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Racontez-moi la Pointe Pescade (1re partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 11 - 2018


Par Dr Mourad Betrouni
Raconter la Pointe Pescade, présentement commune de Raïs-Hamidou, pour rappeler quelques souvenirs dont il ne reste, hélas, que de menus affleurements aux contours ramollis, est un exercice laborieux et éprouvant, parce qu'il convoque une mémoire qui peine à accorder ses échelles pour mettre en cohérence un discours. Les vieux ne sont plus là et les lieux ont changé de destination, non pas par le fait d'une translation incessante de populations mais par la nature même des transformations introduites dans les ordonnancements d'une géographie physique et humaine que la nature avait si bien établis.
Par quelques bouts que nous abordons le sujet, il demeurera un hiatus que nul ne pourrait combler, celui-là même qui, en bonne terminologie géologique, s'appelle le «niveau d'érosion», cette surface qui occupe un temps arraché à son espace et qui comprime, jusqu'au stade de la lamination, les reliefs les plus significatifs d'un territoire, investi, désormais, dans la production du désintérêt et de l'oubli.
Raconter la Pointe Pescade, c'est faire ce détour qui vous évite l'aliénation, pour parvenir à ces horizons apaisés où s'opère le ressourcement indispensable. C'est sur le sable chaud des quelques rares plages sableuses ou au-dessus des falaises rocheuses, gagnées par les écumes à l'odeur de sel, que se nouent l'alliance et le pacte entre ce petit bout de terre, qui se termine en pointe et l'immensité de la mer.
Du mythe de fondation : «Marsa-ed-Debban»
La traduction en français, communément admise, de l'expression arabe «Marsa-ed-Debban» est celle de «port aux Mouches», même si quelques hésitations sont parfois exprimées sur ce sujet, nous citons, en guise d'exemple, le point de vue du professeur agrégé d'arabe du lycée d'Alger, M. G. Valat, qui fit état d'une pièce sur laquelle serait inscrit «Mers-ed-Deman», signifiant le «port du Gouvernail». L'autre extravagance sur le nom du lieu est celle de l'interprète militaire du nom de Ballesteros qui, en 1881, rapporta, dans une séance de la Société d'histoire algérienne,(1) que les «indigènes» de la région prononçaient les mots «Mers-ed-Dourban», en suggérant le «port aux Porcs-épics», au regard de la profusion de dépouilles de cet animal, en ces lieux, jadis, quasi-désertiques.
Si ces deux suppositions n'ont pas survécu, car dénuées d'arguments voire anachroniques, comment expliquer l'autre hypothèse qui met en relation un élément de géographie (port/mersa) et un insecte (mouche/debban), alors que la topographie et l'hydrographie du lieu ne présentent aucune prédisposition d'insalubrité, pouvant attirer ces insectes, tous les oueds parviennent directement à la mer suivant une direction sud-nord ?
Un autre interprète militaire, M. Meyer, en 1881, à la suite de Ballesteros, dans une autre séance de la Société d'histoire algérienne,(2) apporta des éléments d'éclairage plus pertinents, en puisant dans le registre de la mythologie et des légendes antiques. Il s'agissait, pour lui, d'argumenter cette histoire de «mouches». C'est dans un récit mythique, répandu par le célèbre grammairien Solin (Caïus Julius Solinus), ayant vécu au IIIe ou IVe siècle après J.-C., celui du périple d'Hercule et de ses vingt compagnons, en Méditerranée, qu'il est allé rechercher les éléments d'une mythologie fondatrice : «Mersa-ed-Debban».
