Ecouter ou lire M. Nacer Mehal, notre ministre de la Communication, journaliste de formation et de vocation, amène à l'esprit ce dicton arabe selon lequel «l'œil observe alors que le bras est court». Mais, assurément, si ça ne tenait qu'à lui, le PAA - le paysage audiovisuel algérien - serait pluriel, en accord avec son temps, ouvert sur le monde et animé par des professionnels. A entendre notre ancien confrère, on sent que la chaîne qatarie El Jazeera est une vertèbre de dinosaure restée en travers de sa gorge. D'autant plus insupportable que l'Etat de son pays est injustement accusé de jouer les mercenaires honteux dans une Libye secouée par une crise meurtrière de kadhafisme aiguë ! Il y a donc le professionnel d'hier et le ministre d'aujourd'hui. La différence ? Le principe de réalité et l'écart entre vision propre et dessein politique supérieur. Alors, lorsqu'il s'exprime sur l'ouverture de l'audiovisuel au privé, le ministre est dans son rôle. Celui de traducteur d'une volonté politique, pas la sienne, bien sûr, qui veut que «la question ne soit pas encore à l'ordre du jour, sans qu'elle soit exclue à l'avenir». Dans cette phrase, pesée au trébuchet de la vigilance, l'adverbe de temps «encore» questionne car il marque la persistance d'une action ou d'un état au moment considéré. Et la vérité du moment, c'est qu'il n'y aura encore et encore que l'Unique. L'«Orpheline», comme l'appelle une opinion algérienne sarcastique mais lucide. La RTA des années de plomb socialistes, devenue l'ENTV des temps bénis des médiocrates, aujourd'hui baptisée EPTV, une entreprise publique «privatisée», au service d'une communication institutionnelle «absolument inexistante ou très peu performante et pas du tout adaptée au contexte actuel». Dans la bouche du ministre, l'assertion vaut euphémisme car l'EPTV est «paralysée par des blocages anormaux qui ont fait des dégâts»… Le diagnostic est posé mais le remède, nécessairement de cheval, n'est pas pour aujourd'hui. Non plus, pour demain. Comme le dit le ministre, «la question n'est pas exclue». Ça, ça ne mange pas de pain ! Que «l'ouverture» «exige une préparation, un cahier des charges, un cadre juridique et (…) une institution de contrôle», quoi de plus normal ! Mais le problème, et c'en est vraiment un, c'est que la question, à l'instar de la liberté de créer des partis et de manifester, est renvoyée à un calendrier lunaire, changeant comme la volonté et l'humeur d'un régime profondément imprégné par le monothéisme télévisuel. L'unicité télévisuelle est une incroyable incongruité au moment où les Algériens vivent l'ouverture sur le monde comme une télé-schizophrénie salutaire. Une schizophrénie qui exprime une perte de contact avec les réalités algériennes que la RTA-ENTV-EPTV occulte, édulcore, travestit ou déforme, pas toujours par défaut de compétence. Le régime, lui, vit une schizophrénie d'un autre genre. A l'heure où l'Algérie est constellée d'antennes tels de gigantesques couscoussiers orientés est, ouest, nord, sud, l'assiette parabolique du régime est autocentrée sur la certitude que son propre salut médiatique viendrait toujours (?) d'une offre télévisuelle unique, mais clonée à l'infini. Qu'importe si l'Algérie est le seul pays au monde avec le petit royaume du Vanuatu à ne disposer que d'une chaîne de télé ! Peu lui en chaut aussi si El Jazeera taille des croupières médiatiques aux plus grands networks planétaires ! Et devient pour l'Algérie un danger subversif. Une menace sérieuse pour ses intérêts diplomatiques au Maghreb. Peu lui importe encore si les voisins tunisien et marocain ont une offre télévisuelle pluraliste et font en Algérie l'opinion des CSP+ et des ménagères de plus de 50 ans ! La monogamie télévisuelle algérienne est, au mieux, une curiosité de musée. Au pire, une «bizarroïderie» difficile à expliquer. Un paysage télévisuel pluraliste, ça s'organise à coups de lois et de cahiers des charges. Le souverainisme télévisuel, ça existe également. On est maître chez soi quand on a des idées et de l'argent et qu'on s'arme du droit. Le chef de l'Etat le sait bien lui qui connaît les tenants et les aboutissants du projet «Darna», conçu autour d'un influent homme d'affaires français originaire du Sud-Ouest algérien. Il connaît parfaitement les raisons de l'échec d'un projet aussi ambitieux. S'il avait abouti, ce projet aurait fait oublier au pays la tartarinade que fut Khalifa-TV et, surtout, doté l'Algérie d'une puissante force de frappe médiatique et diplomatique face à El Jazeera, Al Arabiya, Médi1-TV, Nessma et autres BBC ou France24. Mais on a la télé qu'on mérite. N. K.