L'art en particulier et la culture en général ont désormais leur submersible à Alger. Dans le coquet Télemly où Le Sous-marin, c'est son nom, a pris ses quartiers dans un local ayant appartenu naguère au ministère de l'Education et à l'ancien Pags communiste. Pour son inauguration, et en guise de cerise artistique sur le gâteau culturel, le Sous-marin a démarré avec des «moustaches». C'est-à-dire a vu déjà grand, avec le lancement de son café littéraire qui a accueilli à l'occasion de l'art graphique, du design et de la poésie populaire. Avec, en guest star, El Moustach, graphiste et designer sarcastique qui croque les travers de la société algérienne et sévit notamment, avec l'acide de l'ironie, sur les réseaux sociaux. Graphiste, designer et néanmoins artiste de talent, El Moustach est en réalité un lanceur d'alerte en traits et en bulles ! Espace d'aridité culturelle, Alger en avait bien besoin. Des sous-marins culturels de ce type, on en redemande encore et encore car Alger, espace d'aridité culturelle coincé entre le bleu du ciel et de la mer, étouffe. Pas seulement des effets nocifs du dioxyde de carbone, mais aussi de la désertification culturelle dans une ville qui souffre par ailleurs du manque cruel d'espace de respiration conviviale. Toutefois, et fort heureusement d'ailleurs, il y a de temps à autre des choses réjouissantes comme ce Sous-marin et des moudjahidine de l'art, de la culture et de la convivialité, tel Farés Kader Affak et Younes Mérabet, gens de cinéma et militants progressistes, qui résistent à la sinistrose ambiante. Et ils le font d'autant mieux en installant dans la ville des espaces culturels. A l'image par ailleurs de Picturies animé par trois jeunes Algérois, rue Didouche Mourad. En fait, un atelier d'exposition acheté par le milliardaire Issad Rebrab. De même que La Baignoire, un autre espace d'exposition géré non loin du Lycée Emir Abdelkader, à Bab El Oued, par l'auteur du sublime Le Cri. Peinture romanesque assez sombre d'un Alger en décrépitude architecturale et en décadence culturelle où Samir Toumi semble avoir perdu son latin et son moral. Et il y a désormais Le Sous-marin du Télemly. Dans la rue Lafayette, cette pente en escalier arborés, une éblouissante coulée de lumières qui permet de rejoindre le Boulevard Mohamed V, ex-Camille Saint-Saëns, en traversant une partie de la rue Daguerre à partir du boulevard Krim Belkacem, anciennement Télemly. Ah le nom de Télemly pris à tort pour un toponyme colonial pour être injustement débaptisé ! Et quoi de mieux donc comme lieu pour installer ce bathysphère de la culture ! Télemly, nom typiquement algérien en fait, dérivé du berbère dans lequel on reconnaît le premier terme «tala», la source, la fontaine. Quant au second élément «mely», il provient soit de «amalu», l'ombre ou le versant ombragé, soit de «umlil», le blanc ou bien «tumlilt», l'argile ou le kaolin. D'où le nom final de Télemly qui signifierait «la source ombragée» ou bien «la source de kaolin». Et déjà que le Sous-marin est dans son élément naturel : l'eau désormais souterraine. Installé qu'il est, rue Lafayette qui n'a pas été débaptisée depuis l'Indépendance, au flanc du pittoresque immeuble éponyme, édifice de 16 étages en courbure, construit en 1954 par l'architecte André Cazalet. Ce Sous-marin est d'abord un café littéraire voué à la découverte artistique. Un zinc culturel thématique. Un espace littéraire. Un endroit de rencontres et de débats, dans un vaste local mis gracieusement à disposition par le MDS qui est aussi un parti de militants pour la culture. Au final, «un vecteur de l'invention et de l'expérimentation», selon la formule de Farés Kader Affak. Un «lieu d'art et de culture, collaboratif et expérimental, alternatif et indépendant» que feront notamment vivre des animations et des ateliers dans un café de 60 places, adossé à un hall d'exposition de 60 m2 et une salle pour l'image et la musique. Le Sous-marin culturel de Farés et de son pote Younes est infiniment le bienvenu dans un quartier conçu à l'origine pour la résidence paisible et la promenade bucolique, à travers une longue venelle qui est aussi un belvédère surplombant la mer. Et il est déjà un espace interactif et collaboratif. N'est-ce pas ses animateurs qui ont cette volonté de «bâtir une passerelle avec le voisinage pour le faire participer au succès de l'expérience», en se basant sur «les possibilités de dynamique» avec le tissu associatif local et en particulier avec les étudiants de l'école des Beaux-arts et de la Faculté centrale, ainsi qu'avec les lycéens d'Oum El Massakine, l'ancien bahut Saint-Elisabeth ? Gageons-donc que Le Sous-marin sera un lieu plaisant et surprenant, intergénérationnel et ouvert aux quatre vents culturels. Un lieu de promotion de la culture populaire, avec des rencontres autour d'une personnalité culturelle, mais non sans cette inévitable promotion des noms de la littérature algérienne et universelle. Pour vous convaincre encore de cette volonté d'assurer le bien-être artistique et le mieux-être culturel, suivez de votre mieux le rêve de Farés et de son copain Younes : week-ends d'évasion littéraire sur une thématique et, chaque mois, des concerts-rencontres autour de la guitare contemporaine, des formes de théâtre ludique, des présentations de revues, des lectures littéraires, des ateliers de performances artistiques, des expositions. Bref, une certaine idée du partage culturel citoyen. De la poésie, de la magie, du plaisir en perspective. Autour des effluves d'un arabica de bon cru. Eh, merci les gars et vogue paisiblement le Sous-marin ! N. K.