La légende la plus classique est celle qui attribue le nom de la petite crique de «Mersa-ed-Debban» aux fondateurs mythiques d'Alger, les vingt hommes qui accompagnèrent Hercule dans son voyage méditerranéen. Ils l'auraient abandonné en s'arrêtant à Ikosim (Alger) avec l'idée de s'y établir, en construisant une ville. Il s'agissait, pour eux, de choisir l'emplacement le plus idéal et le plus salubre. Les uns voulurent s'installer sur les rives de l'oued El-Harrach, les autres à l'endroit où se trouve Alger et quelques-uns à l'emplacement de «Mersa-ed-Debban». N'ayant pu s'accorder sur un choix, ils convinrent d'opter pour l'emplacement qui soit le plus salubre parmi les trois. Pour cela, ils égorgèrent un mouton (certains parlent de trois) et placèrent un tiers de celui-ci à chacun des trois endroits. Deux jours après, ils allèrent vérifier l'état de conservation des trois parties du mouton. Ils constatèrent que celle déposée à El-Harrach était dans un état de décomposition avancée, voire même pourrie, celle de «Mersa-ed-Debban», complètement dévorée par les mouches et celle d'Alger toujours saine. Ils décidèrent, alors, de construire la ville à Alger, qu'ils appelèrent Ikosim, du mot grec «Eikosi», qui signifierait vingt (les vingt compagnons). Quant à l'endroit où les mouches avaient dévoré le morceau de viande, ils l'appelèrent crique ou «Port-aux-Mouches». Une autre légende, moins connue, raconte que les vingt compagnons d'Hercule avaient fait une halte à l'emplacement de «Mersa-ed-Debban» pour s'y établir, mais ils étaient tellement terrassés par les mouches qu'ils s'enfuirent, en clamant que c'est un lieu infesté de mouches. Ils se rendirent, alors, à Ikosim, qui était plus accueillante.
Quelle que fut la distance entre le récit mythique, qui remonte aussi loin dans l'Antiquité et la réalité, pour exprimer l'origine du lieu, le fait certain est cette allusion constante aux mouches, ces insectes nuisibles, du moins désagréables, que nous retrouvons, bien plus tard, au 11e siècle, dans les écrits d'Abou Obeid el Bekri, «Marsa-ed-Debban», puis à l'époque ottomane, «Mers-ed-Debban».
Les ancrages historiques
Aussi loin que nous remontons dans le temps, alors que nul écho ne résonne dans les alentours algérois, annonçant quelques traces de cette humanité préhistorique qui nous a précédés, «Marsa-ed-Debban» était déjà parcourue par des hommes, des femmes et leurs enfants. Ils s'y étaient établis, il y a une trentaine de milliers d'années, dans des grottes creusées dans la roche calcaire, dont des traces sont encore visibles en contrebas de l'usine de cimenterie, à proximité du tunnel. Ces grottes avaient été découvertes accidentellement, la première, en 1868, lors de l'exploitation de la carrière Melcion d'Arc-Imbert, la seconde, en 1894, lors de la construction du chemin de fer d'Alger-Koléa.(3) Dans les couches archéologiques, il y avait des outils préhistoriques en pierre associés à des résidus de repas de cuisine, des restes d'éléphant, de rhinocéros, d'hippopotame, d'ours, de buffle, d'élan, de bœuf, de cerf et de cheval.(4) Des animaux de la grande faune mammalienne africaine, aujourd'hui disparue, qui attestent d'une géographie littorale non encore escarpée et dénotent de l'importance de la chasse préhistorique, en ces temps paléolithiques où l'homme vivait directement des ressources de la nature.
Ces premiers établissements préhistoriques sont fondateurs de l'identité du lieu, de ce petit segment de côte et de son ancrage culturel, dans ce sens où ils constituent le niveau de base d'un processus de construction du territoire et de production de la culture, qui va parvenir, de proche en proche, jusqu'à nous. Il nous revient, alors, de situer notre place, aujourd'hui, dans ce long processus de patrimonialisation du lieu.
Après ce marquage paléolithique du territoire, plus rien ne semble s'annoncer dans le déroulement du temps, les populations néolithiques, porteuses de la nouvelle économie de production, puis celles protohistoriques, avec leurs représentations funéraires mégalithiques, si bien développées, ailleurs, ne semblent pas avoir laissé de traces dans ce segment de la côte-ouest algéroise. Les fouilles, plutôt les excavations entreprises par le Dr Bourjot, avaient causé de grands dommages aux remplissages des grottes, notamment les couches superficielles néolithiques et protohistoriques. Il est à signaler qu'une hache à talon, de l'âge de bronze a été découverte à Saint-Eugène (Bologhine) dans le jardin même de Bourjot. Il s'agit d'un uniquat au Maghreb. Un peu plus à l'est, dans la grotte du Grand-Rocher, il y avait, en plus des vestiges paléolithiques, de nombreux ossements humains dont un squelette dans une amphore, de la céramique néolithique ainsi que des objets d'époque romaine, des bracelets en bronze, bagues en cuivre, fibules en bronze, des tuiles de tombe, de la monnaie de Constantin et de ses successeurs.
