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De la répression judiciaire à la pratique massive de la torture
La terreur au quotidien
Publié dans El Watan le 07 - 11 - 2004

Rafaëlle Branche est maîtresse de conférences à l'université de Rennes 2, chercheuse au CRHISCO et chercheuse associée à l'IHTP. Elle a soutenu, sous la direction de Pierre Vidal-Naquet, une thèse sur l'armée française et la torture pendant la guerre de Libération nationalePar Raphaëlle BrancheLe sujet est pour la première fois traité dans une recherche universitaire.
« Cette thèse est et sera un événement », affirmait Pierre Vidal-Naquet dans une émission de France Culture. « Déjà la thèse de Sylvie Thénault (également soutenue sous sa direction, ndlr) sur la justice pendant la guerre d'Algérie a été dans une large mesure un événement. Le travail des historiens doit être fait », ajoutait Pierre Vidal-Naquet. En effet, les deux thèses ont constitué un événement dans l'écriture de l'histoire de la guerre d'Algérie. Rafaëlle Branche relève que « pratique admise ou tolérée, interdite pourtant, mais rarement sanctionnée, la torture était un objet difficile à saisir dans les archives officielles... L'historien restait à la porte des salles de torture, capable, au mieux, de suivre le trajet d'un prisonnier en amont et en aval... ». Cette pratique était connue et répandue des principales autorités civiles et militaires - si ce n'était toujours approuvée par elles. Elle constituait un des moyens d'obtenir des renseignements, tâche qui monopolisait à la fois des services spécialisés et toutes les unités d'Algérie : chacun devait à son échelle « faire du renseignement ». « Dans certains endroits, à certains moments, elle a aussi participé sciemment d'une logique de terreur vis-à-vis de la population algérienne, s'accompagnant d'exécutions sommaires ou de disparitions de corps. » Et c'est grâce aux archives privées et aux témoignages écrits que « ce trou noir s'éclairait, mais faiblement : les victimes ont rarement écrit et les soldats qui ont évoqué la torture l'ont fait le plus souvent brièvement ». « J'ai dit et reconnu que la torture avait été généralisée en Algérie », a affirmé, en l'an 2000, le général Massu, ancien responsable de la 10e division parachutiste. Quelques jours plus tard, interpellé sur ces questions par une partie de la presse et de l'opinion, le Premier ministre Lionel Jospin s'est engagé à favoriser l'accès aux archives de cette période tout en précisant que ces « dévoiements [...] étaient minoritaires ». La différence d'estimation est de taille et témoigne d'un malaise encore actuel sur cette question en France, mais on peut cependant se féliciter qu'aucune voix officielle ne soit venue nier purement et simplement l'existence de cette violence pendant la guerre. Celle-ci, en effet, était de notoriété publique pendant les événements eux-mêmes. Elle avait été révélée à l'opinion publique par des témoignages de soldats revenus d'Algérie, mais aussi par des journalistes, des intellectuels, des avocats ou encore des victimes de janvier 1955 à la fin de la guerre. Cette campagne d'opinion atteignit un premier sommet au printemps 1957, tandis que les troupes du général Massu recouraient systématiquement à la torture pour éradiquer le terrorisme et le nationalisme dans la capitale algérienne. En Algérie, la torture était utilisée par la police dans un premier temps, puis, massivement et à mesure que la guerre s'imposait, par l'armée. Celle-ci reçut progressivement la charge de lutter contre des adversaires qui étaient non seulement des soldats, mais aussi des terroristes et des militants politiques. La population civile devint ainsi très rapidement une cible privilégiée, tant pour les nationalistes algériens, d'ailleurs, que pour l'armée française : cible des campagnes d'action psychologique, des mesures d'intimidation, mais aussi des violences diverses sur les biens comme sur les personnes.Parmi les victimes, certaines étaient des sympathisants supposés des adversaires de la France ou de simples suspects aperçus, par exemple, au voisinage d'un attentat. Au sein des violences illégales que les populations pouvaient être amenées à subir, la torture occupa une place centrale. Elle participa plus généralement d'une définition nouvelle de la guerre qui s'imposait progressivement : la « guerre contre-révolutionnaire ». La guerre en Algérie était en effet décrite par certains officiers revenus d'Indochine comme un conflit d'un type nouveau, auquel il était essentiel de s'adapter en changeant la manière de se battre. Cette analyse du combat de l'adversaire comme élément d'une stratégie globale, sinon communiste, du moins révolutionnaire, amena l'armée à encourager un engagement total des soldats, devenus les chevaliers d'une nouvelle croisade, les promoteurs d'une nouvelle politique. La première expérience de « guerre contre-révolutionnaire » eut lieu en 1957 à Alger. Les parachutistes du général Massu y avaient été chargés de briser la grève orchestrée par le FLN et de démanteler son réseau de soutien. Il s'agissait aussi de lutter contre la nouvelle tactique du FLN qui, depuis l'été 