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Kirghizistan, des menaces sur la stabilité de l'Asie centrale
Miné par les clivages ethniques
Publié dans La Tribune le 27 - 07 - 2010

En avril 2010, le mouvement populaire qui avait pris naissance à Talas, dans le nord, quelques jours plus tôt, s'était propagé à Bichkek, la capitale, contraignant le président Kurmanbek Bakiev à fuir le pays. Les confrontations entre les forces de l'ordre et des manifestants excédés par la hausse des prix de l'énergie, et par la corruption endémique, avaient fait 84 morts, et des milliers de blessés. A la mi-mai, retranchés dans leur fief de Djalalabad dans le sud, quelques centaines de partisans du président déchu avaient réussi pour quelques heures à prendre le contrôle de l'administration locale avant d'être délogés par des contre-manifestants. Ces derniers, en majorité ouzbeks, étaient soutenus par M. Kadirjan Batirov, un puissant homme d'affaires de la région, ancien parlementaire et propriétaire de l'université de l'amitié du peuple à Djalalabad. Les émeutiers avaient ensuite saccagé et brûlé les maisons de la famille Bakiev. Les échauffourées avaient fait deux morts et de nombreux blessés. Le 10 juin, Och, la deuxième ville du pays, devenait le théâtre de pogroms anti-Ouzbeks. Il aura suffi d'un incident mineur, une simple bagarre entre groupes de jeunes, pour que les rivalités politiques se transforment en un conflit interethnique, faisant 2 000 morts (chiffres non officiels) et provoquant la fuite de 300 000 Ouzbeks, dont 85 000 seraient réfugiés en Ouzbékistan. Le renversement du président Bakiev paraît être le point de rupture du fragile équilibre qui existait jusqu'alors entre les communautés kirghize et ouzbeke au sud du pays.Il n'est pas certain que le retour des réfugiés et les résultats du référendum constitutionnel du 27 juin suffisent à apaiser les tensions. Les récits divergents des événements illustrent la profondeur du clivage entre les deux communautés. Les déclarations des autorités kirghizes apparaissent confuses et contradictoires, celles-ci ne reconnaissant que 275 morts, et accusant tantôt l'entourage de l'ancien président Bakiev, tantôt des mercenaires étrangers à la solde de l'ancien régime, d'être à l'origine des exactions. La version officielle définitive, présentée par le chef des services de sécurité kirghizes, M. Keneshbeck Dushebaev maintient que M. Maxim Bakiev, le fils de l'ancien président (arrêté par la police au Royaume-Uni le 13 juin), a eu recours aux services d'activistes associés au mouvement taliban et à Al-Qaida, le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (IMU), dans le but de déstabiliser le gouvernement provisoire. Dans la population kirghize, de nombreuses voix rappellent que les Ouzbeks vivent bien au Kirghizistan, y sont économiquement prospères ; bref, qu'ils n'auraient aucune raison de se plaindre : les deux peuples sont frères et les heures sombres appartiennent au passé. Les Ouzbeks ont une tout autre version des faits. Ils rejettent les accusations selon lesquelles des extrémistes ouzbeks seraient responsables des massacres et se perçoivent comme les premières victimes des violences du mois de juin. Revenus dans leurs quartiers de Och ou dans leurs villages des alentours, ils demeurent traumatisés. Ils se sentent victimes non seulement des bandes qui les ont attaqués, mais aussi de la police et des militaires kirghizes qui se sont joint aux émeutiers et ont ouvert le feu. Pour eux, il ne saurait être question de pardon tant que justice ne sera pas rendue.Les organisations internationales ainsi que les médias russes et occidentaux corroborent cette version en même temps qu'ils font état de nouvelles persécutions à l'encontre les Ouzbeks, mais aussi des militants et journalistes qui enquêtent sur le rôle de l'armée. Accusé d'«incitation aux violences de masse», M. Azimzhan Askarov, un défenseur des droits humains de Bazar-Korgon a été arrêté et battu dans les locaux de la police. Une militante de Bichkek, Mme Tolekan Ismailova, a dû fuir le pays suite à des menaces de mort. La contradiction des récits des événements de juin, l'attitude «anti-ouzbek» de la police kirghize et le sentiment d'injustice ressenti par la population ouzbek sont autant d'éléments de nature à faire que le sud du Kirghizistan demeure dans les mois à venir une zone de turbulence.Plusieurs observateurs ont invoqué «l'héritage soviétique» ou une «histoire de violences» pour tenter d'expliquer un tel embrasement. Il est vrai que, en juin 1990, la distribution de terres à des Ouzbeks dans la région d'Och déclencha des émeutes, faisant plusieurs centaines de morts (officiellement, 300) à Och et Uzgen. Les organisations internationales avaient alors alerté l'opinion et exprimé leurs inquiétudes quant à l'avenir de la vallée de Ferghana, l'une des régions les plus fertiles (mais aussi les plus polluées) d'Asie centrale. La désintégration de l'Union soviétique, l'émergence de frontières internationales, l'explosion démographique et la compétition pour les terres arables et l'accès à l'eau, étaient apparues comme autant de facteurs
