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«Rêvons à une démocratie des valeurs»
Karima Bennoune. Universitaire et auteure
Publié dans El Watan le 27 - 11 - 2014

L'Algéro-Américaine Karima Bennoune était l'une des invités du 19e Salon international du livre d'Alger (SILA), qui s'est déroulé du 29 octobre au 8 novembre 2014 au Palais des expositions des Pins Maritimes (Safex). Elle a présenté son livre, paru en anglais aux éditions W.W. Norton and Company, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, l'été 2013 : Your fatwa does not apply here, untold stories from the fight against muslim fundamentalism (Vos fatwas ne sont pas applicables ici, les histoires non dites sur le combat contre l'intégrisme). Le prix Nobel de la littérature (1986), le Nigérian Wole Soyinka, a salué ce travail «qui tord le cou au ‘‘ politiquement correct'', qui donne des excuses à l'intolérable».
-Your Fetwa does not apply here est votre nouveau ouvrage. Il s'agit d'un travail d'enquête sur le terrain. Que raconte donc votre ouvrage ?
C'est un livre qui raconte des histoires sur les démocrates musulmans qui ont lutté dans leurs pays contre l'extrémisme islamiste et contre le terrorisme. J'ai réalisé 300 interviews dans 30 pays. L'idée de ce livre m'a été inspirée par le courage des Algériens qui ont lutté contre le terrorisme dans les années 1990 sans le soutien du monde. Je voulais que le monde anglophone apprenne des choses sur la particulière expérience algérienne et sur celle des gens qui sont en train de vivre actuellement ce que l'Algérie a déjà vécue. Je suis allée au Pakistan et en Afghanistan, j'ai visité le Mali durant l'occupation djihadiste du nord du pays.
-Le livre sera-t-il traduit en langue arabe ?
Je le souhaite. C'est un livre conçu pour les anglophones. J'ai trouvé les Algériens intéressés par ce livre.
-Lorsque vous vous adressez au monde anglophone, pensez-vous qu'il existe une incompréhension par rapport à cette thématique ?
Pour certains, oui. Nous nous retrouvons face à deux discours inacceptables, à mon avis, en Occident. Un discours, à droite, raciste, islamophobe, antimusulman. Dans ce discours, tous les musulmans sont considérés comme des terroristes ou des sympathisants du terrorisme. A gauche, il existe un autre discours tellement politiquement correct qu'il ne veut même pas aborder le thème du terrorisme et de l'intégrisme. Ce que j'essaie de faire, c'est d'avoir un discours qui soit ni l'un ni l'autre. Un discours ancré dans les paroles et l'expérience de ceux qui ont vécu réellement le terrorisme.
-La droite n'a-t-elle pas alimenté l'islamophobie au point de confondre Islam et terrorisme actuellement ?
Justement, c'est par crainte de cette pensée que j'ai écrit le livre aux fins de montrer une vision tout à fait différente. Dans les années 1990, les Algériens ont manifesté contre le terrorisme sans armes en affrontant les risques. En Algérie, et dans d'autres pays, il y a beaucoup de victimes du terrorisme, pas des terroristes. Donc, c'est plus compliqué que cela. Les plus grands résistants à l'intégrisme et au terrorisme sont dans les pays musulmans. C'est une question qui est encore mal comprise en Occident, surtout au sein des courants de droite et de l'extrême droite. Comme si la lutte contre l'intégrisme et le terrorisme relevait «d'un choc des civilisations». Je rejette totalement cette vision. Pour moi, il existe des luttes au sein de toutes les civilisations contre les extrémistes.
-Dans vos voyages, avez-vous trouvé des similitudes entre les mouvements radicaux, par exemple au Pakistan, au Mali et en Egypte ? Ou chaque pays constitue-t-il «un cas» à part ?
Chaque pays a un contexte particulier, mais on trouve des thèmes communs comme «le ciblage» des femmes et des militantes des droits des femmes. Elles sont sur la ligne de front dès le début. On cible également l'éducation comme au Pakistan et en Afghanistan. C'était la même chose en Algérie dans les années 1990. On peut apprendre beaucoup de ce que les gens ont vécu dans les autres contextes. Manifester publiquement contre le terrorisme en Algérie était une expérience importante (entre 1993 et 1995, ndlr). Ces manifestations ont contribué à la lutte contre le terrorisme. En Afghanistan et au Pakistan, où la situation est dangereuse, des manifestations de ce genre commencent à être organisées.
