J'ai fait mon temps, ma petite Sylvie, je vais bientôt mourir. — Mais moi je ne veux pas que tu meures. Je veux te serrer toujours dans mes bras. Sylvie étreignait le tronc du vieux chêne, qui dressait sa silhouette solitaire et majestueuse en pleine campagne, à la croisée des chemins. — Autrefois, il y a plusieurs centaines d'années, je suis né au milieu d'une épaisse forêt. Maintenant je suis le dernier, toute la forêt a fait place aux champs et aux maisons des hommes. A mon tour, je dois céder la place aux voitures : on va élargir la route. Je t'ai raconté les histoires de la forêt, garde-les précieusement dans ta mémoire, Sylvie. Tu m'as aimé, tu as caressé ma vieille écorce, je veux te laisser quelque chose en souvenir de moi. J'ai encore le cœur solide. Quand les bûcherons m'auront abattu, tu diras à ton grand-père de prendre mon bois de cœur. Avec ce bois, il fabriquera une armoire. Ce sera une armoire magique. Et maintenant dis-moi adieu. Le lendemain, les bûcherons abattirent le vieux chêne. Sylvie n'était pas là. Elle était à l'école. mais de toute façon elle n'aurait pas voulu voir ça. A la fin de l'après-midi seulement, elle s'assit au bord du chemin et resta un long moment à regarder les membres épars du vieux chêne : la large souche encore solidement enracinée et le tronc puissant dont on avait déjà ôté les branches. Le grand-père travailla longtemps et avec amour. Enfin, l'armoire fut dressée dans la chambre de Sylvie. La petite fille caressa les veines claires. Le bois lisse semblait presque vivant sous ses doigts. Elle se pressa contre la porte, mais la voix du vieux s'était tue. Elle tourna la clé, ouvrit le battant. L'intérieur n'avait rien d'extraordinaire : le grand-père avait placé deux rayons et une tringle en dessous pour les habits. Qu'est-ce que l'armoire pouvait bien avoir de magique ? Sylvie tâta partout, sans rien remarquer de spécial sauf une chose : l'armoire avait la même odeur que la forêt. Parfois, la nuit, elle entendait craquer le bois. Elle chuchotait : — C'est toi, vieux chêne ? Parle- moi ! Mais l'armoire se taisait. Sylvie finit par penser que sa simple présence avait quelque chose de magique. C'était comme une amie qui se tenait toujours là près d'elle pour la protéger et la rassurer. Sylvie y rangea ses habits. Elle aligna sur les rayons les livres qu'elle aimait le mieux. En bas, elle gardait ses jeux, ses rollers. Puis un jour, le grand père fut emmené à l'hôpital. Sylvie alla le voir. Sa vieille tête ridée enfoncée dans l'oreiller était déjà comme une tête de mort. Est-ce qu'il faudrait bientôt lui dire adieu à lui aussi ? Rentrée dans sa chambre, Sylvie se précipita vers l'armoire : — Vieux chêne, j'ai besoin que tu me consoles. Raconte-moi encore des histoires de la forêt ! Elle eut envie de se blottir dans l'armoire. Elle ouvrit la porte, un parfum de bois, de fougères, de feuilles mortes, d'herbes et de fleurs l'enveloppa. Elle entra dans la grande forêt, sa maison disparut derrière elle.... Au pied du vieux chêne, plus grand et plus majestueux que jamais, son grand-père lui souriait et lui tendait les bras.