«Dès que quelqu'un comprend qu'il est contraire à sa dignité d'homme d'obéir à des lois injustes, aucune tyrannie ne peut l'asservir.» (Gandhi) Ils sont sept frères ayant connu pratiquement la même trajectoire. Nourris de nationalisme, ils se sont tous engagés pour la même cause, libérer l'Algérie des affres de la colonisation. Issus d'une famille bien connue à Constantine, les Daksi ont fait le sacrifice attendu sans rien demander en retour. De Mostefa, l'aîné né en 1919 et qui a été avec son frère Zoubir, né en 1925, élu conseiller municipal de Constantine sur la liste MTLD et Derdour Djamel, les créateurs dans la ville des Ponts suspendus, de la première cellule PPA/MTLD en 1944 en passant par Abdelkrim, né en 1927, membre de l'OS, plusieurs fois arrêté et torturé et Mohamed Tahar (1932), ancien responsable FLN de la région de Marseille et Abdeslam (1933), le chahid dont un quartier de l'antique Cirta porte le nom, à Ahmed (1935), officier de l'ALN et de l'ANP, au cadet Allaoua (1938), membre du réseau Jeanson, tous ont bravé les périls pour être au rendez-vous de l'histoire. Pour évoquer cette saga flamboyante mais peu encline à l'apparat et aux feux de la rampe, Allaoua le plus jeune avec son art consommé du discours nous retrace cette épopée où la bravoure le dispute à… l'originalité. Allaoua est né le 6 février 1938 à Constantine. Il a fait l'école primaire Arago, puis le lycée d'Aumale. La grève des étudiants de 1956 à l'appel du FLN a changé la trajectoire de Allaoua qui était déjà intégré à l'organisation, dès 1955, à l'âge de 17 ans. Une famille révolutionnaire «J'achetais des produits pharmaceutiques et même des pataugas destinés aux maquisards. Avec l'aide du père d'un ami M. Benseradj, j'ai importé des trainings de Yougoslavie. J'ai tout fait pour rejoindre le maquis. On me l'a toujours refusé au prétexte qu'on avait besoin de moi à Constantine. J'ai reçu l'ordre d'appel du service militaire en 1958. Je ne suis resté que 48 heures à Téleghma. Là aussi, les frères m'ont dit d'y rester. J'ai été envoyé dans une caserne à Beynes, près de Versailles, en France. Après 40 jours, j'ai contacté le FLN. J'allais régulièrement à Barbès. Et chose que j'ignorais, le FLN avait ordonné de descendre' tout Algérien en tenue militaire. J'ai décidé de déserter. Il y avait un Constantinois à Barbès qui m'avait reconnu. Il m'a donné une tenue civile et m'a mis en contact après plusieurs étapes avec… mon propre frère Mohamed Tahar, responsable à la Fédération de France du FLN. Je suis donc parti en devenant l'un des responsables du comité de soutien aux détenus algériens pour la Wilaya II de la Fédération présidée par Aït Hocine et qui englobait toute la banlieue parisienne. Puis j'ai été promu responsable organique de la zone la plus importante avec plus de 10 000 cotisants et sympathisants de la cause. J'ai été arrêté en septembre 1959. Je me suis évadé et arrêté de nouveau en février 1960 après avoir fait partie du réseau Jeanson. Au procès, nous étions une vingtaine d'inculpés, garçons et filles dans le box des accusés et autant d'avocats dans le prétoire. Compte tenu de mon âge, j'étais la coqueluche de mes codétenus et particulièrement de Micheline Pouteau, une prof d'anglais de 32 ans et Lise Besançon, étudiante en médecine, fille d'un grand magnat de produits pharmaceutiques. J'ai préparé une première déclaration pour intervenir devant le juge. Haddad, mon chef, me demanda de lui en préparer une. Je lui ai remis celle que j'ai confectionnée pour moi-même et ai préparé une autre. J'ai pris pour sujet la déclaration d'un officier français qui, lors de la conquête de l'Algérie en 1830 et selon le livre de Charles André Julien, disait ceci à ses parents : «Nous avons assassiné des vieillards, des femmes, des enfants. Nous avons torturé des hommes de foi, nous avons dépassé en barbarie ces barbares que nous sommes venus civiliser. Mais dans leurs plaidoiries, à la veille de mon intervention