-L'idée est donc de ne pas se laisser dominer par les pensées et les visions extrémistes, quel que soit le contexte...
Absolument. Partout, en Occident ou ailleurs, nous avons la responsabilité de combattre l'extrême droite qui prend des positions contre les droits humains. C'est une responsabilité généralisée. Les journalistes, par exemple, ont plus de responsabilités, puisqu'ils ont la possibilité de parler à plusieurs personnes. Idem pour les instituteurs, les enseignants universitaires. En Algérie, journalistes, instituteurs et enseignants ont assumé leurs responsabilités dans les années 1990. Plus le soutien est fort, plus la réussite de la lutte antiterroriste est assurée. Cette lutte devient moins dangereuse pour ceux qui la mènent lorsqu'elle est généralisée.
-Quelle analyse faites-vous du phénomène lié à ce qui est appelé Daesh (Etat islamique, EI) en Irak et en Syrie ?
La communauté internationale a répété les fautes du passé. Quand les victimes de ce groupe étaient «seulement» irakiennes et syriennes, on ne faisait pas attention. Cela a pourtant duré des mois et des mois. On pouvait à peine trouver un article dans un journal. L'intérêt s'est exprimé dès qu'un journaliste américain a été cruellement tué. Et ce n'est que maintenant que la communauté internationale considère Daesh comme une menace à laquelle il faut faire face. Et là, il y a une chose essentielle : il faut toujours se solidariser avec les victimes sur les lignes de front. Toutes les victimes sont égales. Si l'on avait fait attention au début aux victimes irakiennes et syriennes, on aurait pu lutter contre ce mouvement plus tôt et avec beaucoup plus de possibilité de réussir.
Aujourd'hui, c'est possible, mais ça va être difficile. Il faut continuer de souligner le travail courageux des démocrates syriens et irakiens qui luttent contre ce mouvement. Je trouve triste qu'on ne parle pas assez de cette action menée surtout par les femmes. Je pense notamment à l'Organisation pour la liberté des femmes en Irak (Organization of Women's Freedom in Iraq, OWFI). J'ai rencontré la présidente de cette organisation, Yanar Mohammed, une femme courageuse (Yanar Mohammed est architecte et artiste céramiste, ndlr). Depuis des années, elle reçoit des menaces de tous les côtés, des extrémistes chiites et sunnites en même temps.
OWFI, qui dénonce quotidiennement les exactions de Daesh, gère un refuge pour les femmes qui fuient ce mouvement. Je pense également à ceux et celles qui ont perdu leur vie comme l'avocate irakienne Samira Saleh Ali Al Naïmi (torturée et assassinée en septembre 2014 à Mossoul par les fanatiques de Daesh, après avoir dénoncé leurs actes, ndlr). Les histoires comme celle de Samira ou Yanar doivent être racontées, car sur le terrain des gens continuent de lutter. Il faut, à mon avis, trouver les moyens pour les soutenir.
-Les frappes militaires occidentales contre «les campements» de Daech sont-elles une solution ?
Je n'aime pas l'utilisation de la force, mais j'accepte cela lors que des mouvements extrémistes ciblent des peuples entiers, des minorités, des civils. Parfois, il n'existe pas d'autres choix, à part la force. Malheureusement, on se trouve face à cette situation en Irak et en Syrie. Je suis professeure de droit international et je souligne que l'utilisation de la force doit être respectueuse du droit international. Il faut dire aussi que la force peut être qu'une partie de la solution. Il est important d'avoir une solution politique, une solution globale, valable à long terme.
-La bataille contre Al Qaîda a-t-elle été gagnée pour que l'on passe à une autre bataille contre Daesh ?
