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L'œuvre prodigieuse de l'Association des Oulémas musulmans algériens (3e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 08 - 2020


Par Kamel Bouchama, auteur
Revenons à Ben Badis qui disait, dans un de ses articles, paru en 1938, sous le titre «Comment l'Algérie est devenue arabe» :
«Personne ne peut affirmer que le peuple algérien n'était pas amazigh depuis la profonde Histoire ; personne ne peut, également, affirmer que les différentes invasions ont eu raison de son amazighité. Par contre, tous peuvent confirmer que l'Algérie a toujours eu cette force de vaincre ses envahisseurs et quelquefois de les assimiler à son peuple. Mais quand les Arabes sont venus pour propager l'Islam, enseigner la bonne morale, instaurer la justice et l'appliquer pour tout le monde de façon à ce qu'il n'y ait pas de différence entre eux et ceux qu'ils sont venus convertir à la nouvelle religion, les autochtones amazighs ont embrassé l'Islam et consenti à apprendre sa langue. De ce fait, ils ont trouvé les portes du progrès ouvertes devant eux, ils se sont confrontés dans le domaine des sciences et de la culture, ils se sont alliés par les liens du mariage et enfin ils se sont partagé le pouvoir ainsi que toutes les commodités de la vie. Ensemble, ils ont construit la civilisation islamique, témoigné de sa grandeur et déployé son étendard au moyen d'une seule langue, la langue arabe, et enfin se sont unifiés au niveau des dogmes et de la religion. Ils sont devenus un seul peuple, vivant les mêmes passions, les mêmes joies et les mêmes peines. Doit-il y avoir de différence après cela, lorsque l'unité a pénétré le cœur et la langue ?»
Peut-il y avoir des doutes après cette déclaration, venant d'un pur Sanhadji ? La vérité est que ce problème de berbérisme ne pouvait, hier, et ne peut être, aujourd'hui, un facteur de discordance entre les Algériens, tant il est clair que tout a été réglé par l'Histoire, il y a quatorze siècles, quand les Amazighs, les authentiques enfants de ce pays, ont choisi leur camp, leur religion et leur culture, tout en sauvegardant leurs valeurs morales dont les plus importantes : la liberté et la dignité qui, du reste, sont parmi les fondements sur lesquels repose l'Islam.
Il existe une autre vérité qu'il ne faudrait pas occulter, c'est que ce «problème», qui nous a été soigneusement concocté par les tenants du colonialisme, n'a jamais trouvé d'écho favorable au sein du peuple qui a toujours refusé de soutenir un tel «projet» destiné à le diviser, ni même au sein des Oulémas qui sentaient le danger et s'étaient mobilisés pour former ce «rocher» sur lequel venaient se briser toutes les tentatives de déstabilisation et d'atteinte à notre personnalité arabo-musulmane. En effet, car malgré cette réaction positive du peuple et de l'ensemble des érudits, ils savaient que la mission n'était pas de tout repos.
Ils savaient qu'ils étaient contraints de traduire dans les faits un vaste programme d'éducation, de formation et de mobilisation, un programme complémentaire à celui, combien ambitieux, du Mouvement national qui commençait à s'organiser concrètement et efficacement en vue de déclencher la lutte de libération.
Les Oulémas et le Mouvement national
Les Oulémas qui approuvaient sans réserve ce mouvement, puisqu'ils y étaient en tant que membres à part entière, avaient cependant un autre style de gestion des affaires politiques, un style modéré, affirmaient certains, pour pouvoir mener à bon port leur mission.
«Voyaient-ils là un moyen tactique de prémunir leur mouvement de l'islah et leurs médersas des persécutions administratives et de préserver de la sorte l'œuvre d'éducation des masses à laquelle ils entendaient se vouer», se demandait Benyoucef Benkhedda, l'ancien président du GPRA, dans son livre Les origines du 1er Novembre ?