devant la cour, deux avocats développèrent le même sujet. Je fus donc contraint de préparer autre chose. Je ne dormais pas. Au matin, je me suis mis à écrire ma déclaration qui fit un tabac, sans forfanterie.» Le procès Jeanson fut le plus grand de la guerre d'Algérie avec le témoignage d'artistes et intellectuels dont Jean-Paul Sartre, Yves Montand, Simone Signoret, Danielle Delorme... Un tribun hors pair A son premier procès au tribunal militaire de Paris, le 12 septembre 1960, Allaoua, 22 ans, avait déclaré : «Ma qualité de militant au service de la cause nationale algérienne ne me permet pas de vous dire autre chose que ceci : fils du peuple algérien, je ne pouvais rester indifférent au drame dans lequel il est plongé depuis six ans. C'est en toute connaissance de cause et conscient de mon devoir que j'ai participé à sa lutte libératrice.» «En conséquence, je revendique pleinement toutes mes responsabilités. Néanmoins, je réclame le statut de prisonnier de guerre conformément aux conventions de Genève que mon gouvernement vient de ratifier et auxquelles la France a d'ailleurs souscrit. Je tiens également à rendre un hommage fraternel à ces Français que j'ai connus à Fresnes et qui n'ont cessé de se dévouer. Ce sont des hommes qui connaissent un autre mot de la langue française que celui de pacification.» A son deuxième procès, le 1er octobre 1960, Allaoua a clamé haut et fort : «Dans ce conflit, la France est partie, elle ne peut être juge !» Il déclarait : «Le 1er novembre 1954, nous avons pris les armes parce que c'était le seul moyen qui nous restait pour lutter contre cent vingt quatre ans d'obscurantisme, d'étouffement, d'asservissement, d'humiliation. Depuis le 1er novembre 1954, je ne végète plus. J'existe, je vis.» «Le commissaire du gouvernement a réclamé contre moi une peine d'emprisonnement de dix ans et sept millions d'amende. Je ne parlerai pas de l'interdiction de séjour, car je n'ai nullement l'intention de rester à l'étranger après l'indépendance de mon pays. S'il est dit que la pieuvre colonialiste, quoique moribonde, doive encore s'agripper quelque temps au sol national algérien, c'est sans aucun regret et même avec fierté que je resterai en prison. En ce qui concerne les 35 millions d'amende réclamés à mes compatriotes et à moi-même, je suggérai respectueusement à M. le commissaire du gouvernement de s'adresser à Ahmed Francis, ministre des Finances du GPRA.» A l'indépendance, M. Allaoua est responsable des organisations de masse au niveau de la daïra de Constantine. «Hadj Smaïn alors chef de cabinet de Ben Bella m'avait sollicité en octobre 1962 pour faire partie du cabinet dirigé par Abdelatif Rahal et qui comptait Maachou, Guelal, Benzerfa et Hervé Bourges. Je n'y suis resté que 3 mois après avoir constaté le langage ordurier et le comportement indigne de Ben Bella à l'encontre d'un cadre. Je suis rentré à Constantine, de nouveau sollicité par la hiérarchie.» Allaoua a été tour à tour cadre au ministère de l'Habitat et de la Construction, responsable du Centre national du cinéma, directeur général du Pari sportif algérien, secrétaire général des Galeries algériennes. Il réintègre le FLN en 1980 et occupe différentes fonctions dont celle d'adjoint au commissaire national d'Alger. A la fin des années 80, Allaoua se retire complètement de la scène pour s'occuper d'agriculture. Sur un autre registre, Allaoua a eu un parcours sportif enviable. En 1972, Abdallah Fadhel, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, lui fait appel pour gérer la Fédération algérienne des sports collectifs (basket, volley, handball). Allaoua en est le secrétaire général. La Fédération internationale ayant exigé la séparation des instances, Amoura deviendra président de la FABB, Bourkaïb de la Fédération de volley et Allaoua celle de handball de 1972 à 1977. «En 1973, lors des Jeux africains de Lagos, la CAHB fut constituée avec Babakar Fall du Sénégal, Seghir Djoudi, Aziz