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Egypte : coup d'Etat, acte II
Publié dans La Tribune le 10 - 07 - 2013


Par Tariq Ramadane
Depuis près de deux ans, on me questionnait sur les raisons de mon refus de me rendre en Egypte dont j'ai été banni depuis 18 ans. Je répétais inlassablement que les informations croisées qui étaient en ma possession (et que me confirmaient même des officiels suisses et européens) mettaient en évidence le fait que l'armée égyptienne contrôlait la situation et n'avait, dans les faits, jamais disparu de la scène politique.
Je n'ai jamais partagé l'euphorie «révolutionnaire» générale, ni cru que ce qui advenait en Egypte, ni même en Tunisie, était le fruit d'un bouleversement historique soudain. Les peuples étaient maltraités - subissaient la dictature et la crise sociale- et ils se sont soulevés pour la dignité, la justice sociale et la liberté. Il faut saluer ce réveil, cette «révolution intellectuelle», et le courage des peuples. Cela ne peut néanmoins être accompagné, ou justifié, par une lecture naïve et simpliste des faits et des données des enjeux politiques, géostratégiques et économiques. Il y a près de trois ans, dans un livre puis une série d'articles, j'alertais mes lecteurs sur un certain nombre de faits troublants et de considérations géostratégiques et économiques très souvent absents des analyses politiques et médiatiques, lesquels apportaient quelques nuances à l'euphorie accompagnant le «printemps arabe».
L'armée égyptienne n'est pas revenue dans le jeu politique, elle ne l'a jamais quitté. La chute de Moubarak fut un premier «coup d'Etat» militaire interne qui a permis à une nouvelle génération de militaires de se positionner de nouvelle façon sur l'échiquier politique, derrière l'écran d'un gouvernement civil. Dans un article du 29 juin 2012, je rappelais les propos du Commandement armé affirmant que les élections présidentielles étaient temporaires, pour une période de 6 mois à un an (le titre de l'article explicitait la prémonition : «Une élection pour rien ?»).
L'administration américaine a suivi l'ensemble du processus : l'allié objectif de l'administration US en Egypte est clairement l'armée et ce depuis plus de cinquante ans, et non pas les Frères musulmans. Les révélations se multiplient désormais (International Herald Tribune du 5 juillet, Le Monde du 6 juillet 2013) : la décision de renverser Muhammad Morsi a été prise bien avant le 30 juin et une conversation entre le président Morsi et le général al-Sissi révèle que ce dernier avait planifié le renversement et l'emprisonnement du président Morsi des semaines avant le soulèvement populaire qui allait justifier le coup d'Etat militaire «au nom de la volonté du peuple». Tiens donc : orchestrer des manifestations de plusieurs millions d'individus pour faire croire que l'Armée se soucie essentiellement du peuple ! Coup d'Etat, acte second.
Comment analyser la réaction immédiate de l'administration américaine qui justement ne parle pas de «Coup d'Etat» (si elle le reconnaissait, elle ne pourrait soutenir financièrement le nouveau régime) ? Etrange situation d'une administration qui, soi-disant surprise, dit exactement ce qu'il faut pour se donner les moyens politiques, économiques et légaux de soutenir les protagonistes du renversement. Les administrations européennes vont leur emboiter le pas : l'armée aurait simplement suivi le peuple et répondu, «démocratiquement», à son appel. La belle affaire! Les coupures d'électricité que subissait le peuple depuis des mois, les pénuries d'essence et de gaz cessent étonnamment après la destitution. Tout se passe comme si on avait voulu priver le peuple des biens de première nécessité pour le pousser à se mobiliser. Amnesty International a même relevé l'étrange attitude des forces de l'ordre égyptiennes qui n'intervenaient pas dans certaines manifestations (alors qu'elles étaient à proximité et observaient les faits) et laissaient la violence empirer, comme à dessein. L'armée va ensuite accompagner son intervention d'une opération de communication de grande envergure : c'est elle qui transmet aux agences de presse internationales les images prises de ses hélicoptères, montrant la population égyptienne criant et célébrant son rôle salvateur, comme nous en informe, entre autres, Le Monde.
Nous serions donc dans la poursuite du «printemps arabe» et de la «révolution» égyptienne… accompagnée et protégée par l'armée du général Abdul Fatah Al-Sissi. Formé par l'armée américaine, celui-ci n'a jamais cessé d'être en lien avec l'administration US. Le International Herald Tribune (6-7 juillet 2013) nous révèle d'ailleurs que celui-ci est bien connu des Américains mais également du gouvernement israélien avec lequel lui et son cabinet, nous dit-on, continuaient «de communiquer et de coordonner» leurs actions alors même que Morsi était en charge de la présidence. Al-Sissi travaillait auparavant dans les services de renseignement militaire au Nord du Sinaï et était le contact des deux administrations américaine et israélienne. Les Israéliens, comme les Américains, ne pouvaient voir que d'un bon œil le déroulement des événements en Egypte. Voire davantage donc.