D'autres, à l'image de Messali Hadj, étaient plus caustiques dans leurs déclarations à l'égard des Oulémas, surtout après le Congrès musulman qui s'était réuni le 7 juin 1936 à Alger. Ce dernier, alors président de l'Etoile Nord-Africaine, s'exprimait officiellement dans un meeting, le 2 août 1936, au stade d'El Anasser, pour dire avec une pointe d'amertume :
«Certes, nous approuvons les revendications immédiates qui sont modestes, légitimes, qui se trouvent dans la charte revendicative qui a été présentée au gouvernement du Front populaire, et que nous appuierons de toutes nos forces pour les voir réalisées, malgré leurs faiblesses, car la revendication la plus petite, la plus infime nous intéresse au plus haut point parce qu'elle contribuera à soulager la misère de cette malheureuse population. Ici, je prends l'engagement, au nom de mon organisation, devant le vénérable Cheikh Ben Badis, de faire tout ce qui est humainement possible pour appuyer ces revendications et pour servir la noble cause que nous défendons tous. Mais nous disons franchement, catégoriquement, que nous désapprouvons la charte revendicative, quant au rattachement de notre pays à la France et la représentation parlementaire.»
Le projet Blum-Viollette, du 30 décembre 1936, accordait la citoyenneté française à l'élite algérienne avec cependant une restriction dans le cadre du respect de leur statut personnel. Cheikh Ben Badis répondait ainsi, dans un article que publiait la revue Al-Chihab, en février 1937 : «La Nation algérienne considère le projet Blum-Viollette comme une partie infime des droits qui sont les siens. Elle l'agrée, aujourd'hui, comme premier pas dont la mise en pratique doit être rapidement suivie d'autres...»
Malgré cette intelligente concession du père de la «nahda religieuse», qui croyait voir en cette modeste promesse un premier pas vers la grande solution, la France, qui débouchait sur un présent infidèle à sa tradition démocratique, un présent pétrifié et sclérosé, rejetait en bloc les propositions contenues dans la charte revendicative. Comprenait-elle que «les promoteurs du Congrès musulman avaient espéré qu'avec l'acquisition de la citoyenneté française, et tout en gardant leur statut personnel, les Algériens se libéreraient de la férule des colons et de leur appareil répressif (code de l'indigénat et autres lois d'exception)» ? En effet, elle réalisait qu'elle ne devait pas faire confiance aux Algériens, fussent-ils modérés, ou ayant cette apparence, comme Abdelhamid Ben Badis. Elle ne pouvait, concernant ce dernier, passer sous silence l'action déterminante qu'il menait, avec l'ensemble des prédicateurs réformistes, contre l'évangélisation et la naturalisation des Algériens, plus particulièrement en Kabylie, dans le Constantinois et dans les Aurès.
Les chiffres existent et le pourcentage (1% de naturalisés seulement pour la région de Larbaâ Naïth Irathen) est assez éloquent pour dire combien a été concrète la mission des Oulémas. Elle ne pouvait aussi passer sous silence ce cri qui sortait de ses entrailles et allait droit au cœur de la jeunesse qui attendait le moment propice pour se lancer dans la bataille du destin : «Quand mon heure viendra pour rejoindre le Seigneur, je crierai vive l'Algérie et les Arabes.»
