On le constate encore plus, l'islamisme algérien ne fait plus recette en politique. Il est atone et aphone. Mobilise de moins en moins. Bref, il est en échec constant. Constat implacable. Après sa double défaite politique et militaire, il est dans un état de nette fragmentation. Il y a usure du fondamentalisme traditionnel dans le sens où le projet de réislamisation forcée de la société a échoué. Mais la faillite de son offre politique ne signifie pas que l'idée de sécularisation a pour autant gagné du terrain. Bien au contraire. L'Etat algérien n'est plus le seul à définir le religieux au moment où le sacré s'autonomise en même temps qu'un certain essor de la religiosité. Et plutôt que de parler de retour du religieux, ce qui n'aurait pas de sens dans une société où l'islam est culte, culture et identité, il faut évoquer un revivalisme religieux. Pas de nouvel âge religieux mais une visibilité croissante de l'expression de la foi : le religieux se reformule et s'exhibe beaucoup. A la place des mouvements politiques islamistes, un conservatisme religieux de type nouveau imprègne profondément la société. Une sorte de «sainte ignorance», selon la formule de l'islamologue Olivier Roy. La sainte ignorance algérienne, c'est le nouveau mythe du religieux purifié qui se construit en dehors de la sphère culturelle officielle en crise. Un rappel constant à une transcendance religieuse qui impacte nombre d'actes de la vie quotidienne. Ce n'est pas le triptyque spirituel-rituel-culturel fondant par exemple l'islamisme turc, mais le diptyque liturgie-nationalisme religieux. Cet islamo-nationalisme traverse la société et la scène politique, les marquant profondément. Néo-fondamentalisme également visible dans la sphère économique. Dans le formel et l'informel, un islamisme de bazar qui monopolise et régule le marché d'importation de produits alimentaires, de pièces de rechange automobiles, de l'ameublement et de l'électronique grand public. Des bazars à ciel ouvert tels ceux d'El Hamiz, El Eulma ou Bir El Ater, en sont à la fois l'illustration et le condensé. Ventre mou de l'économie algérienne, ces excroissances géantes, animées essentiellement par les nouvelles bourgeoisies urbaines islamistes, sont les vitrines d'une économie de bazar vénale. Ce courant, le plus large de tous, cohabite avec une tendance salafiste atrophiée regroupant des éléments de l'ex-FIS en déshérence. Il coexiste aussi avec un courant modéré mais fragmenté exprimant les idées des Frères musulmans. Cette sensibilité légaliste est représentée dans l'opposition et dans le gouvernement notamment par le MSP, Ennahda et El Islah et, dans la société, par des associations piétistes ou caritatives. Pluriel mais divisé, l'islamisme politique se montre incapable de répondre aux demandes de mieux-être de la population, majoritairement jeune et sans repères. Il ne capte plus le vote protestataire et la question sociale n'est plus à l'ordre du jour de son programme politique. Estimée à l'aune de la culture gouvernementale, la théorie de la «moucharaka», cette expression opportuniste de l'entrisme religieux à l'algérienne, a vite fait de révéler les dérives affairistes des élites islamistes Qu'il soit dans l'opposition ou au gouvernement, l'islamisme politique est donc incapable de récupérer le mouvement de reviviscence religieuse. Celui-ci échappe à tout contrôle institutionnel et ne se reconnaît dans aucune offre religieuse politique. Cet islamisme décrédibilisé, qui a les visages des figures historiques du salafisme, de l'islamisme algérianiste et des Frères musulmans, a vécu. La «sainte ignorance», qui aura alors créé ses propres repères politiques et ses propres marqueurs culturels, aura peut-être demain son propre parti. N. K.