement de Ghannouchi est moralement engagée de par le pedigree des feus Chokri Belaïd et Mohamed Brahimi. Ceci sur fond d'un gouvernement fragile adossé à une Assemblée nationale constituante (ANC, Parlement), pratiquement bloquée. Beaucoup réclament sa dissolution et une soixantaine de députés sur 217 la boycottent pour ce faire. Et pour boucler la boucle de l'impasse politique, la Tunisie peine aussi à adopter un projet de Constitution. C'est dire que ça sent plus que jamais moins bon chez nos voisins de l'Est. A Dieu ne plaise.