Un grand moment de retrouvailles entre l'artiste et son public. Pour une fois, Lounis Aït Menguellet n'est pas monté sur la scène bougiote pour chanter mais pour révéler à son public des facettes de sa vie d'artiste. Celles qui le montrent devant son calepin, dans son inspiration, ses lectures et ses réflexions intimes. L'occasion a été donnée, jeudi dernier, à la maison de la culture de Béjaïa, lors de la 9e édition du Festival de la chanson et de la musique kabyles, qui lui a rendu hommage. «Cet hommage, je le rends à tous ceux qui me suivent dans mon parcours», a rétorqué Aït Menguellet au commissaire du festival, Boudjemâa Rabah, qui l'interrogeait. Aït Menguellet se rend-il compte de la profondeur de sa poésie ? «Je dis les choses comme je les ressens, j'ignore si c'est profond. Je ne le fais pas pour paraître. Je dis la vie comme je la vois» répond-il, le mot recherché et pesé. Il est vrai que l'œuvre poétique «aitmenguelletienne» est d'une poésie qui lui confère une certaine inaccessibilité au sens. Mais lorsqu'on dit au poète qu'on éprouve des difficultés à comprendre ce qu'il chante, il répond simplement : «Montrez-moi un seul mot qu'on n'utilise pas.» L'alchimie fonctionne dans le mariage des mots et le creusement des sens pour donner une toile tissée du fil de la philosophie. Pour être plus que dans l'image, «chacun doit réfléchir pourquoi c'est tissé de la sorte et sur le sens qui s'en dégage» suggère le chanteur. Mais la ‘‘simplicité‘‘ des mots n'est pas synonyme de ‘‘platitude'' du poème. Je veux que mon poème soit fort», dit-il. On le sait, Aït Menguellet est agréablement exigeant. «On met en jeu toute l'expérience personnelle quand on fait un poème», c'est un peu son credo. La vie pour Aït Menguellet est une école éternelle. Il s'en inspire et y puise sa poésie comme d'une source des montagnes kabyles. Il en sort une volonté de faire une poésie pure. Isefra (poèmes), son avant-dernier opus de huit titres sorti en 2014, était prêt deux ans plus tôt. Il a préféré le sortir dans le temps qui lui sied. «Je l'ai laissé de côté, non pas parce que je le méprise, mais par amour», apprend-il à son public. Il explique que s'il ne l'avait pas sorti deux ans plutôt, c'est par souci «que le thème ne soit pas décalé». «Il y a un risque qu'on ne le comprenne pas», confie-t-il. «Beaucoup de chansons ont été faites comme ça» révèle-t-il. Lorsqu'on interroge Aït Menguellet sur sa muse, il répond, depuis toujours, qu'il ne la maîtrise pas. «Ça vient comme ça», comme pour les autres artistes. Des images le guident dans sa création. Ay agu (le brouillard), titre commun d'une de ses chansons et de l'album de 1979, a son histoire. «J'ai commencé à l'écrire, puis je l'ai abandonnée. Alors que je conduisais, j'ai vu un brouillard sur mon chemin de retour de Takhoukht vers 9h 30. A midi, la chanson étai terminée», raconte Aït Menguellet. «Je n'ai pas de méthode, j'ai de l'instinct» affirme-t-il. L'inspiration ne se convoque pas. Il a essayé des expériences pour la provoquer, vainement. Ammi (mon fils), 1983, est une œuvre «d'imagination avec inspiration de base», dit-il. L'idée provient du traité politique de Nicolas Machiavel, Le prince. «J'ai été attiré par le machiavélisme et j'ai construit cette chanson sur ça. Ce n'est pas une adaptation comme on le dit, c'est inventé, inspiré», corrige Lounis Aït Menguellet. Il a écrit dans l'avion, le train, la ville, dehors, entre quatre murs… il «n'arrive pas à situer» un foyer d'inspiration particulier. L'inspiration peut être dehors, dans la réplique de quelqu'un qu'on salue. «Sereh i waman adelhoun» (laisse l'eau couler) lui a répondu un jour un jeune homme de son village. La réplique est, depuis 2010, le titre d'une chanson dans l'album Tawriqt Tacebhant (la feuille blanche). Lounis Aït Menguellet s'inspire-t-il de la société ou influence-t-il la société ? Il répond : «Peut être que j'envoie des choses qui peuvent faire réfléchir, mais je n'ai pas la prétention d'être de ceux qui infléchissent le cours de l'histoire». Grand lecteur de livres et curieux de la philosophie des lointaines époques socratique et pré-socratique, sportif aussi, la curiosité a ouvert des horizons pour Aït Menguellet. «La curiosité m'a amené partout, mais pas vers la musique, je l'ai laissée pour l'instinct et le ressenti. C'est un tort, je le reconnais», se confie le chanteur-poète qui trouve un nom à ses mélodies : «Une musique instinctive.» Aït Menguellet s'est confié face à son public en présence de Kamal Hammadi, Akli Yahiaten et d'autres personnalités, dont Hacène Hireche, enseignant de langue et civilisation berbères à l'université Paris VIII, à la retraite. Il voit en lui un penseur et a rappelé que l'université de Tizi Ouzou lui attribuera ce 3 octobre le titre de docteur honoris causa. Hireche estime que le prix Nobel de la littérature décerné au chanteur Bob Dylan devrait revenir à Lounis Aït Menguellet.