Effectivement, Ben Badis et les Oulémas qui ne pouvaient supporter, à l'instar de tout le peuple algérien, les contradictions permanentes avec les principes démocratiques dont se réclamait la France, ont combattu, avec toute leur énergie et les moyens qu'ils possédaient, ce refus à leur désir d'acquérir la nationalité algérienne qui, du reste, était considérée par les colonisateurs comme un acte de rébellion. Ils se sont élevés contre ce fameux statut de 1947, faisant de l'Algérie un département d'outre-mer et où les inégalités étaient tellement criantes qu'il ne fallait même pas envisager une quelconque «réforme» dont les nombreuses interférences constituaient un écheveau inextricable. Ils ne pouvaient se taire, enfin, face à ce truquage systématique des élections algériennes par «l'Administration», dans le but d'empêcher toute représentation nationaliste, un truquage qui était un fait reconnu de tous et parfois justifié comme une nécessité d'Etat. «Ce divorce entre la loi proclamée à Paris et sa violation permanente en Algérie domine la situation algérienne», et plus loin, dans le même article «... d'où cette tragédie de nombreux Algériens emprisonnés pour avoir tout simplement prononcé le mot indépendance qu'ils prononcent d'autant plus volontiers que la jouissance des libertés démocratiques leur est refusée», déclarait Jean Rous, dans la revue mensuelle Evidences, en octobre 1954, juste avant le déclenchement de la glorieuse Révolution de Novembre.
Ainsi, on ne peut être affirmatif aujourd'hui, comme le sont certains historiens, pour déclarer que les Oulémas ont été peu efficaces pendant la Révolution et que leurs positions étaient trop timides, comme on ne peut les affubler de cette autre sentence dangereuse qui prétend qu'ils ont été carrément «à côté de la plaque». La pondération et la sagesse nous recommandent d'être plus justes à leur égard et de ramener leurs positions dans le temps et dans l'espace pour comprendre les dimensions de celles-ci et les véritables raisons qui ont poussé les responsables d'alors à se positionner de la sorte.
«Les jeunes salafis algériens, écrit Mahfoud Smati, ne se montrent pas exigeants. Ils font même de grandes concessions en échange de peu de choses. En fait, ils connaissent l'état catastrophique de la culture dans leur pays ; ils veulent alors améliorer les conditions pénibles que vivent leurs coreligionnaires. Ils se rendent compte que tout progrès commence par un changement culturel. Les adeptes de l'école réformiste vont s'atteler à la réalisation de leur programme rénovateur.»
Cheikh Ben Badis, explique encore le même auteur, considère que la lutte pour la préservation de la langue nationale est également une forme de lutte pour la patrie. Ce qui est entièrement juste.
Il faudrait s'enorgueillir plutôt, au lieu de s'accuser mutuellement, comme on le fait, hélas, actuellement, que notre indépendance ait été le fruit de la lutte de tout le peuple algérien et que chacun ait apporté sa pierre à l'édifice, honnêtement et sincèrement. Chacun a combattu à sa manière et dans les limites et les moyens qui étaient les siens.
Nous devons rétablir également d'autres institutions et des hommes à leur rang. Nous en avons fait déjà allusion dans de précédents paragraphes. Il s'agit des confréries et des zaouïas. Ainsi, la probité morale nous commande d'analyser leur mission avec une extrême honnêteté pour confirmer que si certaines ont fait dans l'obscurantisme, l'ignominie, la traîtrise et la lâcheté, d'autres, plus nombreuses, ont eu à remplir des tâches éminemment positives et ont constitué, bien avant la création des autres mouvements, le cadre idéal de la préservation de nos valeurs et de notre identité nationale.
Ben Badis et de nombreux autres Oulémas ont été des adeptes de différentes confréries, avant d'annoncer officiellement leur tendance. Le Cheikh vénéré était, à Constantine, un fervent adepte de la Rahmaniya. On a même confirmé qu'il avait apporté des corrections dans le document officiel de cette confrérie et que le texte dûment amendé existe dans les archives, en plus des sentences qu'il avait rédigées. Mais indépendamment de tout cela, où est le mal ? Doit-on voir d'un mauvais œil tous ceux qui ont appartenu à une confrérie, à une zaouïa ou à l'Association des Oulémas ? Pourquoi «diaboliser» les uns et les autres quand ils n'ont pas fait de choses contraires à la morale ou qu'ils n'ont pas été des traîtres à la Nation ? Laissons plutôt cet aspect aux historiens pour qu'ils nous disent demain, avec des plumes sérieuses et sereines, ce qu'a été le parcours de tout un chacun.