Pendant la période médiévale, nous savons, d'après El Bekri, il y a de cela plus de 8 siècles (1067-1068 ou 460 de l'Hégire), dans sa «Description de l'Afrique septentrionale»(5) en page 82 du texte arabe, que le port de «Mersa-ed-Debban» existait déjà sous cette même appellation. Il était désigné en tant que tel, parmi la succession des criques et ports algériens.
«Mersa-ed-Debban revient devant de la scène, au début du 16e siècle, dans un contexte historique marqué par un conflit mondial opposant deux grandes puissances maritimes, espagnole et ottomane, se disputant le contrôle de la Méditerranée, l'une agissant au nom de la chrétienneté et l'autre de l'islam. Avec la création de la Régence turque d'Alger et l'allégeance, en 1523, de Kheireddine Barberousse à la Sublime porte, sous Sulaiman le Magnifique, un important système défensif maritime fut édifié tout autour de la baie d'Alger, érigeant cette dernière en une ville fortifiée, inaccessible et imprenable «El Mahroussa».
C'est au sein de cette ceinture défensive que «Mers-ed-Debban», circonscrite, alors, à une petite baie sableuse, à l'endroit de l'actuelle plage des Bains-Franco, va jouer un rôle stratégique de premier plan, avec une ligne de force, procédant de sa position avancée sur le front ouest de la baie d'Alger et une ligne de faiblesse, née de sa qualité de baie relativement abritée par deux îlots, permettant l'accostage d'une flottille ennemie éventuelle. La baie de «Mers-ed-Debban» constitua, ainsi, un point névralgique qu'il fallait défendre et protéger. Il serait faux de confondre «Mers-ed-Debban», celui cité par El Bekri au 11e siècle et «Mers- ed-Debban» du système défensif ottoman. Même s'ils couvrent, à peu près le même site, ils appartiennent à des significations différentes.
Le système de défense ottoman de «Mers-ed-Debban» était composé de trois forts, disposés selon un ordre de portée des canons et un croisement de feux pointés sur la plage sableuse, là où pouvait s'effectuer un abordage. Le premier fort, «Mers-ed-Debban al-Kadim», a été construit en 1671 sur ordre du dey El Hadj Ali Agha ; il sera complètement rasé par la France coloniale.
Le deuxième, «Tubbanat-Mers-ed-Debban», était situé un peu plus en hauteur et légèrement en retrait ; la date de sa construction n'est pas connue. Le troisième et le plus récent des trois, «Bordj-Mers-ed-Debban al-Djadid», plus bas et plus rapproché, domine directement la plage «Mers-ed-Debban» ; il a été construit sur ordre de Hussein Pacha, entre 1823 et 1824, pour renforcer davantage la défense, dans un nouveau contexte marqué par une offensive massive et répétée des flottes occidentales, qui annonçait, déjà, la fin de la domination ottomane en Méditerranée. Ces points de défense, qui employaient tout un effectif de janissaires et d'auxiliaires autochtones étaient complétés par un poste de douane fixe, qui interceptait et contrôlait les bateaux venant sur Alger.
La localité de «Mers-ed-Debban» entretenait, jusque-là, dans ses abords immédiats quelques activités de négoce avec les riverains, disséminés sur les coteaux boisés et buissonneux du massif de la Bouzaréah. Sa dislocation par l'armée coloniale entraîna l'effondrement de toute une économie locale ; seuls quelques rares autochtones continuaient à pratiquer une petite agriculture vivrière, complétée par quelques produits de la chasse et de la pêche. Il n'y avait pas une concentration notable d'habitations, de la dimension d'un hameau, qui aurait laissé des traces dans le paysage (zaouïas, mosquées, cimetières, lieux de culte). Les rares propriétés, tenues par quelques dignitaires turcs et leurs auxiliaires, sont toutes tombées sous le séquestre de l'administration coloniale, pour être détruites ou transformées au motif d'incompatibilité avec le modèle urbain occidental, marqué par la linéarité des ordonnancements.
Cette partie de la côte- ouest algéroise était, en fait, indissociable du fahs de la Bouzaréah, dont la délimitation était en cohérence avec une forme d'organisation socio-économique «montagnarde», où les plaines et les fonds de vallées n'étaient intégrés aux finages qu'au titre de l'appoint et de la complémentarité. C'est cet ordre fonctionnel et administratif du fahs, organisé subtilement autour d'un système de répartition et de captage des eaux, que la colonisation a déstructuré et démembré, en créant dès l'année 1835, la commune littorale de la Pointe Pescade (arrêté du 22 avril 1835), la séparant du canton de la Bouzaréah, dans un objectif, évident, de renversement de la fonctionnalité au profit d'une littoralisation et d'un accaparement des espaces éligibles à l'établissement colonial.