d'exacerbation des tensions.Une autre analyse est cependant possible. Durant vingt ans, la région n'a connu aucune explosion de violence. En l'absence d'un arbitre extérieur (le Kremlin), le consensus post-soviétique entre les différents groupes ethniques du sud du pays était basé sur la division symbolique de l'espace public : les Kirghizes tenaient l'administration tandis que les Ouzbeks possédaient les terres agricoles et faisaient fructifier le commerce. Les évolutions socioéconomiques des deux dernières décennies ont rendu cette répartition intenable. Paupérisés par la fermeture des usines soviétiques et le manque de subventions publiques, les Kirghizes n'ont pas pu se maintenir dans les villages de montagnes ou les villes industrielles de la vallée. Dans l'espoir de profiter des fruits d'une économie dominée par les Ouzbeks, ils ont migré vers Och ou Djalalabad. Ainsi, les relations entre les deux communautés n'ont-elles cessé de se détériorer. Le président Askar Akayev, au pouvoir de 1990 à 2005 et originaire du nord, avait œuvré à maintenir l'équilibre entre les populations kirghizes et ouzbeks du sud. Lorsque M. Bakiev est entré en fonction, il a choisi de favoriser les Kirghizes, ravivant ainsi les ressentiments entre les deux communautés. Les Ouzbeks aussi ont leurs revendications : M. Kadirjan Batyrov réclame par exemple la reconnaissance de l'ouzbek comme langue officielle du Kirghizistan. En mai 2010, ses partisans s'étaient dans un premier temps ralliés au gouvernement intérimaire de Bichkek. Toutefois, lorsque les violences interethniques ont éclaté et que la police et l'armée ont ouvert le feu sur la foule et les quartiers ouzbeks, les autorités de Bichkek ne sont pas venues à leur secours. Ceci indique, d'une part, que le gouvernement intérimaire n'a aucun contrôle sur ses propres forces armées, et, d'autre part, que la donne politique a changé. Bichkek a maintenu la date du référendum constitutionnel alors qu'à Och les tensions demeuraient très vives, faisant ainsi montre d'une totale indifférence à l'endroit des victimes. A sa décharge, il est certain que le gouvernement dispose d'une très faible marge de manœuvre. Le pays est en faillite et les événements de 2005 et de 2010 ont démontré que quelques milliers de manifestants pouvaient suffire à renverser un régime sans éveiller l'émoi d'aucune puissance étrangère.Au lendemain des émeutes, Mme Roza Otunbayeva, qui dirige actuellement le gouvernement intérimaire, a appelé les deux têtes de l'exécutif russe, le président Dimitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine, afin de leur demander une aide militaire. La Russie qui, avant les événements, avait laissé entendre qu'elle envisageait l'implantation d'une base militaire à Och, a rejeté l'éventualité d'une intervention directe au Kirghizistan. Moscou garde probablement un mauvais souvenir de sa dernière intervention dans la région dans les années 1990. Les troupes russes étaient à l'époque intervenues pour calmer des tensions de même nature et toutes les parties en présence s'étaient immédiatement retournées contre le vieux «centre» l'accusant de nourrir la discorde pour justifier une action militaire. Aujourd'hui, toute ingérence étrangère à l'invitation d'un gouvernement instable exposerait politiquement tout Etat tiers en cas d'un nouveau renversement de régime. Après les violences perpétrées le 7 avril à Bichkek, l'Organisation des nations unies (ONU), l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et plusieurs pays, dont les Etats-Unis, ont appelé à la formation d'une mission internationale d'enquête sur les violences. La mise en œuvre d'un tel projet exige cependant une réelle volonté, car enquêter sur le comportement de la police et de l'armée kirghizes pourrait avoir un prix politique que la communauté internationale n'est peut-être pas prête à payer. L'OSCE a finalement réussi à convaincre Bichkek d'accepter le déploiement d'une cinquantaine de policiers dans le sud du Kirghizistan alors même que la répression anti-ouzbeks s'amplifie, dans ce que la Haute commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, qualifie de «vrai climat de terreur».