1956, avait opté pour un terrorisme urbain aveugle. Dans la ville blanche, la torture fut utilisée à la fois massivement et d'une manière qui se prétendait rationnelle. L'expression abusive de « bataille d'Alger » utilisée pour caractériser cet événement révélait, par ailleurs, la continuité voulue entre la guerre en ville menée alors et les combats des djebels. Cet événement témoigna surtout d'une guerre totale menée dans l'ignorance ou le mépris des règles de droit élémentaires. Les services de renseignements, qui se développèrent à partir de 1957, eurent aussi recours massivement à la torture : cette violence était répandue et reconnue comme nécessaire dans toute l'Algérie. Selon les unités et les localités, les soldats qui la pratiquaient étaient membres exclusifs d'une équipe dite de « renseignements » ou participants occasionnels aux séances. Si tous les militaires servant en Algérie n'ont pas torturé, si tous n'y ont pas été confrontés même, il n'en reste pas moins que la torture s'est alors imposée comme un acte militaire élémentaire dans cette guerre particulière. Des coups, des décharges électriques, mais aussi des étouffements, pendaisons et autres violences furent infligés intentionnellement à des individus privés de tous leurs droits. La torture trouve bien là son sens profond, dans cette soumission à un arbitraire absolu, qui va jusqu'à manipuler l'idée de la mort de l'Autre. En Algérie, elle fut utilisée comme une arme adaptée à une guerre nouvelle. Contrairement à ce qui est souvent écrit, son usage dépassa alors le cadre du renseignement auquel on la renvoie trop facilement en l'y cantonnant : elle fut une véritable arme de terreur dans l'affrontement entre tenants du maintien de l'Algérie française et partisans de l'indépendance. D'abord épargnées par cette violence, les femmes furent peu à peu intégrées dans le cercle de ses victimes à mesure que la guerre avançait et que l'engagement des femmes dans la lutte de Libération s'imposait comme une évidence aux yeux des militaires français - même s'ils ne comprenaient bien souvent cet engagement que comme un simple soutien des femmes à leurs maris. En France, la répression du nationalisme algérien, menée par la police, fut aussi l'occasion de violences sur les personnes arrêtées. En 1958, des témoignages vinrent rappeler à l'opinion publique française que la torture n'épargnait pas la métropole. De même, la fin de la guerre vit surgir quelques plaintes issues d'Européens suspectés de sympathie plus ou moins active pour l'Organisation armée secrète (OAS). Eux aussi faisaient état de tortures, mais infligées cette fois par des gendarmes. La guerre avait alors pris une tout autre tournure pour les autorités françaises. Alors que l'OAS tentait par une extrême violence de s'opposer à la fin de l'Algérie française, le gouvernement cherchait au contraire à quitter le pays et à négocier un cessez-le-feu dans les meilleures conditions possibles. La torture à l'encontre de sympathisants du mouvement terroriste n'appartenait plus alors au registre des armes destinées à maintenir de force la France en Algérie, à imposer cette volonté à une population récalcitrante. Malgré son caractère illégal, les hommes qui ont pratiqué cette violence l'ont fait dans l'exercice de leurs fonctions, « en service ». Cela éclaire le nombre infime de sanctions et de condamnations pour torture qui les frappèrent. Faute d'une volonté politique claire en ce sens, la justice était soumise aux impératifs militaires ; elle était décidée à servir l'armée en guerre, même au prix d'arrangements avec le code pénal ou le code de justice militaire. Quelques sanctions furent cependant prises à l'initiative de responsables particulièrement décidés à lutter contre ces pratiques dans leurs unités, mais les actions judiciaires furent très rares et les procès encore plus. Ce bilan signale à la fois les difficultés de faire triompher la justice et le refus des autorités militaires de voir l'armée porter seule la responsabilité des violences illégales commises. Une fois le cessez-le-feu signé entre les anciens adversaires, plus aucune poursuite judiciaire n'était possible, car un décret avait prévu l'amnistie des actes commis dans le cadre des « opérations de maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection algérienne ». Cette amnistie de mars 1962 proposait, en outre, déjà une version officielle de l'histoire puisque, par un autre décret, visant les attentats et les actions violentes des nationalistes algériens, elle les présentait comme le symétrique exact des violences commises par les militaires français. Or, si les violences perpétrées par les nationalistes algériens constituèrent un contexte important pour éclairer la pratique de la torture par l'armée française, elles n'en furent en aucune manière la cause principale. Celle-ci doit être renvoyée à la manière dont la guerre a été pensée et voulue, c'est-à-dire in fine aux objectifs fixés par les gouvernements successifs de la France : maintenir l'ordre colonial, rester maîtres des évolutions de la situation.
Rafaëlle Branche


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