Quant à nous, le devoir de vérité nous commande de situer les Oulémas dans leur époque et dans leur contexte et de dire quelles ont été les épreuves et les tourments qu'ils ont subis, sous un régime colonial inhumain. Car malgré les mesures interdisant le prêche dans les mosquées et l'enseignement de la langue arabe et des matières scientifiques dans les médersas avec sur leur tête l'épée de Damoclès ou la menace de fermeture, malgré enfin toutes ces mesures répressives, ils ont, dans un climat de défiance, inculqué aux jeunes les vertus de l'Islam, diffusé aussi largement que possible un enseignement propre et stimulant, en même temps qu'ils combattaient les fléaux sociaux : l'alcoolisme, les jeux de hasard, la paresse, l'ignorance, ainsi que tout ce qui était, par sa nature, interdit par la religion et réprouvé par la morale.
Les écoles libres de l'association
Revenons à ce travail inlassable pour connaître son impact au sein des jeunes en particulier et des masses en général. Effectivement, la mission des Oulémas a été plus que déterminante. Et comment ne pouvait-elle pas l'être lorsqu'on sait qu'ils s'étaient attaqués de prime abord à l'essentiel, c'est-à-dire à la formation, à la sensibilisation et à la mobilisation de la jeunesse, tout en menant simultanément un autre combat, autrement plus éprouvant, dans le domaine moral et religieux.
La création des écoles rénovées n'a pas été une chose facile, et pour cause. Nous avons développé auparavant la turpitude de l'administration coloniale ainsi que les restrictions et les pressions qu'elle exerçait sur les responsables de l'association. Ainsi, s'il n'y avait pas eu cette somme de courage et de persévérance le projet aurait échoué, les espoirs se seraient volatilisés et la francophonie aurait gagné tout le pays et battu en brèche le crédit de ses hommes de foi, les valeurs et les aspirations du peuple. Cela aurait pu se perpétuer, jusqu'à aujourd'hui, si l'on jette un regard de méditation sur certains pays de notre continent, anciennement colonisés.
L'Association des Oulémas a eu le mérite de mener une sérieuse campagne pour préparer les conditions objectives qui lui permettaient de pénétrer ce domaine de l'éducation et de la formation avec le maximum d'assurance. D'abord, elle avait commencé par installer des commissions éducatives et pédagogiques, à travers le territoire national, dans le but de sensibiliser les citoyens pour participer matériellement à l'ouverture des écoles et envoyer leurs enfants apprendre la langue du Coran. «Celui qui s'éloigne de la langue arabe, c'est comme s'il s'éloignait de Dieu et ainsi, celui qui n'a pas cet amour pour Dieu, ira au-devant d'un châtiment sévère», disaient ceux qui avaient la tâche de sensibiliser le peuple pour cette exaltante entreprise.
Le résultat a été plus que probant car, de 1931 à 1938, l'Algérie comptait, malgré tous les problèmes dus aux mesures vexatoires, et dans les seuls départements de Constantine et d'Alger, 153 écoles modernes où l'on enseignait, en plus du Coran, toutes les matières littéraires et scientifiques. L'Association dirigeait également, en cette période, 76 écoles coraniques sur un nombre de 2 542, à travers l'Algérie, les autres étant sous la coupe de chefs de zaouïa et d'imams indépendants. Pendant l'année scolaire 1950-1951, le nombre d'enseignants avoisinait les 700, uniquement dans les écoles dites «libres», et cela selon les informations données par Tewfik El Madani. Quant au professeur Mohamed El Hadi El Hassani, il affirmait, au cours d'une conférence, que le nombre des écoles libres dépassait les 400 et les cercles culturels avoisinaient le nombre de 200. Il expliquait, avec la verve qu'on lui connaît, que l'administration coloniale est allée jusqu'à interdire la consommation de thé dans ces cercles pour qu'il n'y ait pas «trop de clients» dans ces établissements. Drôle de conception, quand on sait que les militants et les adhérents ne considéraient pas les cercles culturels de l'Association comme des «cafés maures», mais comme des lieux de rencontre, d'enrichissement et de militantisme.
