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le périple d'une «investisseuse» dans les méandres de l'Ansej
Portrait d'une économie otage de la bureaucratie (Suite)
Publié dans El Watan le 28 - 10 - 2013

Dans la première partie de notre dossier consacré à la bureaucratie, paru dans El Watan d'hier, il était surtout question du marasme vécu par nos concitoyens dans le dédale de l'état civil. Dans cette deuxième et dernière partie, nous ferons un focus sur le maquis de «kouaghat» inhérent à tout projet d'investissement à travers le parcours (de combattante) de Basma Z., une jeune et brillante géotechnicienne qui, pour monter son bureau d'études, a dû se farcir tout le dictionnaire algérien des complications. Portrait d'une économie rongée par l'inflation «paperassière».
En plus d'avoir le sourire facile, elle dégage une incroyable énergie, une «positive attitude» à toute épreuve, alliant un tempérament jovial et un caractère bien trempé. On pourrait dire, pour faire court, que Basma porte bien son prénom, elle qui rit aux éclats de ses propres ennuis et répand une gaieté contagieuse, presque enfantine, qui a le don de décoincer nos austères et sinistres ronds-de-cuir. A 30 ans et un bac +11, cette ingénieure en génie civil, diplômée d'une grande Ecole de travaux publics, vient de s'installer à son compte en créant un bureau d'études via le dispositif Ansej. Force est de le reconnaître, «Mademoiselle Sourire» a tout d'une chef d'entreprise. Et elle n'a pas choisi la facilité, elle qui s'est lancée dans une filière de pointe : la géotechnique.
En gros, le même secteur d'activité que le CTC. «Cela m'a coûté deux ans de galère», souffle-t-elle avec de la fierté dans la voix et la «grinta» du coureur de fond franchissant, sur les rotules, la ligne d'arrivée après un long marathon. Et quel marathon ! Deux ans à courir entre l'Ansej, les banques, les impôts, les douanes, et autres enseignes du dédale administratif, avec sa panoplie d'entraves. Véritable épreuve du 100 «kilomètres» haies dans les circuits du système bureaucratique, un système qui redouble d'ingéniosité et de sophistication dès lors que l'on s'engage dans un quelconque projet créatif, fût-il de taille «Ansej».
Mais reprenons tout depuis le début. Le cursus universitaire d'abord. «Je suis ingénieure en génie civil, promo 2008», raconte Basma. «Je suis titulaire d'un magister en géotechnique et environnement, soutenu en 2011. J'ai fait un sujet sur l'amélioration des sols», indique-t-elle. Basma ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Elle prépare une thèse de doctorat «pour connaître la fin de l'histoire». «Ma thèse porte sur le comportement statique et dynamique des ouvrages souterrains avec, comme étude de cas, le métro d'Alger passant sous un immeuble», précise la jeune thésarde, les yeux pétillants.
«Votre place est dans la cuisine»
Alors qu'elle préparait son mémoire de magister, Basma déniche un job dans un bureau d'engineering. «En même temps, je faisais mon étude de marché. Dès le départ, je ne voulais pas faire comme tout le monde. J'ai voulu me lancer dans une activité en rapport avec mes études», confie-t-elle. Basma a, d'emblée, une idée très claire de son projet. Le marché du bâtiment a changé. Désormais, les études de sol sont incontournables pour n'importe quel chantier. Une nouvelle «doctrine» est apparue suite au séisme du 21 mai 2003. «Depuis le séisme de 2003, les études sismiques sont devenues indispensables. Cela permet de passer d'une réflexion corrective à une réflexion préventive. Avant de faire le bâti, il faut des études de sol», explique Basma.
Premier obstacle auquel se heurtera notre «investisseuse» : les mentalités. Un solide écueil sociologique. «Le secteur des travaux publics est très dur pour une femme», lâche-t-elle. «C'est un secteur très masculin et très machiste. Dans ce bureau d'études où j'ai travaillé, j'ai tout de suite vu que ce n'était pas fait pour moi. Je ne voulais pas passer ma vie avec un titre d'ingénieur et être cantonnée dans un rôle de secrétaire», s'indigne-t-elle, avant d'asséner : «Etre femme, être jeune et être diplômée, ça déplaisait à beaucoup de monde.» Et de rapporter, à l'appui, cette anecdote : «Une fois, lors d'une réunion avec le CTC, un ingénieur avait contesté mes résultats. J'avais utilisé la méthode des éléments finis, plus actuelle, et lui, celle de Costet et Sanglerat qui est dépassée. Tous deux, nous avions raison. Comme je l'ai un peu bousculé dans ses certitudes, il me sort un argument vieux jeu en me disant : ‘‘Wentouma les jeunes, ou'enssa (vous les femmes, mais pas à la manière de Julio Iglésias, ndlr).'' Il a ajouté : ‘‘Vous les femmes, normalement, votre place est dans la cuisine.'' J'étais la seule fille à cette réunion et la plus jeune, mais je lui ai cloué le bec.»
