"20 Minutes " a interrogé Isabelle Dufour, chargée d'étude à Eurocrise et spécialiste de la Défense, afin de savoir si l'attaque de vendredi signifie que le Royaume-Uni est plus touché par le terrorisme que d'autres pays. Vendredi, une attaque au couteau a fait deux morts à Londres sur le célèbre " London Bridge ". Si le suspect a directement été abattu, le Royaume-Uni est à nouveau plongé dans l'horreur terroriste, lui qui avait connu une année 2017 particulièrement sanglante. Deux attentats en quelques mois à la voiture bélier et au couteau dans la capitale, mais aussi l'attentat de la Manchester Arena et son terrible bilan : vingt-deux morts et 116 blessés. L'année suivante, une voiture bélier avait également foncé sur le Parlement britannique. De la Tamise jusqu'aux briques rouges de Manchester, le Royaume-Uni est souvent victime du terrorisme. Au point d'être une cible privilégiée ? Isabelle Dufour, chargée d'étude et spécialiste de la Défense à Eurocrise, infirme cette idée. Pour elle, le pays n'a en réalité rien d'une exception. Comment expliquer que le Royaume-Uni soit autant victime d'attaques terroristes ? L'islam radical y est implanté depuis très longtemps. Avant même les attentats du 11 septembre 2001, il existait des filières djihadistes très structurées, qui organisaient le recrutement et la formation de Britanniques mais aussi d'étrangers (Français, Belges), par exemple en les envoyant en Afghanistan. Cela peut expliquer la persistance de réseaux d'influence solides, malgré les efforts du contre-terrorisme. Néanmoins, une quinzaine de pays européens ont été victimes d'attentats djihadistes. La France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne ont été aussi extrêmement touchées. Le Royaume-Uni est donc dans la moyenne haute, mais n'est pas une exception. En 2017, après deux attentats successifs à la voiture-bélier à Londres, les forces de l'ordre britannique évoquaient un mimétisme. Est ce qu'après un attentat terroriste, il y a une probabilité plus forte qu'un autre se reproduise par " effet de mode " ? On pourrait effectivement penser à un effet d'entraînement. Si d'autres le font, et sont glorifiés par le groupe auquel ils appartiennent, cela peut contribuer à un climat d'euphorie pour les sympathisants, qui sont ainsi encouragés à passer à l'acte. Mais cela, c'est la théorie. Dans les faits, on ne constate pas vraiment de corrélation sur le court terme. Il y a beaucoup d'agitation sur les réseaux sociaux, par exemple, après un attentat. Mais de là à passer à l'acte… Cela peut arriver, mais l'effet produit est plutôt de renforcer la cause djihadiste sur le moyen terme. On le voit aussi avec l'extrême droite, où certains terroristes passent à l'acte en se disant inspirés par d'autres. Mais ce n'est pas forcément immédiat. Le Royaume-Uni est-il plongé dans un cercle vicieux où plus il y a d'attaques, plus il peut y en avoir d'autres ? Je ne dirais pas cela, parce que souvent, les attaques (ainsi que les attaques déjouées) permettent de remonter des filières, et donc d'arrêter des sympathisants, de connaître leurs méthodes, leurs moyens de communication… Un attentat dévoile beaucoup les réseaux. Mais dans tous les pays, les arrestations sont de plus en plus nombreuses. Et les attentats ne diminuent pas. S'il faut trouver un cercle vicieux, je crois qu'il est là : les attentats augmentent, les arrestations aussi. Les politiques sécuritaires se renforcent, et par conséquent, les mécontents augmentent, venant alimenter le vivier de recrutement possible pour les terroristes, etc. C'est grâce à ce cercle vicieux que le terrorisme entend obtenir un effet politique. Le cercle vicieux du phénomène terroriste se constate sur le moyen terme et sur le terrain politique, pas sur le court terme des attentats. La France et le Royaume-Uni sont touchés par les attentats terroristes. Les raisons sont-elles les mêmes pour ces deux pays ? La cause principale est la même partout : l'islam radical qui conteste les valeurs démocratiques, et qui offre aux mécontents une idéologie politique apte à contester nos sociétés. Cela dit, cette offre, et c'est une de ses forces, s'adapte aux pays dans lesquels elle s'implante. Les communautés qui y sont sensibles ne sont pas les mêmes suivant les pays. Ensuite, chaque passage à l'acte est la combinaison de facteurs sociétaux et de facteurs individuels. On ne peut pas isoler un seul facteur. On parle ici de l'islam radical, mais on pourrait aussi parler de l'extrême droite : dans ce courant idéologique, les attentats connaissent aussi une croissante exponentielle depuis quelques années. Une députée britannique a d'ailleurs été assassinée par un sympathisant d'extrême-droite en 2016. Là encore, chaque pays l'adapte suivant ses spécificités, le Brexit par exemple, mais l'idéologie donne une trame de fond aux revendications générales, tel le refus de l'immigration.