Contrairement à Alger et à d'autres points de la côte algérienne, «Mers-ed-Debban» n'a pas été touché par l'immigration andalousienne, venue d'Espagne, pendant la période ottomane, qui aurait produit quelques agrégations vivifiantes, par le développement d'un savoir-faire architectural, artistique et en métiers, nécessaires à la formulation d'un embryon d'organisation urbaine. Ainsi, lorsque les colonnes militaires de l'armée française ont parcouru ce petit bout de terre, toutes les conditions pour l'établissement d'une colonie française étaient réunies : ce fut la Pointe Pescade.
La Pointe Pescade : une création coloniale
La Pointe Pescade fut l'une des 9 premières communes créées par la colonisation. A l'origine, elle se prolongeait jusqu'à Saint-Eugene, l'actuelle Bologhine. En 1845, elle était administrée par un maire du nom de Louis Villalba. Elle fut, ensuite, rattachée, en 1848, à la Bouzaréah, qui était réduite à une simple annexe de la commune d'Alger. En 1866, elle est, d'abord, dotée d'un adjoint spécial puis séparée définitivement de la Bouzaréah, pour être finalement intégrée à la nouvelle commune de plein exercice de Saint-Eugène (arrêté du 14 septembre 1870). En 1959, elle est reliée au 6e arrondissement de la ville d'Alger et y demeurera jusqu'en 1977, date de création de la commune de Bologhine. En 1984, la commune de Raïs-Hamidou prend place et lieu de l'ex-Pointe Pescade.
Les caractéristiques d'une urbanisation littorale
Après juillet 1830, l'Algérie, d'abord colonie puis département français, fut soumise à un vaste plan d'occupation humaine française, conçu dans le sillage de la politique de francisation du territoire, la Pointe Pescade fut très tôt érigée en agglomération, profitant de l'existence d'un chemin carrossable, depuis Alger, celui qui desservait les fortifications turques, d'un embryon d'infrastructures légères léguées par le beylic, de la disponibilité d'une roche calcaire exploitable en pierre, en chaux et en ciment et surtout d'une petite crique sableuse, «Mers-ed-Debban», faisant office de petit port de mouillage.
La Pointe Pescade a été conçue en tant que cité urbaine, sur un large promontoire rocheux, en forme de triangle dont la pointe la plus allongée est dirigée vers le nord. C'est le point le plus avancé sur la mer du massif de la Bouzaréah. D'aucuns lui auraient attribué le qualificatif de presqu'île, puisqu'au sens géographique du terme, elle en est une. Il lui a été préféré celui de «Pointe», avec une vocation, la pêche «Pescade».
L'appellation «Pointe Pescade» était déjà arrêtée lorsque, en 1885, l'écrivain français Jules Verne publia son roman d'aventure Robur le conquérant sur «Mathia Sandorf»,(6) dans lequel il mit en jeu des personnages fictifs, deux acrobates provinciaux français du nom de «Matifou» et de «Pointe Pescade», une personnification de deux éléments stratégiques de la rade d'Alger, le Cap Matifou et la Pointe Pescade, digne des récits mythiques de la Grèce antique.
Le premier personnage, «Matifou» traduisait la massivité, le volume et la brutalité et le second «Pointe Pescade», la finesse, l'agilité et l'intelligence. C'est le caractère effilé et élancé, au sens propre et figuré, de la Pointe Pescade qui est mis en exergue dans ce récit d'aventure par celui qui avait écrit Vingt mille lieues sous les mers, L'Île mystérieuse et Voyage à travers l'Impossible.
La topographie de ce segment de la côte-ouest algéroise est quasi-plane, avec une légère déclive en pente douce vers la mer. La route littorale, dont le tracé était déjà ébauché ainsi que les premières bâtisses coloniales, avaient profité d'une plateforme littorale qui avait l'avantage d'être formée dans une épaisse nappe d'alluvions et d'éboulis argileux rougeâtres, qui dépassait, par endroits, les 10 m d'épaisseur. Le caractère tendre et friable de cette formation sédimentaire avait facilité les opérations de creusement et de nivellement à grandes échelles. Les affouillements, à moindre frais, en profondeur où en extension, ne s'arrêtaient que là où apparaissaient les éléments durs du substratum (schistes et surtout calcaire). Il ne subsiste, aujourd'hui, de cette nappe alluvionnaire que de faibles lambeaux, en buttes isolées.