Non ! Disons que la bataille a changé, évolué. Actuellement, il existe plusieurs Qaîda. J'ai peur que l'on commence à dire qu'Al Qaîda n'est pas aussi mauvaise que Daesh et que finalement ce n'est pas une menace. On a dit, par le passé, que les talibans n'étaient pas Al Qaîda et donc ils étaient fréquentables. Il se trouve que les Afghans ne peuvent pas vivre avec les talibans. Ils sont d'ailleurs très inquiets sur un éventuel retour de ces talibans qui contrôlent déjà plusieurs régions au Nord du pays. Le risque n'est pas pour l'Occident, mais pour les Afghans eux-mêmes.
-Peut-on penser à une éventuelle «exportation» de ce qu'on peut appeler «le modèle» Daesh au-delà de l'Irak et de la Syrie ?
C'est effectivement une crainte. Des militantes afghanes redoutent actuellement l'émergence d'un groupe affilié à Daesh en Afghanistan. Il existe également un débat sur ce sujet au Pakistan. Il y a aussi cette rivalité entre Al Qaîda et Daesh. Chaque groupe va tenter de commettre des crimes de plus en plus horribles pour se mettre en avant (…). Monter les uns contre les autres est toujours possible, mais c'est dangereux. La vision sécuritaire est importante, mais j'estime qu'une vision ancrée dans les droits humains est plus efficace pour le traitement de la question du terrorisme.
-La lutte contre le terrorisme doit-elle être extensible aux idées qui portent ce même terrorisme ?
Dans mes interviews en Algérie, à Blida, à Sidi Moussa et ailleurs, j'ai appris que l'important dans le combat contre le terrorisme est la lutte contre l'intégrisme et les idées qui incitent à la violence. Le contre-terrorisme doit donc englober le combat contre l'idéologie extrémiste. A écouter le dernier discours du président Obama à l'ONU en septembre dernier, les gouvernements commencent à comprendre l'importance de lutte idéologique. Le leadership dans cette lutte doit venir de nos pays et de nos communautés dans la diaspora.
-Certains peuvent toujours dire que l'extrémisme se nourrit de l'absence de libertés et de démocratie dans ces pays…
Cela fait effectivement partie du problème. D'où mon insistance pour avoir une vision équilibrée de toutes ces questions dans mon livre. Encore une fois, le rôle de la société civile dans la lutte contre l'intégrisme est vital. Si la société civile ne peut pas assumer ce rôle à cause des lois et des interdits, c'est un vrai problème. Si en Algérie on ne peut même pas manifester dans la rue pour célébrer le 1er Novembre et que de l'autre côté des intégristes distribuent librement des tracts, là on est face à un déséquilibre dangereux. Il faut dire aussi que les intégristes ont joué le jeu de la démocratie comme mécanisme pour arriver au pouvoir. Quand on parle de démocratie, on évoque les valeurs démocratiques, l'égalité, les droits humains… La question de l'éducation est fondamentale. Pour mon père (le regretté Mahfoud Bennoune, ndlr), cette question était essentielle. Il est important de sauvegarder l'éducation républicaine, là où elle existe, la créer dans les pays où elle n'existe pas. Cela m'a été dit par mes interlocuteurs au Mali, en Afghanistan et ailleurs.
-Nous avons deux modèles : l'Egypte, élections démocratiques, élection d'un Président islamiste, coup d'Etat militaire. La Tunisie, processus électoral, les islamistes semblent jouer le jeu. D'où la question : le mouvement islamiste est-il «soluble» dans la démocratie ?
J'ai passé beaucoup de temps cette année en Tunisie. J'y étais également en 2011. Les islamistes n'ont pas accepté de jouer le jeu, on leur a imposé cette position. C'est le travail de la société civile tunisienne qui est disciplinée et organisée. Les islamistes d'Ennahdha n'avaient pas le choix, surtout après les assassinats de Choukri Belaïd et Mohamed Brahmi. Ce n'était pas le vœu d'Ennahdha de jouer le rôle de cette manière. Après les révoltes de 2011, on nous avait parlé de deux possibilités : dictature ou théocratie. Je pense qu'il faut rêver à une troisième possibilité : la démocratie des valeurs. En Egypte, en Tunisie et même en Libye, les gens luttent toujours pour l'Afrique du Nord de nos rêves. Cela va prendre beaucoup d'énergie, de travail et de temps… J'espère toujours qu'on y arrivera.


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