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l'enfer au pied de Kef Azrou
Carrières des bibans
Publié dans El Watan le 13 - 08 - 2016

On ne compte pas le nombre de carrières d'agrégats qui exploitent les gisements rocheux à l'ombre des Bibans, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj. La commune d'El Mehir à elle seule en abrite sept.
Une industrie extractive en plein boom qui approvisionne un marché insatiable et très demandeur de granulats (sable et gravier principalement).
Une prospérité qui ne va pas sans quelques (gros) effets secondaires, rendant l'air chaque jour un peu plus irrespirable pour la population d'El Mehir, d'El Euch et autres localités dont le seul «tort géographique» est de se trouver à proximité de ces gisements juteux. Entre tirs à l'explosif et nuages de poussières minérales, les habitants des douars qui entourent Kef Azrou vivent un véritable calvaire depuis plusieurs années.
Quand vous entendez les explosions, on dirait des bombardements. C'est à croire que nous sommes en état de guerre» lâche, excédé, un habitant de Ariguebat-Maïza, hameau situé à la périphérie de la petite ville d'El Mehir, à une cinquantaine de kilomètres de Bordj Bou Arréridj.
Non, il ne s'agit pas d'une campagne militaire mais d'opérations d'abattage à l'explosif effectuées par les nombreuses carrières d'agrégats qui exploitent les gisements rocheux de la région. Ici, nous sommes au pied de Kef Azrou, appelé aussi Azrou El Kebir, au cœur des Bibans. La commune d'El Mehir abrite à elle seule pas moins de sept carrières d'agrégats qui rongent méthodiquement le totem karstique, dont quelques grosses cylindrées : Cosider, Lafarge, ou encore les carrières louées par le géant chinois CITIC-CRCC pour les besoins de ses nombreux chantiers. D'autres carrières, de plus petite taille, des privés pour la plupart, s'ajoutent aux premières : carrière Meziane, Ben Hamza, Heraoua…
Du reste, des stations de concassage poussent un peu partout dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj, à l'ombre des contreforts des Bibans. Une industrie extractive en plein boom qui approvisionne un marché insatiable et très demandeur de granulats (sable et gravier principalement), notamment le secteur du BTP, boulimique en matériaux de construction. Une prospérité qui ne va pas sans quelques (gros) effets secondaires, rendant l'air chaque jour un peu plus irrespirable pour la population d'El Mehir, d'El Euch et autres localités dont le seul tort «géographique» est de se trouver à proximité de ces gisements juteux.
Fausse couche à cause des explosifs
«Ces carrières ont transformé notre vie en enfer», résume Mohamed Seghir, habitant lui aussi à Ariguebat-Maïza. Au village, d'aucuns s'empressent de nous montrer les images des tirs de mines stockées sur leur téléphone portable. Les vidéos sont impressionnantes. «Tous les quinze jours, les carrières procèdent à des tirs à l'explosif pour extraire le minerai. Ces opérations utilisent de fortes charges d'explosifs. L'odeur de TNT arrive jusqu'ici. Les déflagrations sont telles que les fondations de nos maisons sont secouées, les vitres manquent de voler en éclats. Nos enfants en sont terrorisés», témoigne Mohamed Seghir. Sa maison est située tout près de Kef Azrou, à quelques centaines de mètres à peine des carrières les plus proches, une position qu'il partage au demeurant avec tous ses voisins d'Ariguebat-Maïza et du douar Djebassa.
«Parfois, des blocs de pierres projetés suite aux tirs de mines atterrissent dans nos champs», assure un autre résident du même hameau. L'effet des explosions est d'autant plus spectaculaire que les tirs sont programmés tous le même jour, nous dit-on, pour toutes les carrières qui occupent le site.
«L'acheminement des substances explosives jusqu'au site se fait sous escorte des services de sécurité. Ils ne peuvent pas mobiliser pour chaque carrière une escorte», explique un élu. N'en pouvant plus des effroyables détonations qui rythment leur quotidien, les citoyens des communes les plus exposées à ces nuisances à répétition exigent de revoir à la baisse les charges explosives utilisées. Des villageois ont attiré également notre attention sur le fait que ces tirs étaient parfois opérés à des heures indues. «Il est arrivé, et plus d'une fois, qu'ils procèdent à leurs explosions le soir» assure l'un d'eux, avant d'affirmer dans la foulée : «Une femme de chez nous qui était enceinte a fait une fausse couche à la suite d'une détonation, elle n'a pas supporté le choc.» Déclaration corroborée par ses voisins.
Nuages de poussière et pollution sonore
Abdelhakim Mekhalfia, 42 ans, père de deux enfants, raconte : «Je suis né ici et mon père est né ici. Quand j'ai ouvert les yeux, il y avait une seule carrière, c'était une carrière municipale. Ils travaillaient à la brouette. Dans mon souvenir, le paysage était vert, aujourd'hui tout est gris et ça sent la poudre. Les carrières utilisent des tirs à l'explosif chargés à 50 quintaux. J'ai des fissures qui commencent à apparaître dans la maison du fait des vibrations des tirs. Nous vivons sous la terreur des dynamites. Mon fils Yasser qui a six ans souffre d'allergies respiratoires. J'ai les certificats médicaux. Les médecins me disent que c'est à cause de la poussière des carrières qui pourrit nos poumons !» De fait, les volutes de poussière qui s'échappent des carrières sont l'autre hantise des habitants de la région. «Nos enfants souffrent tous d'allergies dues à ces poussières.
