« Il y a deux vérités qu'il ne faut jamais séparer, en ce monde : 1- Que la souveraineté réside dans le peuple ; 2- Que le peuple ne doit jamais l'exercer. » La véritable Algérie est un accord et non unisson. Il nous faut faire place pour toutes les fusions et toutes les différences : l'esprit qui interprète la nature ne peut pas se donner une autre règle ni un autre jugement. Il n'est d'Algérie que dans une harmonie assez riche pour contenir et résoudre ses propres dissonances. Et l'accord d'un seul son, fût-ce à des octaves en nombre infini, n'a aucun sens harmonique. Pour faire l'Algérie de demain, il nous faut plaider l'unité dans la multitude, comme la lumière blanche, ensemble de mille et un rayonnements radieux. Dans notre imaginaire collective, l'Algérie est une mère aux fils innombrables ; par la voix du vivre-ensemble, elle les invite à se reconnaître. Elle leur ouvre les yeux ; qu'ils consentent enfin à prendre conscience les uns des autres ; qu'ils aient honte de se calomnier et de se haïr. Mais en réalité avec une conscience territoriale déjà extrêmement fragilisée, l'Algérie reste en quête de résilience et de matrices pour reconstruire et unifier son identité. La question « Quelle voie? » a ainsi su re-démontrer sa pertinence même un demi-siècle plus tard sous une acception différente. La résolution de l'Idée algérienne, de ce qu'est l'Algérie, de ce que sont les algériennes et Algériens, est encore vecteur de débat au sein de l'intelligentsia d'un pays dont l'enjeu majeur est de retrouver ce ciment qui fera sa force dans l'immensité et la diversité. Depuis l'indépendance, l'esprit algérien cherche à trouver une idéologie de penser son avenir, à se réincarner. Cette Idée serait celle d'une identité, à la fois continuatrice et unificatrice, qui permettrait d'éviter les écueils, dérives du passé et d'appréhender un monde où les ennemis de l'Algérie ainsi que les perditions seraient nombreux. Ce que recherche l'Algérie c'est un fruit d'édification dans un monde où le schisme entre l'Est et l'Ouest est toujours aussi vivace. Pour se faire, elle doit conserver ses traits mais aussi faire figure d'alternative face à un modèle occidental moteur de sa chute passée et tête de proue de ce qu'elle considère être l'incarnation de la décadence contemporaine. Il faut dire que si l'Algérie entama une descente aux enfers dans les années 90. Cette période a laissé place à un clivage endémique qui couve et risque dévier toute recherche sincère d'une issue pacifique à cette grande révolution. En effet, s'il n'y a plus de dichotomie entre l'Est et l'Ouest du fait de l'opposition de systèmes socio-économiques antagonistes, il y a une opposition géopolitique avec comme échiquier la planète. Il faut être clair sur ce point, aujourd'hui tous les pays ou presque, inclus l'Algérie, jouent avec les cartes que leur donnent la mondialisation marchande et l'économie de marché. Par ailleurs, il est vital de remarquer que la grandeur de la présente révolution réside dans l'unanimisme de la société ; pas de guerre civile, pas de luttes de classe comme moteur de la révolution ; et l'absence d'idéologie et de programme politique, ce qui laisse ouverte la question du régime à venir. C'est parce qu'il n'y a pas de programme de gouvernement qu'il peut y avoir une volonté claire, obstinée, presque unanime. Si la révolution fait sens en soi, comme refus du pouvoir, elle doit impérativement être porteuse d'un nouvel ordre, d'un nouveau pouvoir et d'une société plus juste. Pour que le peuple retrouve sa souveraineté sur les chemins tortueux de la liberté, seule la démocratie est salutaire. Mais la démocratie ne signifie pas l'anarchie. Elle ne signifie pas un pouvoir faible. Elle signifie : le gouvernement du peuple par le peuple. Elle signifie un Etat hiérarchisé. Une bonne Constitution doit donner la parole au peuple. Elle doit permettre la libre discussion. Cette libre discussion, loin de nuire à la discipline nationale, permettra de révéler des cadres valables et enrichira les institutions de l'Etat. Un chef du gouvernement, investi par une Assemblée nationale souveraine et responsable devant elle, est la seule formule qui corresponde à notre devise «par le peuple et pour le peuple». Il est indispensable que le chef du gouvernement soit contrôlé. Il est indispensable qu'il rende des comptes aux représentants de la nation. Si nous voulons éviter les aventures, il est vital et salutaire d'associer le peuple par sa majorité et par sa minorité aux affaires publiques. Nous devons donner l'image d'un peuple majeur qui gère sainement et démocratiquement ses affaires. Avec la Constitution qui est proposée c'est toujours le provisoire qui dure, et aucun problème fondamental ne reçoit de solution valable. Depuis l'indépendance le peuple n'a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps de le faire participer à la vie publique. Il est temps qu'il retrouve son enthousiasme et sa foi. Ce peuple sait voter. Il l'a hautement prouvé. Il a acquis par son héroïsme le droit de choisir ses représentants et de se donner le gouvernement de son choix. Nous devons lui faire confiance. Et même s'il se trompait cette erreur serait moins grave de conséquences que le fait de le museler, et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure. Le retour du politique est inéluctable et il se fait à partir des réseaux de pouvoir internes au mouvement même de la présente révolution: il n'y a pas de pure révolution. Mais l'héritage de cet éveil populaire sera sans doute de rendre le pouvoir plus fragile et les hommes plus lucides. Khaled Boulaziz