Ce sont là des conditions géographiques idéales, ajoutées à la proximité de la ville d'Alger, qui vont participer, très tôt, à la formulation d'un projet d'établissement humain colonial, d'abord, de type résidences secondaires et lieu de développement d'activités de plaisance et d'agrément. Des parcelles de terrain, les pieds dans l'eau ou immédiatement sur la falaise rocheuse, sont concédées à des propriétaires français, d'abord, puis au fur et à mesure, espagnols, italiens et maltais, pour en faire des demeures et des villas dont l'architecture est inspirée des canons provinciaux, mariant les styles nautique et balnéaire, dans un blanc paré de bleu, avec vérandas, parvis et façades donnant sur la mer. Cabanons, guinguettes, dancings, bistrots et buvettes constitueront les espaces et les lieux communs d'une nouvelle population européenne résolue à s'établir définitivement, renvoyant, dans les piedmonts, au-delà des coteaux cultivables, les quelques autochtones encore établis, main-d'œuvre indispensable, disponible et à bon marché pour les activités d'entretien et de maintenance classiques.
Le plan d'urbanisation de l'agglomération a été tiré du système classique en damier, dont les deux axes principaux se croisent en angle droit, selon le schéma urbanistique romain du Decumanus sur la voie d'axe est-ouest et du Cardo maximus sur la voie principale d'axe nord-sud. L'architecte qui a conçu ce damier a «jeté son fil à plomb» au milieu de la «place du 14-Juillet», en projetant vers le nord la ligne du Cardo maximus, jusqu'à la terminaison littorale en pointe, ce qui donnera l'«avenue Barberousse».
La ligne du Decumanus suivra la route littorale Est-Ouest, pour donner le «boulevard General-Leclerc», dans le prolongement du «boulevard Clémenceau». Cette ligne offre la particularité de ne pas être droite, elle dessine une sorte de V couché, dont la pointe est tournée vers la mer. Ce profil va déterminer un parcellaire en forme d'arête de poisson dont l'«avenue Barberousse» constituerait la grande arête dorsale. C'est dans cette trame viaire que vont se créer, de proche en proche, les lotissements et bâtisses ainsi que le réseau d'adduction et d'évacuation des eaux pluviales et domestiques, aligné, hélas, sur le système hydrographique naturel, dont les oueds, à pente forte, aboutissent directement à la mer, selon un sens unique sud-nord.
Le réseau d'assainissement : principale pierre d'achoppement
Le réseau d'assainissement constitue la principale pierre d'achoppement d'un aménagement urbain, commandé par une politique d'exploitation intensive et spéculative du territoire et non celle de sa gestion durable. L'architecture de ce réseau sera le facteur déterminant d'une discrimination territoriale entre un secteur amont (versants) pauvre et non urbanisé, cédé partiellement aux populations «indigènes» et un secteur aval (plateforme littorale), occupé et mis en valeur par les colons. Ce réseau sera constitué par un dispositif de gros avaloirs en béton renforcé, ayant fonction de collecteurs, qui suivent le tracé et la pente des oueds, en passant sous la route principale, le «boulevard Général-Leclerc», au travers de tunnels, avant d'aboutir à la mer, à hauteur de petites criques, débouchés naturels des oueds. La mémoire collective a conservé les noms des deux plus grands déversoirs : «la grande égout» et «la petite égout».
Cet aménagement avait été établi pour protéger l'agglomération urbaine des crues, si fréquentes et particulièrement chargées de boues, qui dévalaient depuis les sommets, à chaque pluie torrentielle. Il a été conçu sur des échelles et des proportions qui n'ont pas tenu compte des facteurs de croissance urbaine et des aléas d'un relief jeune et d'une hydrographie, caractérisée plus par l'irrégularité et la violence que par le débit. Il s'agissait surtout, pour les colons, de préserver la saison active (printemps-été), qui constituait le fondement de l'économie de la ville. Le réseau d'assainissement, dans les parties les plus littorales, était complété par tout un système de fosses septiques pour réduire les rejets sur la mer et éviter des désagréments aux estivants et promeneurs du dimanche. L'automne et l'hiver, période creuse, étaient consacrés aux travaux de maintenance, de réparation et d'entretien, en prévision de la saison active.
M. B.
(A suivre)


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