La ferveur du foot gagne tout le pays. A quelques heures du coup d'envoi du Mondial, l'attention des Algériens est entièrement polarisée sur cette grande manifestation sportive. Il est vrai que nos concitoyens, grands et petits, ont une bonne culture footballistique. Ils peuvent discourir des heures entières sur les systèmes de jeu, la tactique, la technicité, l'atout physique, le professionnalisme et les grandes écoles mondiales du ballon rond. Dans un instant d'agacement, le sélectionneur national, Vahid Halilhodzic, qui témoigne constamment de son profond respect pour le public algérien, s'est laissé aller à dire : «Il y a quarante millions de sélectionneurs en Algérie !» Elogieux ! Mais c'est regrettable, les Algériens n'ont pas cette passion débordante quand il s'agit d'art, de culture et de savoir. On aurait tant aimé que nos compatriotes aient la même connaissance et la même finesse lorsqu'ils parlent de théâtre, de cinéma, de musique, de littérature, de design, d'architecture ou de photographie. Si on arrive à les intéresser à tout cela, comme ils sont aujourd'hui captivés par le foot, on pourrait dire alors qu'on atteint le fameux objectif de la socialisation culturelle. Le charme du jeu à onze, qui opère à tous les coups, doit nécessairement avoir des similitudes avec l'intime complicité et le bonheur intense éprouvés par les amateurs des belles œuvres artistiques. L'enjeu consiste à déterminer avec exactitude la forme et la nature de ces ressemblances afin de pouvoir imprimer, comme cela est le cas dans les pays développés, cette aura populaire aux activités culturelles et instructives. En effet, une grandiose scène de théâtre, avec ses lumières, ses apparats et ses fans autour, tient quelque chose d'une arène de foot. La forme y est, en tout cas. On pourrait dire autant d'un grand concert de musique. Il ne reste qu'à créer cet engouement spécifique à chaque activité. En plus de la qualité des représentations et de leur fréquence, il y a aussi un énorme effort de communication ciblée à faire dans cette direction. Le sens profond du verbe «socialiser» désigne l'appropriation de quelque chose par le plus grand nombre, faire aimer une somme de principes à une majorité, généraliser des idéaux...En clair, il s'agit de créer une espèce de charme, une inclinaison naturelle, un penchant intime pour les activités culturelles. L'intérêt à tout cela nécessite une motivation réfléchie et une saine «accoutumance». L'idée qui associe la socialisation de la culture à une large diffusion des œuvres et produits artistiques reste, en effet, incomplète et inopérante sans ce préalable de la création du besoin et de la demande. Toute fidélisation du public passe par là. Dans un premier temps, cette délicate mission de «popularisation» incombe aux élites, à travers la société civile, les artistes, les créateurs, les intellectuels, les médias, les établissements culturels, l'école et l'université. Cette œuvre de «conscientisation» initiatique doit, ensuite, trouver des prolongements naturels et des relais de proximité, via le mouvement associatif, la famille et l'environnement social. En guise de justificatif au manque d'intérêt pour la chose culturelle, beaucoup d'analyses superficielles focalisent sur des considérations superflues comme le prix jugé excessif du produit, le manque d'infrastructures ou l'inadaptation des schémas mis en place à cet effet. Le football n'échappe pas, non plus, à toutes ces considérations matérielles, mais cela ne l'a pas empêché de ravir les cœurs et esprits. L'inconséquence réelle réside dans l'absence d'engouement, la faiblesse de la communication, la restriction de l'offre et la qualité «douteuse» des œuvres. C'est à ce niveau qu'il convient d'agir avant de penser à autre chose.