«Ne manquait que l'attestation de virginité de ma grand-mère»
Basma comprend très vite, que ce qui lui conviendrait le mieux serait un BET à son nom. En juin 2011, elle postule officiellement à un prêt Ansej selon le modèle du financement triangulaire, et qui prévoit : 28% de crédit Ansej sans intérêts, 70% de crédit bancaire et un apport personnel de 2%. Montant du projet : 10 millions de dinars (1 milliard de centimes). Une somme destinée, pour l'essentiel, à l'acquisition d'un géo-radar et d'un sismographe. Un matériel dernière génération qu'elle importera d'Allemagne et d'Italie.
«Pour commencer, il fallait déposer 5 exemplaires du dossier. 5 copies légalisées du diplôme, 5 extraits de naissance n°12, 5 factures proformas, 5 attestations de non-affiliation à la sécurité sociale, sans oublier l'extrait de rôle et d'autres papiers encore», énumère Basma, avant d'ajouter dans un éclat de rire : «Il ne manquait que de me demander le certificat de virginité de ma grand-mère.» C'était la saison des émeutes, celles de janvier 2011 concomitantes de l'insurrection tunisienne. Le gouvernement distribuait les microcrédits à tour de bras pour calmer la fureur juvénile. «Pour moi, c'était le déclic», avoue Basma. «Mais il m'a fallu attendre quatre mois avant de passer en commission. Après, tu attends encore deux mois pour recevoir un papier nommé ‘‘éligibilité''. Pour cela, il faut avoir un registre du commerce et un accord bancaire.»
Basma souligne que «pour chaque étape, tu dois constituer un dossier. ‘‘Khalota''. J'ai fini par développer un réflexe pavlovien, prête à dégainer un papier à la moindre occasion. J'ai tout dans mon cartable magique. Un kit complet de documents en tous genres», renchérit-elle. «La paperasse est à tous les niveaux», dissèque la jeune ingénieure. «Cela fait partie de notre culture. Même quand tu vas demander la main d'une fille, sa famille t'exige des chaussures à talons comme ça, l'un doré, l'autre argenté...», s'esclaffe-t-elle. En bonne cartésienne, Basma est intriguée par le côté irrationnel de la bureaucratie et sa tendance inflationniste, voire sadique, à multiplier les papiers inutiles. «Ce que je ne comprends pas, c'est que tu dois fournir un papier X, un papier Y et un papier Z sachant que X dépend de Y et Z dépend de X et de Y, alors pourquoi chercher les trois ?» Toujours avec son humour caustique, elle reprend : «Je passais mon temps à faire des photocopies et à les légaliser. On va finir par circuler avec une imprimante sous le bras.»
Pour ne rien arranger, la jeune investisseuse devait engager une procédure de rectification de nom afin d'obtenir le fameux «12». «On s'est trompé sur mon nom dans les registres d'état civil. On a oublié un ‘‘e'', ce qui m'a obligée à recourir à un jugement judiciaire, avec son lot de tracas. Je suis devenue aigrie. ‘‘Kraht heyati''.»
Le cauchemar de la carte magnétique fiscale
Ce qui chiffonne Basma, par-dessus tout, c'est l'arbitraire procédurier. Les «mass'ouline» qui récitent machinalement des règles imaginaires. «Par exemple, j'ai eu affaire à une responsable de banque qui devait me signer un document pour importer mon matériel. Elle me dit : comme vous importez une partie du matériel d'Allemagne et l'autre d'Italie, moi, je ne vous signe qu'un seul document. Pour l'Ansej, vous avez droit à une seule importation. Je lui dis : ‘‘en vertu de quelle loi ?'' Elle me fait : ‘‘qalouna''. On nous l'a dit à la direction générale. J'ai exigé qu'elle me montre le texte. En Algérie, tu entends toujours ça : ‘‘on a dit que…'' Il n'y a jamais de papier officiel. Tout se fait dans l'informel.» Si elle sait hausser le ton quand les circonstances l'exigent, Basma préfère de loin user de son humour désarmant et de son entregent pour régler ses papiers. «Il faut savoir user de psychologie avec les guichetiers, ne pas les froisser, car ils sont très susceptibles», conseille-t-elle. «Les Algériens sont très fiers, il ne faut pas l'oublier. C'est vrai que la corruption gangrène l'administration. Mais elle reste encore discrète. Une fois, j'étais dans un tribunal au Caire et j'ai entendu un homme proposer ses services en criant : ‘‘Chahed zour bi achra guineh'' (faux témoin à 10 livres). Nous, au moins, on le fait en catimini.»