Elles ont détruit nos terres. Plus rien ne pousse dans nos champs. Regardez l'état de nos oliviers. Même les bêtes ‘‘ma selkouche'' (n'y échappent pas). On ne peut plus faire d'élevage. Certains agriculteurs ont bénéficié de l'aide de l'Etat pour cultiver leurs terres et pour construire, ils y ont renoncé», énumère Mohamed-Seghir. Pour atténuer la pollution générée par les particules minérales qui flottent dans l'air, les carrières sont censées disposer d'un système d'abattage de la poussière et procéder à l'arrosage des pistes qui entourent le site. Là encore, les villageois sont formels : «On a passé un accord avec eux, ils ont promis d'arroser systématiquement le site mais on n'a rien vu», soutiennent-ils.
«On va souvent les voir, ils te disent oui, on va arroser mais ils ne font rien. Ils ne respectent pas du tout le cahier des charges.» A ce peu d'empressement à endiguer la poussière s'ajoute le manque d'eau. La région crève de soif en raison d'une sécheresse aiguë. «L'eau ne coule pas dans nos robinets durant des mois, du coup on est obligés d'acheter l'eau potable à raison de 2000 DA la citerne de 3000 litres», indique Abdelhakim. Un de ses cousins peste : «Il y a pourtant de l'espace, pourquoi ils ne vont pas ailleurs ?» Un autre renchérit : «Ils ne respectent pas les horaires. Parfois, ils travaillent jusqu'à 22, 23h, surtout depuis l'arrivée des Chinois. Si ça ne tenait qu'à eux, ils ne s'arrêteraient jamais.»
Les villageois se plaignent également de la pollution sonore induite par le boucan mécanique des concasseurs et autres véhicules industriels. «Le vacarme produit par les engins ne n'arrête jamais. C'est comme si on habitait dans un chantier. On est harcelés à longueur de journée par le fracas des concasseurs, le manège incessant des camions. On se réveille au bruit des moteurs. Quand ils chargent ou vident leur benne, tu as l'impression que ça se passe chez toi.
La poussière envahit l'atmosphère, la dynamite ébranle nos chaumières. On n'en peut plus de cette vie !» Un riverain s'interroge : «Comment autoriser une carrière aussi près d'une zone habitée ? Nous, nous vivons ici depuis des générations, ce n'est pas nous qui avons été les chercher, ce sont eux qui sont venus vers nous.» Mohamed-Seghir glisse : «Avant, tu écoutais le bercement du train, ça avait du charme, aujourd'hui tu n'entends plus que le vacarme ininterrompu des machines et des engins. Fawdha (Anarchie) ! Même les hyènes ont fui la montagne.»
«Nous avons saisi la justice»
Othmane, autre natif de Ariguebat-Maïza, nous fait visiter sa maison en construction, une bâtisse de 300 mètres carrés érigée sur les terres familiales. Les travaux ont bien avancé. Problème : la nouvelle construction donne directement sur les fronts de taille des carrières. De la fenêtre de sa cuisine et du long balcon qui prolonge la salle de séjour, on aperçoit Kef Azrou. Sauf qu'au lieu de jouir du paysage enchanteur qu'offre le massif rocheux, Othmane et les siens devront subir de plein fouet les émanations nocives de la mine d'agrégats broyant la roche à ciel ouvert à un jet de pierre d'ici. «J'ai dépensé plus d'un milliard dans cette maison, et mon investissement est en train de partir en fumée. Je n'ai pas la force de continuer. J'ai regretté d'avoir investi dans cette construction», soupire Othmane. «Ici, on élevait même des chevaux. Ni les chevaux, ni les moutons, ni les vaches n'ont pu résister à cette pollution. On est obligé d'élever nos bêtes loin d'ici», fulmine-t-il.
Le 25 juillet 2010, un accord a été conclu, sous la médiation du maire d'El Mehir, entre les représentants des villages de Ariguebat-Maïza et Djebassa et les gérants de trois carrières opérant à Kef Azrou. En vertu de cet accord (dont nous avons consulté le procès-verbal), les exploitants de ces carrières étaient tenus de diminuer les charges explosives utilisées dans les tirs de mines, d'informer la population en cas de tirs le soir et de procéder à un arrosage quotidien du périmètre de ces stations.
«Mais cet accord est resté lettre morte», déplorent les villageois. Le 16 août 2015, les deux parties se sont retrouvées autour d'une table pour une autre tentative de conciliation sous la houlette du maire. Le procès-verbal de cette réunion soulignait notamment l'obligation faite aux carrières de respecter les horaires de travail (7h-17h), d'intensifier les opérations d'arrosage, de bitumer la route qui mène vers le site et de ne procéder aux tirs de mines que durant les heures de travail convenues.
«Là encore, les responsables de ces carrières n'ont pas tenu leurs engagements.» Le 17 juillet dernier, les citoyens de Ariguebat-Maïza et Djebassa ont saisi par courrier les services du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, ainsi que ceux du ministère de l'Environnement, de la Santé et du Tourisme. Ils ont décidé, en outre, de porter l'affaire devant la justice.
«Puisqu'ils ne veulent pas entendre raison, nous exigeons purement et simplement la fermeture de ces carrières», martèle Abdelhakim. «Après tout, nous sommes sur les terres de nos ancêtres. C'est à eux de partir !»


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