Au temps jadis, il y avait bien loin d'ici, au pays des Mores, un petit prince qui était merveilleusement beau. Il était si beau qu'avant sa naissance on avait prédit que, si jamais le roi, son père, venait à le voir il en perdrait la vue. Le monarque, qui tenait à ses yeux, fit élever son fils au fond d'un vieux château dans un lieu désert ; mais l'enfant atteignait à peine sa dixième année, qu'ennuyé de sa solitude, il trompa la vigilance de ses gardiens et s' échappa. Il fut recueilli par un de ces campénaires qui promènent leur baudet aux quatre coins du monde, en criant : «Marchand de blanc sable !» ou : «A cerises pour du vieux fer !» Ce campénaire avait une dévotion particulière à saint Martin. Il donna au petit prince le nom du patron des francs buveurs et l'emmena partout avec lui. Il voyagea encore quelques années de ce côté, après quoi il fut pris du désir de revenir au pays de la bonne bière et des grandes pintes. Ce n'était point l'affaire du jeune Martin. Le gars trouvait notre ciel trop gris, les gens de chez nous trop rouvelÍmes, je veux dire trop vermeils, et il se dépitait de les voir ricaner à l'aspect de sa figure bronzée. Son père adoptif entrait d'ailleurs plus souvent que par le passé dans les chapelles dédiées à son patron, et, quand il avait récité trop de prières, autrement dit quand il avait bu trop de pintes, il lui arrivait parfois de caresser à coups de fouet les épaules du pauvre petit prince. Cela fit qu' un beau jour, entre chien et loup Martin le planta là devers Cambrai et s'enfuit dans la forêt de Proville. Il marcha jusqu'à nuit close, tant que, rompu de fatigue et mourant de faim, il avisa une maison isolée. Il y cogna, et une jeune fille vint lui ouvrir. «Serait-ce un effet de votre bonté, dit-il poliment, de me loger pour cette nuit ? Je tombe de faim et de lassitude. — Comment vous appelez-vous ? demanda doucement la jeune fille. — Martin, pour vous servir. — Comme cela se trouve ! moi, je m'appelle Martine. — Eh bien ! ma jolie Martine, ne souffrez point qu' un pauvre abandonné passe la nuit au soleil des loups. — Je ne suis point jolie, répondit Martine, mais j' ai bon cœur et je voudrais vous le prouver. Malheureusement, mon père est un ogre et il va revenir tout à l heure.» Le garçonnet fit un pas en arrière. Martine ajouta vivement : «Bah ! entrez toujours. Ma mère est charitable et nous verrons à vous cacher.» A suivre