C'était peu ou c'était juste suffisant pour répondre à la demande des citoyens qui voulaient voir leurs enfants s'instruire dans la langue qui leur a été refusée par le colonialisme. En tout cas, l'effort y était. Les Oulémas, et à leur tête Ben Badis, ont entrepris ce qui était humainement possible pour propager la culture au niveau de la génération montante. Il fallait travailler pour l'avenir, et ils en étaient grandement convaincus. Car, c'est à partir des jeunes qu'ils espéraient voir jaillir l'étincelle qui allait embraser le pays, en une révolution populaire, en une lutte commune qui constituait le facteur d'unité. Car, c'est également, à partir des jeunes que l'Algérie de l'avenir saura se refaire dans une ambiance de progrès et s'édifier concrètement pour se hisser au niveau des grandes puissances.
Les Oulémas savaient, et l'Histoire de l'humanité nous le confirme, que plus d'un siècle de colonisation, comme ce fut le cas de notre pays, pèse lourdement sur la vie sociale et culturelle d'un peuple. Ils savaient, par ailleurs, que si l'indépendance politique et économique permet au pays de se débarrasser de la tutelle étrangère d'une façon générale, elle ne met jamais un terme final à ses «résidus», car le colonialisme laisse toujours derrière lui une infrastructure établie pour ses intérêts et une génération colonisée ou même plusieurs. Ils avaient conscience de cette politique préméditée mise en application par les Français qui, connaissant l'importance de l'élément humain, se sont efforcés de tout mettre en œuvre pour assimiler l'individu algérien (ils étaient intéressés par la classe la plus influente) et le coloniser spirituellement : c'était pour eux l'unique condition qui leur permettait d'instaurer leur emprise, non pas sur une génération seulement, mais sur toute une lignée. La conséquence de tout cela s'est perpétrée sur plusieurs générations nées dans de telles conditions. Elles ont été prises en charge par le colonialisme qui a usé de tous les moyens pour les aveugler.
Les Oulémas vivaient déjà cet affrontement, résultat de la dépersonnalisation progressive de l'individu et son déphasage par rapport à sa société. Ils le vivaient avec autant d'amertume car cet affrontement ne manquait point de créer des contradictions entre deux couches qui semblaient prendre l'allure d'un conflit entre une catégorie favorable à un «passéisme» (le retour dans l'Histoire du passé sans tenir compte des structures sociales nouvelles) et une autre tendant vers le «futurisme» (projection d'une structure sociale moderne sans considération du passé historique). C'était là, pour ces apôtres de la culture, l'un des points de divergence qu'il fallait combattre, car c'est en partie de là que naissaient tous les problèmes, notamment idéologiques et linguistiques. En effet, sachant que la lutte commune menée par le peuple ne permettait pas de tels antagonismes d'émerger car elle constituait un facteur d'unité, ils se sont efforcés de parfaire le cadre d'expression et de donner le véritable sens au retour aux sources. Ben Badis lançait dans sa fameuse poésie Chaâbou El Djazaïr (le Peuple algérien) :
«Celui qui dit qu'il a renié ses origines ou qu'il est mort, Est un menteur.»
Le combat continuait, il prenait une autre tournure aux motivations concrètes : ressusciter tout ce que le colonialisme a pu enterrer et fertiliser le terrain pour que la révolution éclate dans l'unité et la mobilisation générale. Ainsi, l'ouverture des écoles libres, qui ont connu une grande affluence, donnait l'occasion aux responsables de l'Association d'organiser d'importantes cérémonies pour célébrer les vertus et les valeurs de notre peuple et, en même temps, de haranguer les foules présentes pour les inciter à plus d'action.
