J'ai évoqué précédemment ces policiers en tenue qui vous recommandent, sans avoir l'air d'y toucher, de ne surtout pas continuer dans telle ou autre direction. Ils vous chuchotent, tandis que vous passez à proximité que, sinon, vous serez arrêté par des collègues qui y sont stationnés et qui ne vous feront pas de cadeau. L'ère étant à l'excès de zèle, à la course aux bons points et à une hypothétique reconnaissance, vous comprenez vite, à l'accent de celui qui vous parle, qu'il est du coin et vous supposez que celui qui a pour mission de vous arrêter vient d'une autre région. Quelqu'un m'a un jour expliqué que le dispatching des forces de l'ordre était étudié de façon à ne laisser aucune place aux sentiments. Un proverbe algérien dit bien que celui qui ne te connaît pas pense le plus grand mal de toi. Au fur et à mesure que les semaines s'écoulent, on ne se demande plus pourquoi il y en a qui cultivent leur impopularité jusqu'à l'essoufflement. Ce que l'on imagine par contre, avec stupéfaction, c'est qu'il faut une sacrée dose de masochisme pour mettre tant d'application et de talent à se faire détester. On n'a pas tort d'affirmer, à propos des marches lorsqu'elles prennent l'allure d'immenses manifestations populaires, qu'elles ont un superbe effet thérapeutique sur ceux qui, à travers le territoire, occupent la rue, à dessein, et contribuent, par-delà, à transformer ces dernières en nobles procédés qui œuvrent immanquablement en faveur du pays. Ni casse ni pagaille qui justifieraient le recours à la force. Tout se passe comme si, en se retrouvant, les Algériens reprenaient là où les années rouges les avaient poussés à l'acceptation et au silence. C'est toujours émouvant de décrire la force d'une communion populaire. J'avoue être toujours aussi surprise par la maturité avec laquelle sont conduites les longues et denses processions. Quand le système s'enrhume, c'est la rue qui tousse et il arrive même qu'elle tousse fort, comme elle le fait, avec de plus en plus de résistance et d'entêtement. Dans l'affaire, ce qui contrarie le régime, c'est aussi l'absence d'applaudissements nourris auxquels il est contraint de renoncer. M. B.