Dans ce maquis de «paperasse», il est une pièce qui donnera particulièrement du fil à retordre à la sémillante entrepreneuse : la carte magnétique fiscale. La nouvelle réglementation régissant le commerce extérieur impose, faut-il le rappeler, à tout opérateur d'avoir une carte magnétique d'immatriculation. Celle-ci est établie sur la base d'un numéro d'identification fiscale (NIF) attribué par la direction générale des impôts. Ainsi, pour toute opération d'importation, cette carte est primordiale. Basma ne pouvait donc réceptionner son matériel sans ce sésame.
«Pour ça, tu montes un dossier composé de 7 pièces administratives, en deux exemplaires, que tu déposes à Maurétania (direction des impôts de la wilaya d'Alger, ndlr). J'ai déposé le dossier et on m'a dit de revenir dans 15 jours. Le jour J, je rapplique, et là, on me dit : ‘‘Désolé, on a envoyé votre dossier seulement avant-hier. Revenez dans 15 jours''. J'ai pris mon mal en patience. ‘‘Maâliche''. Sinon, que faire ? ‘‘Dert'houm chghoul.'' Il y avait ça et mon mémoire. Je n'avais plus de vie sociale. Le dimanche et le mardi, je n'allais voir ni la famille, ni les amis. Jour de réception, ‘‘wech bik !'' C'est un vrai boulot», ricane Basma. Et ce n'est pas fini.
«Quand je reviens récupérer la carte, on m'annonce qu'ils avaient égaré mon dossier. J'ai reconstitué le dossier la mort dans l'âme. Heureusement que j'avais des copies en plus. Quand je suis revenue, j'apprends qu'ils l'avaient encore perdu. Là, je n'en pouvais plus. Je leur ai dit : ‘‘Wech, caméra cachée ?'' Je me suis fait violence et leur ai encore remis une énième copie du dossier. Ils ont fini par m'établir le document (attestation de numéro d'identification fiscale, ndlr). J'ai introduit le premier dossier le 6 octobre 2012. Je n'ai eu l'attestation que le 26 décembre 2012. Mais pas la carte fiscale.»
«Mon géo-radar est dans ma chambre»
Basma n'est pas au bout de ses surprises. En lisant son attestation NIF, elle tombe des nues en y décelant deux anomalies : «Ils avaient écorché mon nom, et, en plus, le document expirait le 31 décembre 2012 alors que j'en avais besoin pour 2013.» Les Impôts lui refont l'attestation en février, avec effet jusqu'au 30 juin 2013. «Mais il y avait toujours cette erreur dans le nom et cela risquait de me poser un problème au niveau de la carte magnétique. On m'a fait comprendre qu'il fallait monter en haut lieu pour régler mon problème, c'est-à-dire au ministère des Finances.» On la prévient, toutefois, que personne ne se donnerait la peine de la recevoir à la citadelle en verre de Ben Aknoun.
Basma ne se laisse pas décourager pour autant, et décide de tenter le coup. «Elli amrou ma r'bah, ma andou ma khssar (qui n'a rien gagné, n'a rien à perdre)», se dit-elle. Un dimanche matin, elle gagne le ministère des Finances où siège la Direction générale des impôts, émettrice des cartes magnétiques. «Dès l'accueil, un agent de sécurité m'annonce avec morgue qu'on ne recevait pas le peuple. J'ai attendu quand même. J'ai vu à un moment donné un homme en costume-cravate qui s'apprêtait à rentrer. Je l'ai abordé directement et je lui ai expliqué mon affaire, documents à l'appui. A ma grande surprise, il a été très courtois et m'a écoutée attentivement. Il a demandé à l'agent de sécurité de réceptionner mon dossier et de le photocopier. Puis, il m'a dit de repasser dans l'après-midi.» Le mystérieux bienfaiteur, qui s'avérera être un directeur central au sein du MDF, tiendra parole – et c'est tout à son honneur. Oui, le miracle a eu lieu et Basma, sa carte magnétique fiscale. Yes !
Juin 2013 : Basma réceptionne enfin les précieux appareils tant attendus. Maintenant, il lui reste une dernière procédure, dite de «nantissement du matériel», à accomplir. Une forme d'hypothèque. Quand nous lui demandons où le rangeait-elle, l'oiseau rare, elle nous répond avec un brin de tendresse, comme si elle parlait de l'homme de sa vie : «Je le garde jalousement chez moi, dans ma chambre. J'ai dû vider ma garde-robe et le mettre dans mes placards. C'est du beau matériel. ‘‘Chebab bezzaf.'' Je ne laisse personne l'approcher. Je ne fais pas confiance. J'ai tellement galéré pour l'avoir !»


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