J'ai lu L'encyclopédie de la narration du docteur Abdullah Ebrahim(1) avec le très vif plaisir que l'on prend à suivre une pensée précise, rigoureuse, clairvoyante, refusant toutes les formes de l'illusion et s'appuyant toujours sur des lectures attentives. Le docteur Abdullah Ebrahim est, on le sait, l'auteur de plusieurs livres(2) qui ne dissimulent pas leur intention de réaliser une recherche, une expérience sur la façon dont un roman s'écrit, se construit et se conteste lui même. Jamais n'a mieux été illustrée cette symbiose de l'écrivain et du lecteur qui semble être un des phénomènes les plus originaux et les plus intéressants de la littérature moderne dans le monde arabe. En critique averti, le docteur Abullah Ebrahim nous présente dans ses écrits l'une des plus intelligentes démonstrations de ce que peuvent être les pièges de l'écriture et ceux de la lecture. Sa critique est une étonnante exploration des pouvoirs « autoréfléchissants » du langage dans toute fiction littéraire. Notre chercheur part toujours des textes. Qu'il examine ce qu'est la création romanesque ou ce qui sépare le récit littéraire des autres récits, qu'il s'interroge sur le sens et le rôle de la métaphore aujourd'hui ou sur les différences qui opposent le temps de la narration à celui de la fiction ; c'est toujours en prenant appui sur la chose écrite. La méthode du docteur Abdullah Ebrahim met en évidence le rôle prioritaire, dans toute œuvre, du travail d'agencement des mots, des formes, des sons, des figures et des structures sur lequel s'édifie tout véritable texte littéraire. Prioritaire signifie que ce n'est pas l'œuvre à venir qui commande et oriente ce travail, mais c'est ce travail seul qui provoque et constitue l'œuvre. Il montre que tout vrai texte créateur se développe à partir d'un jeu de correspondances, d'appels, de relations qui tendent à s'établir entre les mots et les signes. Cela est sans doute vrai, d'ailleurs, de toutes les œuvres littéraires, même de celles qui croient naître d'une vision de la réalité avant de naître du langage (et l'on reste un peu étonné de constater que l'on a attendu si longtemps avant de parcourir et d'explorer ces allées de l'écriture), mais il est bien certain que seules certaines œuvres modernes ont pris totalement acte des conséquences de cette découverte. C'est le sens de la narration moderne. Ce qu'il y a d'irréversible dans cette narration est bien évidemment la prise de conscience du pouvoir de commande, de direction et l'entraînement de l'écriture. Peut-être que cela s'appelait-il autrefois l'inspiration, mais précisément, il ne voulait rien dire et obscurcissait tout. Cette « encyclopédie » du docteur Abdullah Ebrahim montre d'une manière fascinante qu'elle est un instrument exceptionnel d'exploration de la narration moderne la plus riche et la plus dense. 1) Professeur émérite des universités, coordonnateur du prix international du Qatar. 2) Encyclopédie de la narration dans la littérature arabe, six gros tomes (jusqu'à 2006). C. des études arabes, Beyrouth. A. Ebrahim a publié plusieurs autres livres dont L'imaginaire narratif, Le patrimoine narratif arabe, etc.
