Entretien réalisé par Wafia Sifouane La Tribune : Quels sont les principaux genres littéraires que vous éditez ? Marcelin Vounda Etoa : Nous éditons les auteurs locaux ainsi que ceux d'autres pays d'Afrique noire francophone comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la République démocratique du Congo. Notre action est à la fois locale et sous-régionale. Nous éditons entre autres des livres pour jeunes, des romans et des pièces de théâtre. Pour les livres illustrés, nous optons pour les artistes locaux. L'édition en Afrique a du mal à décoller, à votre avis à quoi cela est-il dû ? Les problèmes se posent pour toute la chaîne de l'édition, à commencer par les manuscrits. Il y a de la précipitation chez les jeunes qui veulent vite percer dans le domaine de la littérature. L'autre point à souligner est qu'il y a très peu d'éditeurs formés, parce qu'en réalité éditer ne veut pas dire donner seulement la forme à un ouvrage. Il faut lire le texte, le polir et le corriger, un travail dans lequel excellent les Anglo-Saxons. Chez ces derniers, il y a le editing, qui englobe la lecture et la correction du texte, et le publishing, qui signifie le travail d'impression. Par contre, les éditeurs francophones essayent de réunir les deux pôles à la fois et les fusionner ; ce qui a tendance à jouer en défaveur de la qualité des ouvrages. Pour conclure, il y a en fait très peu d'éditeurs capables de juger un livre. Il est vrai qu'aujourd'hui il est plus facile de mettre en page son propre ouvrage, ce qui a tendance à réduire le travail de l'éditeur. Que pensez-vous de cela ? Beaucoup de jeunes publient chez nous à compte d'auteur, tout en négligeant le travail de l'éditeur. Avec l'introduction des nouvelles technologies, ils arrivent à donner eux-mêmes forme à leur ouvrage, oubliant ainsi qu'on est souvent mauvais critique de ses propres œuvres. L'auteur a vraiment besoin d'un regard extérieur. Comment se porte le marché du livre en Afrique ? Le marché du livre en Afrique est un secteur qui demande beaucoup de patience. Déjà, au niveau de l'imprimerie, nous ne sommes pas tout à fait à la pointe de la technologie ; ce qui engendre des livres de qualité moyenne. Et, comme le papier est taxé au niveau de la douane, l'imprimeur facture sa prestation en tenant compte des taxes payées en amont. Celles-ci se répercutent donc sur le prix du livre, qui, à la fin de la chaîne, se vend un peu cher. Je trouve cela vraiment dommage, car, en Afrique, nous avons un pouvoir d'achat réduit.Il y a un autre segment que j'aimerais mettre en exergue, c'est le marché du livre scolaire, qui est en Afrique accaparé par les grandes maisons d'éditions occidentales (le groupe Hachette), et cela au détriment des éditeurs locaux qui sont ainsi réduits au statut de petites entreprises. Qu'en est-il de la diffusion ? D'un pays à un autre la diffusion reste très difficile, car elle dépend des infrastructures disponibles. Il y a des conventions internationales qui exigent que les livres destinés à l'exportation soient transportés à un tarif réduit, mais aucune compagnie aérienne ne s'y résout. Pour la plupart, elles préfèrent exporter des tomates que des livres, parce que plus rentables. Au Cameroun, est ce que les éditeurs sont soutenus par l'Etat, à travers des aides budgétaires ou autres mécanismes ? Il n'y a pas beaucoup de subventions dans le domaine du livre en Afrique. Nous avons un compte d'affectation spéciale qui aide les auteurs. Dans les faits, les auteurs eux-mêmes se rapprochent du ministère de l'Education, qui leur donne de l'argent pour se faire éditer. Il appartient ensuite à chacun d'eux de choisir son éditeur. Mais la plupart des auteurs qui reçoivent une seule subvention en profitent pour se faire éditer plusieurs manuscrits ; et c'est là que la qualité baisse.Les éditeurs sont aussi regroupés en associations, et ne peuvent se distinguer sans interactions avec des confrères étrangers pour bien faire les choses. En ce moment, nous sommes en train d'essayer de convaincre le gouvernement pour qu'il élabore et mette en place une politique du livre claire. Je citerai pour