Le Kirghizistan se refuse à admettre le caractère ethnique des événements et il craint de voir ternir la bonne image qu'il avait su cultiver depuis son indépendance, celle d'une démocratie libérale digne des largesses d'une aide économique internationale dont il est très dépendant. L'Ouzbékistan est le seul pays en capacité d'intervenir. Il dispose d'une puissance militaire de 100 000 soldats, contre 12 000 au Kirghizistan, et possède des bases tout le long de la frontière. Tachkent aurait facilement pu user de l'argument ethnique pour justifier une intervention. Le président ouzbek a cependant déclaré que son pays n'interviendrait pas, ajoutant que le conflit n'était pas interethnique mais le résultat d'un complot ourdi par une puissance extérieure. L'Ouzbékistan qui avait dans un premier temps reçu entre 80 000 et 100 000 réfugiés, s'était assuré que les personnes déplacées demeureraient cantonnées dans les camps provisoires et les a renvoyées sitôt la fin des violences.Parmi les facteurs d'explication d'une telle prudence, le premier est certainement l'idéologie d'union nationale à laquelle le pays a choisi de se rallier à la chute de l'Union soviétique. N'ayant pas revendiqué lui-même d'identité ethnique, il lui était difficile d'user de tels critères pour intervenir à Och. Le deuxième tient aux origines de ses classes dirigeantes. Issues pour la plupart de Samarkand et de Tachkent, elles nourrissent une profonde aversion pour les groupes politiques de la vallée de Ferghana et se méfient depuis de longues années des groupes ouzbeks du sud Kirghizistan qu'elles suspectent de soutenir des groupes islamistes radicaux. A la fin de la guerre froide, lors du démembrement du système socialiste, les revendications nationalistes ont provoqué des troubles dans le Caucase et les Balkans. Dans le Caucase, le nationalisme fut une force révolutionnaire et l'alliance entre l'intelligentsia dissidente et la mobilisation populaire réussit à écarter les anciens dirigeants de l'ère soviétique. En ex-Yougoslavie au contraire, c'est la nomenklatura locale qui se revendiqua du nationalisme pour légitimer sa domination politique. Dans les deux cas, ces évolutions engendrèrent des guerres qui causèrent des centaines de milliers de morts et jetèrent sur les routes des millions de réfugiés. En Asie centrale, en dépit de conflits interethniques, le nationalisme demeura marginal car il fut vite étouffé par les dirigeants soviétiques, toujours au pouvoir, une classe dirigeante vieillissante, dont la succession demeure incertaine. Si les événements de Och devaient éveiller le nationalisme ouzbek, on pourrait assister à la remise en question de plusieurs frontières. L'ethnie ouzbek qui constitue la moitié de la population de la région est aussi présente dans plusieurs pays voisins. Le nationalisme ouzbek pourrait trouver dans l'islamisme un allié objectif, comme c'est le cas avec les talibans en Afghanistan voisin. A l'heure où les Etats-Unis évoquent un retrait prochain d'Afghanistan, l'instabilité en Asie centrale devrait préoccuper la communauté internationale.
V. C.
In le Monde diplomatique de juillet 2010


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