Après cette rencontre « Mammeri raconté aux scolaires », tenue à At Yanni, on file avec Hacène Metref, Denis Martinez et les autres vers Aït Aïssa, qui recevra, entre le 18 et le 25 juillet, en tandem avec Yakouren proche, le festival Raconte-Arts. Le jeune architecte Lounès Haouli, qui nous emmène chez lui, rectifie à chaque fois : Aït Aïssa Ivehrayen. C'est pour distinguer le village des autres Aït Aïssa, qui ne sont pas forcément marins, eux. Coquet village d'où on voit la mer et d'où on peut envoyer un salut à Oulkhou, berceau et tombe de Tahar Djaout ! Belles rencontres, ouvertes à l'art et à la culture, ce cocktail qui fait l'esprit Raconte-Arts. Mais il y a des choses qui se dissolvent dans la ville. On ne s'y fait pas, parole ! Parle donc pour ta pomme, gus ! Ça va augmenter en proportion le nombre des contempteurs. C'est comme ça. Ne pas aimer ce qu'est devenue Tizi est-il un mot ou un acte d'hostilité à la Kabylie ? Désolé, je ne me fais pas à ce qu'on y appelle la « Nouvelle Ville ». On a placé un téléphérique. Et alors ? Décidément, ça ne passe pas. Oui, bien sûr, ce sont les habitants qui souffrent de l'absolu défaut de tout urbanisme, voire de toute urbanité. Des constructions dantesques, n'obéissant à aucune norme admise, se succèdent dans un gris-déprime, cette couleur du spleen algérien, dans un dessin cataclysmique. A quoi s'ajoute la pollution ! Qui donc a conçu une ville avec si peu d'âme et si peu d'esthétique ? On ne parle même pas du confort minimal de ce que doit être une ville. Les trottoirs de la « Nouvelle Ville », c'est quelque chose. Yazid Arab, voyant ma peine à marcher sur des trottoirs aussi hauts que le mont Lala Khedidja, compatit : « Comment une vieille Kabyle des montagnes peut-elle emprunter de tels trottoirs ? » Je rétorque, touché au plexus : « Et un vieux… Kabyle… des villes ». Un ange passe ! Comme c'est triste de commencer ce propos par de la critique ! Disons plutôt des choses sympas, elles sont plus nombreuses ! Un exemple ? Le travail remarquable de la librairie Cheikh, dans l'ancienne bout de ville, pour maintenir la vieille tradition de lecture pour laquelle Tizi est connue. Et le fort tropisme politique qui règne dans cette ville rompue aux combats pour la liberté. Des potes retrouvés ! Le vieux compère Saïd Yahiatène avec qui nous évoquons des souvenirs d'« anciens combattants », néanmoins toujours sur la brèche. En tout cas, en ce qui le concerne ! J'ai une immense admiration pour ce militant du FFS, ancien maire de Boghni, qui a une conception humaniste et intelligente de la politique. En cherchant bien, on trouvera qu'ajouter au mot politique des adjectifs tels qu'humaniste et intelligente procède d'une sorte de pur pléonasme… matriciel. Voilà, tout de suite, les grands mots ! Pour des raisons autant subjectives qu'objectives, je n'ai pas suivi la voie d'Aït Ahmed, très respectable au demeurant, et la voie et le bonhomme, mais j'ai toujours admiré l'absence totale de sectarisme chez Saïd Yahiatène et sa fermeté à défendre ses principes sans diaboliser ses contradicteurs. Si tous les militants avaient ce niveau de tolérance, on serait dans la modernité politique depuis belle lurette. Quoi d'autre ? Rencontre dans un petit restaurant tout ce qu'il y a de plus sympa - allons-y pour un coup de pub gratos - propre et pas cher, spécialisé dans les plats traditionnels, deux autres vieux potes, Hend Sadi et Mouloud Lounaouci sortant sans doute, comme à l'accoutumée, d'une réunion. Des compères hyperpolitiques, qui ne lâchent pas la bride. Ils ont bien raison, les gars ! La veille, j'y avais croisé Mahfoud Belabès, ex-président RCD de l'APW, toujours souriant dans sa barbichette et pugnace dans ses propos ! Que des politiques ? Mais non. Au studio Sirocco – joli nom, n'est-ce pas ? – où le jeune musicien et arrangeur surdoué, Smaïl Khaldi, est aux manettes, on rencontre de jeunes artistes pleins d'allant et de talent. Ils en veulent, ces jeunes ! Et ils ont bien raison. La sphère musicale kabyle est écrasée par les mastodontes Aït Menguellet, Idir, Matoub, Ferhat et quelques autres. Il faut du chien pour se faire sa place dans cette galerie qui affiche complet ! Pas impossible que quelques-uns des noms qui fréquentent ce studio se frayent le chemin vers ce pinacle. Discussions infinies sur ce que doit être la chanson aujourd'hui, avec la modernité et les métissages à la faveur des réseaux sociaux. Impossible de faire de la musique sans une main sur l'ordi. Passionnant ! Les villes qui ont de l'âme n'ont pas forcément de la gueule, c'est le cas typique de Tizi. Derrière ces murs d'immeubles en béton gris frisant le comble de l'inélégance, il se discute des choses qui préparent l'avenir. Mais qui peut, au passage, régler cet impressionnant problème de circulation ? Il est commun à toutes les villes d'Algérie. Raison de plus ! Pour le 8 Mars, Journée internationale du droit des femmes, rassemblement des femmes à Tizi, et pas que des femmes. La lutte continue. Le Hirak continue. A. M.