Derouaz et moi-même.» Allaoua, président de la FAHB, se souvient de la grande équipe de hand de 1975 qui arracha la médaille de bronze aux JM d'Alger, après l'Espagne et la France. «Nous pouvions aspirer à l'argent mais l'inexpérience face à la France nous a joué un mauvais tour.» N'empêche, Allaoua a une pensée affectueuse pour tous les joueurs des années 1970 : «L'hachemi, Amara, Bouzerar, Farouk et Azzedine, Larbaoui, Benhamza, Lamdjadani, Bouzidi, Tsabet, Sayad, Djeffal, Ferfar et autres qui m'ont donné tant de joie il y a plus de 40 ans en remportant la médaille d'or des Jeux africains de Lagos et en qualifiant l'Algérie à son premier championnat du monde à Berlin en 1974 avec un clin d'œil plein de tendresse aux jeunes Boudrali et Labane qui eurent l'honneur de représenter 8 fois l'Algérie à la Coupe d'Afrique et qui ont remporté le premier titre après 17 ans d'abstinence.» De son enfance, Allaoua garde des souvenirs indélébiles. «Malgré mon jeune âge, j'ai eu le plaisir de connaître 9 parmi les 22 qui ont préparé le déclenchement du 1er Novembre 1954. Je vendais L'Algérie libre avec Abdelmalek Ramdane, notre voisin et premier chahid de la guerre. Il est tombé à Cassaigne, en Oranie, qui porte aujourd'hui son nom. Issu de Constantine, Abdelmalek a formé un groupe pour attaquer la gendarmerie locale le 1er Novembre. Il est tombé au champ d'honneur.» Notre interlocuteur fait aussi quelques digressions exquises : «Winston Churchill s'étonnait que certains n'arrivaient pas à arrêter de fumer, la preuve, disait-il, "je l'ai fait plus de 100 fois". Pour moi aussi, la course contre la cigarette a été constante. En 1984, en me rendant à une omra avec mes frères Mostefa, Abdelkrim et Ahmed que Dieu ait leur âme – j'ai décidé de le faire, ça a duré 10 ans. Le plus mauvais souvenir ? Lorsque en 1977, Djamel Houhou, alors MJS, m'avait appelé en me lançant cette phrase sentencieuse : "Je n'ai rien à reprocher à ton militantisme et à tes compétences, mais tu n'es pas mon profil à la Fédération." J'ai alors démissionné de tout en apprenant que mon poste était destiné à un parent du ministre.» Un sportif accompli «En 2006, j'ai été appelé par Guidoum — sans doute après Fadhel le meilleur ministre de la Jeunesse et des Sports. Seulement un mauvais communicant, trop brusque avec la presse et trop honnête, une tare chez nous. J'ai dirigé la FAHB de 2006 à 2009 en pensant constamment laisser la place à la nouvelle génération.» Allaoua parle de sa ville natale avec nostalgie : «Constantine, c'était une ville merveilleuse, quand j'étais jeune, on ne pouvait rompre le Ramadhan sans s'inquiéter des autres, des démunis avec qui on partageait les repas. Maintenant, les traditions se sont envolées, de même que la propreté. C'est l'égoïsme, l'individualisme à outrance. C'est triste à pleurer. A sa décharge, Constantine abritait 150 000 âmes, il y en a plus d'un million et les mentalités ne sont plus ce qu'elles étaient. Et puis le civisme ne se décrète pas. Il est en nous ou pas», explique dépité Allaoua, guère satisfait de l'état de l'Algérie qu'il s'imaginait autrement. «Lors de mon procès au tribunal, je me rappelle avoir dit que depuis le 1er Novembre 1954, je ne végète plus, j'existe, je vis, je suis dans ce box.» «J'avais 22 ans. Plus d'un demi-siècle après et surtout après la prise de pouvoir par le groupe d'Oujda, je puis dire je ne vis plus, n'existe plus et que je végète», tempête notre interlocuteur qui se désole de la tournure des événements. Désignant une grande partie de la «famille révolutionnaire» qui s'est fourvoyée, il fustige son comportement et la trahison de ceux qui ont préféré vendre leur âme en acceptant le pensionnariat et les affaires en contrepartie de leur sacrifice réel ou supposé, choisissant d'en faire un fonds de commerce. Comment en un plomb vil, l'or pur s'est-il changé ? Allaoua semble murmurer : «Le bruit de ma vie me fait mille fois mieux que le bruit de la cour…»