Originaire du Yémen, la famille d'Ibn Khaldoun émigre d'abord à Séville où elle occupe d'importantes fonctions politiques. Après la chute de Séville (1248), obligée de s'exiler, elle s'établit à Tunis auprès des princes hafsides qui lui confient de hautes responsabilités. C'est dans cette ville, le 27 mai 1332, qu'Ibn Khaldoun voit le jour. Il fut à la fois homme politique, sociologue et historien. Après avoir mené une vie diplomatique mouvementée au service de différents souverains, il décide d'effectuer un retrait et commence à rédiger plusieurs ouvrages, fruits de ses recherches et lectures tout autant que de son expérience personnelle, dont l'œuvre principale est la Muqaddima (Prolégomènes). C'est en 1406, le 17 mars, qu'il meurt au Caire. Une pensée qui nous parle... La pensée d'Ibn Khaldoun, après avoir été longtemps oubliée, réapparaît au XVIIIe siècle dans les milieux intellectuels turcs préoccupés par le déclin de l'Empire ottoman. Au début du XIXe siècle, à la suite de l'expédition en Egypte de Bonaparte, c'est autour de l'Europe, en pleine ascension, de découvrir ce penseur du XIVe siècle. Six siècles après, sa pensée nous parle plus que jamais. Tout d'abord, par rapport à sa modernité scientifique. En effet, Ibn Khaldoun conçoit l'histoire en tant que science ; développe des concepts tels «l'umran» et «l'asabiya» qui semblent provenir non pas du XIVe siècle mais de la sociologie moderne, fondée au XIXe siècle ; pense l'histoire des civilisations et les causes de leurs grandeurs et décadences. «Ibn Khaldoun (...), l'un des premiers théoriciens de l'histoire des civilisations», a également «conçu et formulé une philosophie de l'Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui n'ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays». Elle nous parle également, car elle rappelle à quel point la présence massive des Musulmans en Europe de l'Ouest — depuis la chute de Grenade (Espagne 1492) — découle de cette période «précoloniale», que la pensée d'Ibn Khaldoun a finement analysée. Aussi, au moment où les citoyens de confession musulmane s'interrogent avec force sur la manière de retrouver (ou se réapproprier) une place dans l'histoire, sans pour autant perdre les fondements de leur identité, l'œuvre d'Ibn Khaldoun est probablement incontournable. Elle incarne l'idée qu'il est possible d'être tout à la fois un penseur libre, acteur de son histoire et ce, en restant fidèle aux fondements de son identité. Ibn Khaldoun était musulman (il fut aussi grand cadi malékite d'Egypte) et cette qualité ne l'a point empêché d'analyser à la fois scientifiquement et librement ses sociétés contemporaines. (à suivre...)