Qui, parmi les jeunes de Tlemcen de la génération des années quarante ne se souvient de ce grand festival culturel qui a réuni, sous la présidence de Cheikh Abdelhamid Ben Badis, les grands oulémas de ce pays, à l'occasion de l'inauguration de Dar El Hadith ? Qui, parmi les jeunes de Batna, au cours de la même période, ne se souvient de cette autre grandiose cérémonie où le mariage entre la pédagogie et la littérature révolutionnaire a été comme une prémonition pour le proche futur, lorsque le talentueux poète Mohamed El Aïd El Khalifa déclamait :
«De Batna, où d'heureux présages ont vibré,
L'Aurès et Chalaâlaâ en sont émus».
Qui, parmi les jeunes de Biskra, ne se souvient de cette ouverture, aussi pompeuse, de leur sanctuaire du savoir et du patriotisme, une cérémonie sous la présidence de Cheikh El Bachir El Ibrahimi et où le même poète disait clairement :
«Je vous vois, sans succès, vociférer contre l'injustice,
Allez plutôt vers la science si vous voulez réussir.
Je vous vois, sans succès, vous plaindre de votre ennemi,
Prenez votre responsabilité et... combattez !»
Qui, enfin, ne se souvient de cet hymne à la liberté, un fameux poème de Ben Badis où il écrivait :
Où es-tu donc, ô liberté ?
«Les nations te célèbrent, t'élèvent des statuts, les orateurs te sacrent, les poètes te chantent, et les écrivains te consacrent leurs talents.
Des héros tombent, du sang est répandu, des forteresses sont rasées :
Pour toi. Mais Toi où es-tu ?
Que de nations te célèbrent pendant qu'elles accablent d'autres du joug de l'asservissement !
Que d'hommes, ceux-là mêmes qui t'élèvent des statues
N'ont pour devise que te détruire dans les cœurs et les esprits
Je t'ai cherchée parmi les riches, au sein de leurs châteaux,
Je n'y ai trouvé que des esclaves totalement livrés à leurs instincts...
Je t'ai cherchée dans la masse des gourbis, parmi les pauvres,
Je n'y ai vu que gens ligotés par la misère et la souffrance.
Je t'ai cherchée chez les ‘'forts'', j'ai vu d'absolus et d'implacables dictateurs enchaînés par leur malveillance affamée :
Convoitant cyniquement le patrimoine des faibles.
Je t'ai cherchée chez les ‘'faibles'', j'y ai rencontré l'homme surmené
Accablé par l'oppression des forts.
Où es-tu donc, ô liberté ?
Ainsi, tu te trouves contenue dans ces poitrines qui éclairent la Foi,
Appréciée par ces âmes qui n'ont pour seul maître que le Créateur
Et servie par ceux qui ont, dans une ferveur ardente,
Cru en Dieu et en ses Envoyés.
Oh liberté ! Inestimable liberté ! Nous te languissons sans fin.
Ou plutôt, ce sont eux que nous languissons en Toi.
Notre vie dépend de la leur et notre mort se confond avec leur mort
Et au-delà de leur vie ou de leur mort biologique
Il s'agit de la vie ou de la mort de leur Pensée
Puisses-tu Dieu par eux sauver Tes créatures,
Relever nos pays, et nous joindre à eux, dans un autre monde,
Dans cette fidélité indéfectible...
Que nous nourrissons à l'égard de leur Pensée.
Effectivement, peu de temps après, des jeunes, tous ceux qui ont connu ces médersas, ces zaouïas, ces écoles coraniques et d'autres jeunes, parmi les paysans, les travailleurs, les étudiants ont pris les armes et, à minuit de ce mémorable 1er Novembre 1954, ont fait entendre au colonialisme ce dont ils étaient capables.
K. B.


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