l'exemple le livre scolaire ; car on doit préserver les intérêts des éditeurs locaux. Et quelle est votre démarche pour financer le fonds de roulement de votre maison d'édition ? Nous avons une démarche particulière. Nous sommes des gens de la société civile qui ont pris la culture comme un socle pour bâtir des Etats. Nous savions dès le départ que le retour de l'investissement serait très long. En conséquence, nous avons développé d'autres sources de revenus. Ainsi, nous avons opté pour l'immobilier. Nous louons les appartements d'un immeuble dont nous occupons la moitié, ce qui nous rapporte un peu d'argent. Cela permet de résister à l'échec d'un livre. Par ailleurs, Il y a des éditeurs qui optent pour d'autres techniques en développant des collections intéressantes ; c'est le cas d'un éditeur ivoirien qui y a vraiment réussi. S'agissant de la promotion, quelles sont les démarches des éditions Clé ? Nous essayons d'utiliser tous les outils que nous offrent les technologies modernes comme Internet et les réseaux de notre association. Nous faisons également de la coédition, car, grâce à elle, nous n'avons plus besoin de nous déplacer pour promouvoir un livre. La promotion coûte cher et, quand on a un petit budget, investir dans la promotion donne l'impression d'aller directement à la ruine. Pour l'instant, nous ne faisons pas une promotion agressive. Il y a aussi la presse qui joue un grand rôle : elle nous assure une promotion réelle. La coédition est aussi un excellent moyen pour se faire connaître. Avez-vous tenté l'expérience avec des éditeurs algériens ? Nous avons tenté une expérience, durant le Festival panafricain (Panaf) d'Alger, avec les éditions Chihab, qui ont racheté deux de nos livres, dans la dynamique de l'événement. Aujourd'hui, nous avons approché certains éditeurs algériens, comme les éditions Apic. Mais il faut vraiment envisager la chose des deux côtés. S'il est vrai que les Algériens s'intéressent à des auteurs africains, il faut aussi que les Africains, en retour, découvrent des auteurs algériens. Pour ce faire, il faudra penser à éditer des classiques, comme les œuvres de Dib, Boudjedra… Mais la majorité des grands auteurs algériens sont édités en France, ce qui complique un peu la procédure de rachat des droits. Les éditeurs français jugent le marché africain comme inintéressant. Ils éditent ainsi des auteurs africains, dont les œuvres restent méconnues chez nous. Il y a même certains qui nous regardent avec beaucoup de condescendance. Personnellement, j'en ai fait l'expérience, quand une auteure camerounaise, Léonora Miano, a obtenu le prix Goncourt des lycéens. Lorsque j'ai voulu intégrer son ouvrage dans le programme scolaire (au Cameroun c'est l'éditeur qui propose des livres), elle m'a orienté vers son éditeur, Plon, lequel m'a dirigé vers les éditions Pocket, qui font des livres moins chers. J'ai écrit à ces dernières, en vain. Devant mon insistance, Pocket m'a opposé une fin de non-recevoir, sauf à racheter ses propres stocks. Donc, c'est vraiment un cercle fermé. Il nous est carrément impossible de racheter en France les droits d'auteurs issus de nos contrées. Les enjeux sont multiples ; car, lorsque un Africain est édité dans ce pays, il en tire une certaine fierté qui explique son refus de négocier avec son éditeur. Y a-t-il une solution ? Les solutions ne peuvent être qu'individuelles. Il y a des auteurs qui ont été sensibilisés à ce problème. Ils ont publié certaines œuvres au Cameroun. Nous n'avons pas, hélas, les moyens de les promouvoir comme le font nos concurrents éditeurs français. Il est dommage de constater cela car, au final, nous n'avons pas les mêmes intérêts. Concernant votre visite au 16ème Sila, que pensez-vous de cette manifestation ? C'est la première fois que je visite ce salon, que l'on m'a décrit comme le plus grand salon du livre en Afrique. Il est vraiment loin de l'être. Cependant, en Algérie, j'ai remarqué que les gens sont très curieux de découvrir les ouvrages africains. Je suis venu avec un petit carton de livre, et je le regrette fort, car j'ai écoulé mon petit stock dès le premier jour.