Ce qui surprend, a posteriori, c'est la naïveté, le manque d'expérience et la nature des erreurs de Muhammad Morsi, de ses alliés et de l'organisation des Frères musulmans. Depuis 3 ans, je n'ai eu de cesse de faire la critique de la pensée, de l'action et de la stratégie du parti «Justice et Liberté» autant que des leaders des Frères musulmans (par ailleurs depuis 25 ans, mes analyses et commentaires, en tant qu'observateur, ont été, et demeurent, sévères). En sus, le piège paraissait si évident et l'ensemble de mes écrits (livre et articles de mars à décembre 2012) relevait ces graves manquements. On ne peut reprocher au président Morsi de ne pas avoir essayé d'établir des relations avec l'opposition et de les inviter soit au gouvernement soit à un large dialogue national : ses initiatives ont toutes été rejetées et l'opposition n'a eu de cesse de s'opposer à toutes ses initiatives. Il demeure que la critique de sa gestion des affaires de l'Etat, de sa relation exclusiviste avec la direction de l'organisation des Frères musulmans, de sa surdité envers le peuple et certains de ses conseillers, que ses décisions intempestives (dont il a admis que certaines étaient des erreurs après coup) doivent faire l'objet d'une critique sans concession. Plus fondamentalement, c'est l'absence de vision politique et de gestion des priorités quant à la politique économique, à la lutte contre la corruption et la pauvreté, à la gestion des affaires sociales et éducatives, qui fut le plus grave manquement. Les exigences du Fonds monétaire international (et les atermoiements de ce dernier de la même façon) mettaient le pouvoir dans une situation intenable : le gouvernement de Morsi pariait naïvement sur un soutien de cette institution. Ce n'est pourtant qu'aujourd'hui, une fois le président Morsi parti, que le FMI semble vouloir débloquer la situation (seulement trois jours après la chute du gouvernement démocratiquement élu).
On reste effectivement atterré par la naïveté du Président, de son gouvernement et des Frères musulmans. Après plus de soixante ans d'opposition et de répression de l'armée à l'encontre des membres de la Confrérie (avec la bénédiction directe et indirecte de l'administration US et de l'Occident), comment ceux-ci ont-ils pu penser que ceux-là allaient soutenir leur accession au pouvoir, au nom de la démocratie ? N'ont-ils rien retenu de leur histoire, de l'Algérie et de la Palestine plus récemment ? J'ai été, et je demeure critique, quant au contenu (superficiel) du programme et à la stratégie politique discutable du président Morsi et des Frères musulmans (compromis avec l'armée et l'administration américaine, compromission sur le plan économique et jusqu'à la question palestinienne, etc.) mais c'est bien cette inconscience politique qui suscite la stupeur. Entendre le président Morsi dire au général al-Sissi, dix jours avant son renversement, qu'il pourrait, lui le Président, le révoquer (puisqu'il l'a nommé) et que les Américains ne «permettront pas ce coup d'Etat» est simplement sidérant, et simplement surréaliste.
D'aucuns furent également surpris de la position des salafis, notamment du parti an-Nur, qui a rejoint les militaires et se sont présentés dans le clan des «démocrates» anti-Morsi. Nous ne sommes pas loin d'une belle farce, et pourtant. Les agences de presse occidentales ont présenté les salafis «islamistes» comme les alliés des Frères musulmans alors que dans les faits, ils ont été les vrais alliés des régimes des pays du Golfe, alliés régionaux des Américains. Il s'agissait de mettre à mal la crédibilité religieuse des Frères musulmans et de les pousser à une surenchère. Au moment du renversement de Morsi, ils ne le trahissent pas mais révèlent leur stratégie et leur véritable alliance. Il n'est pas étonnant que les premiers pays à reconnaître le nouveau régime issu du coup d'Etat militaire soient les Emirats Arabes Unis, l'Arabie saoudite et le Qatar dont les organisations finançaient, et financent encore, directement ou indirectement, les salafis égyptiens (comme tunisiens d'ailleurs). La lecture politique superficielle tendrait à faire croire que l'Arabie saoudite ou le Qatar soutiennent les Frères musulmans alors qu'ils sont essentiellement les garants d'une politique américaine dans la région : il s'agit de diviser les diverses tendances de l'islam politique et les pousser à des confrontations déstabilisant les différents pays de la région. Cette stratégie est double et fonctionne entre les organisations politiques sunnites comme par l'entretien de la fracture entre shiites et sunnites. Les Etats-Unis comme l'Europe n'ont aucun problème avec l'islam politique des salafis littéralistes des Etats du Golfe (avec leur refus de la démocratie, leur non respect des minorités, la discrimination des femmes, l'application d'un strict code pénal «islamique» qualifié de «shari'a») : ils protègent leurs intérêts géostratégiques et économiques régionaux et leurs politiques répressives et rétrogrades s'appliquent surtout sur le plan intérieur dont l'Occident n'a cure.
Restera à préserver les apparences. Des millions d'Egyptiens ont soutenu la «deuxième révolution» et ont appelé l'armée qui s'est exécutée. Celle-ci va remettre le pouvoir aux civils : le chef de l'opposition, Mohammed El-Baradei, a joué un rôle central dans le processus et sa visibilité n'a eu de cesse d'augmenter. Il est en lien avec les jeunes cyber-dissidents et le mouvement du 6 avril depuis 2008 et des documents du Département d'Etat américain (que je cite précisément dans mon ouvrage) mettent en évidence ses relations avec l'Administration américaine. Sa visibilité s'est accrue selon une stratégie intelligente, et même s'il a refusé le poste de Premier ministre (et annoncé qu'il ne se présenterait pas aux élections présidentielles - ce qui reste à vérifier), il est devenu un pion central de l'échiquier politique égyptien. Il a étonnamment - en démocrate- défendu et justifié les arrestations des Frères musulmans, la fermeture de leurs télévisions et l'ensemble des mesures répressives à l'encontre des citoyens pro-Morsi qui ne sont pas tous des Frères musulmans (certains défendaient la légalité démocratique). Les semaines à venir révéleront encore davantage les différents scenarii envisagés pour faire accepter le caractère civil de cet Etat militaire : il faut rappeler que depuis des décennies l'armée gère près de 40% du secteur économique et elle est le premier récipiendaire de la manne américaine annuelle de 1,5 milliard de dollars.
Le Président élu est tombé au gré d'un coup d'Etat militaire. Il faut appeler les choses par leur nom. Le peuple, dans son désir légitime de vie et de survie, de justice et de dignité, a participé à une belle opération médiatico-militaire. La situation est grave et le silence des administrations occidentales est révélateur. Il n'y a pas de printemps arabe et les révolutions ont des parfums amers. Au demeurant, il est fréquent désormais, quand on ne partage pas les analyses consensuelles, ou l'effervescence populaire et médiatique, de se voir traiter de «conspirationniste» et de voir son analyse rejetée avant même d'avoir étudié les faits et les intérêts en présence. Ainsi donc à l'heure de la globalisation, des politiques de sécurité généralisées, des nouveaux moyens de communications, il n'y aurait plus de conspirations politiques, plus de stratégies malsaines et malveillantes, plus de mensonges politiques, plus de manipulations de l'information et des peuples? «Conspirationniste», «complotiste» seraient les nouvelles insultes lancées à ceux qui pensent mal, et contre l'air du temps : des esprits un peu paranoïaques, qui prêteraient des pouvoirs occultes à des Etats (les Etats-Unis, les Etats européens, Israël, les dictatures africaines ou arabes, etc.) qui n'en auraient pas vraiment. On devrait donc oublier les manipulations et les conspirations caractérisées en Amérique du Sud ou en Afrique (de l'assassinat d'Allende à l'élimination de Sankara) ; négliger les mensonges de l'Irak aux massacres de Gaza (présentés comme de la légitime défense) ; omettre les alliances et soutiens occidentaux aux salafis littéralistes, et souvent rétrogrades, des pays du Golfe ; rester aveugles aux avantages qu'Israël tire de cette instabilité régionale et de ce dernier coup d'Etat en Egypte. Il faudrait même que nous restions naïfs et crédules en ne voyant pas que les Etats-Unis et l'Europe d'une part, et la Chine et la Russie d'autre part, se sont mis d'accord pour ne pas être d'accord en Syrie et qu'au fond la mort de 170 Syriens par jour ne vaut rien devant les intérêts stratégiques et économiques que ces puissances en tirent respectivement.
Il faut analyser les faits et cesser les simplifications dangereuses. Le contraire de la lecture simplificatrice des faits n'est pas la posture «conspirationniste» mais bien celle de l'intelligence qui veut convoquer l'histoire, les faits et l'analyse circonstanciée des intérêts en présence. L'interprétation proposée ici peut être erronée ou inexacte mais de nombreux faits concordants en ont confirmé la pertinence au gré des mois, et sous de nombreux aspects. De ceux qui la critiquent ou la contestent, il est attendu des analyses fondées sur des faits, des mises en perspective qui ne se contentent pas de dénigrements ou de slogans faciles. Quand on refuse d'appeler un coup d'Etat militaire «un coup d'Etat militaire» et qu'une majorité de médias font mine de n'en plus savoir la définition, il est l'heure de réveiller son sens critique.
T. R.


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